D’une économie pastorale à une économie rentière, le pas est vite franchi. Hier, avec les moutons et les abeilles ; aujourd’hui avec le pétrole et le gaz, l’argent vient en dormant. « Regda out manger ».
C’est la nature des ressources qui détermine le régime politique d’un pays. Dans le cas de l’Algérie contemporaine, ce sont les hydrocarbures. Ce n’est pas un hasard si la nationalisation des hydrocarbures a coïncidé avec la commémoration de l’anniversaire de la création de l’UGTA un certain 24 février 1971.
La longévité politique exceptionnelle des régimes arabes est une réalité incontestable. Clanisme et monarchie concourent au même résultat : stabilité politique et stagnation économique. Pour le gouvernement, après le pétrole, c’est toujours du pétrole. Sa survie dépend de l’étranger, du blé de la France et des armes de la Russie.
Le pétrole et le gaz sont à l’économie mondiale ce que l’eau et l’oxygène sont au corps humain. Ils sont les fondements de la civilisation moderne. L’argent du pétrole a détaché la société du travail, de l’effort et de l’investissement.
Le sort de l’Algérie est indexé au cours du baril de pétrole sur le marché. En période de vaches maigres, les élections conduisent à une guerre civile avec ses milliers de morts et de disparus et en période de vaches grasses à une présidence à vie au prix de mille milliards de pétrodollars.
L’Algérie se distingue par l’importance des ressources soumises à une distribution publique (marchés, subventions, licences d’importation, fonds de commerce, logements etc…) Un autre gisement s’offre aux élus et fonctionnaires c’est l’emploi public représentant un poids non négligeable dans l’électorat (La république à travers la fonction publique et parapublique est le premier employeur avec une armée de fonctionnaires dociles et redevables).
De l’indépendance à nos jours, c’est la ruée vers le politique. Cela se traduit par une mainmise de l’Etat et donc d’une caste d’élus et de fonctionnaires sur la quasi-totalité des ressources du pays. Les fonctions électives sont un ascenseur social, un tremplin à l’enrichissement personnel. Les distributions d’emplois publics façonnent les clientèles autant qu’elles les révèlent.
Toutes les fortunes privées sont constituées à partir du politique. L’exercice des fonctions étatiques permet de se ménager une place dans l’échelle de redistribution des biens et des services. La rémunération des clientèles cède parfois le pas à l’enrichissement personnel. L’appétit des patrons et des clients allant en s’aiguisant.
L’enjeu des élections en Algérie est évidemment l’accès à la rente que confère l’autorité. En effet, l’élite au pouvoir, bien que vivant de l’Etat n’a pas le sens de l’Etat mais seulement de ses propres intérêts.
Une fois, au pouvoir et à proximité de la rente, les élus se transforment en « harkis du système » ; hors du pouvoir et loin de la rente, ils sont ses plus farouches opposants ?
Dans ce contexte, toute distribution des ressources par l’Etat et son administration peut difficilement viser l’intérêt général. L’intérêt général est intériorisé dans les démocraties occidentales et ignoré dans les dictatures du sud de la Méditerranée. Il se confond avec l’intérêt de la caste au pouvoir.
A chaque fois que l’on fait de l’Etat ou d’une petite élite, le principal acteur du développement, on suscite l’apathie générale du corps social et les citoyens se détournent des structures sociales et politiques organisées. On se trouve devant une société éclatée, une classe dominante qui vivant de l’Etat n’a pas le sens de l’Etat mais de celui de ses intérêts.
Cette classe a le goût de l’autorité et du prestige, elle ignore celui de l’austérité et de l’humilité. Contrairement à ce qui s’est passé à partir du moyen âge, la naissance de l’Etat post colonial est beaucoup moins la résultante des changements sociaux qui ont accompagné l’émergence des structures autonomes (division du travail, bureaucratie professionnelle, surplus agricole dégagé etc…) que le produit d’un bricolage institutionnel visant à introduire dans l’espace politique des formes d’organisation parfaitement étrangères aux codes culturels et aux ressources de l’Etat. Il est le résultat de contradictions externe que de changements internes.
L’Algérie indépendance n’est pas née par voie naturelle mais à la suite d’une césarienne. Cela laisse des cicatrices. L’Algérie a arraché son indépendance par l’emploi de la ruse et la force, elle a raté son développement par manque d’intelligence. Elle n’a pas su coudre la peau du renard avec celle du lion. Elle n’avait pas de fil ni aiguille.
Soixante ans après le recouvrement de son indépendance, elle souffre de l’absence d’une bourgeoisie entrepreneuriale et d’une classe ouvrière laborieuse. Pourtant, ce ne sont pas les pétrodollars qui ont fait défaut. « L’intelligence peut créer des richesses, jamais l’inverse » nous avertit Alex Martial. 98 % des ressources en devises proviennent de l’exportation du pétrole et du gaz.
Le budget de l’Etat est alimenté directement ou indirectement à plus de 70 % par la fiscalité pétrolière et gazière. Destinée initialement au financement du programme d’équipements de l’Etat, elle s’est étendue à la consommation finale prenant en charge l’Algérien du berceau à la tombe en passant par les hôpitaux parisiens avant d’être rapatrié en Algérie pour être enterré selon le rite musulman en usage.
Pour être convaincu de la justesse de ses propos, il suffit d’observer l’évolution de la monnaie nationale, le dinar.
A sa naissance le dinar algérien s’échangeait contre deux francs français (sans pétrole et sans gaz); à soixante ans l’âge officiel de la retraite, il ne vaut pratiquement rien en Algérie et encore moins à l’étranger hyperdopé au pétrole et au gaz.
Dr A. Boumezrag