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Les heures fastes de l’incommunication et de la médiocrité

Les réseaux sociaux s’enflamment et la raison se tait

Les heures fastes de l’incommunication et de la médiocrité

Indéniablement, la suspension du Hirak, en raison de l’épidémie (pandémie) du coronavirus, a généré, du côté d’une partie de ceux qui étaient supposés être ses défenseurs acharnés, des comportements que l’on peut qualifier de « non hirakiens », en tous cas loin des idéaux et des objectifs consensuels ayant animé ce mouvement pendant douze mois.

Pendant les jours de confinement, en vigueur depuis la mi-mars, le monde virtuel des réseaux sociaux – car, l’autre monde, réel, celui de la rue qui a abrité les marches et les cris des manifestants pendant une année, n’est plus accessible-, ce monde-là, disions-nous, recueille le marasme, les frustrations, les déceptions et l’incompréhension des anciens marcheurs ou de ceux qui avaient suivi de près le mouvement. Une sorte de repli sur soi qui éclate subitement en récriminations à tout va pour dire une révolution non encore achevée.

Entre-temps, les mouches électroniques ont décidé de renforcer leur sale besogne entamé depuis le début de l’année 2019. Ces mouches ne cessent de faire dans des provocations gratuites, agressant parfois la mémoire et l’histoire des Algériens et instillant la culture de la haine et du racisme.

Le pire, c’est que, parfois, l’on a affaire à des personnes identifiées, connues, qui s’attaquent à une partie des Algériens, les habitants de la Kabylie, distribuant des certificats de bonne conduite comme elles l’entendent, pensant rendre service à une autre cause, celle par exemple de l’arabité et de l’Islam. « Pensant » est un bien gros mot dans le cas qui nous occupe. Ces personnes sont en service commandé, donc, « ne pensant pas ». Le monde virtuel leur donne une certaine assurance, le sentiment d’impunité et la force de lâcher la bride de… la lâcheté.

Le problème est que l’on ne peut pas demander aux gens d’éviter ce monde virtuel, devenu une fenêtre sur le monde et un vrai moyen de communication dans un pays qui claudique encore en matière d’information et de communication. Résultat des courses, une guerre des tranchées s’installe par la prise de parole de tous côtés. Une vraie cacophonie où personne ne trouve son compte. La mort du chanteur Idir a attisé ces frictions et rallumé le feu de la discorde.

C’est une véritable ironie de l’histoire pour ce grand homme de culture qui, par son panache, son entregent et sa sagacité, s’est toujours situé au-dessus des fausses polémiques, non pas en les évitant ou esquivant, mais en confondant intelligemment leurs protagonistes et, surtout, en leur faisant porter la responsabilité de leurs excès et de leurs dérives.

Le règne des faussaires

Les Algériens sont là, à s’entredéchirer, avec la nuance de taille introduite par Hend Sadi dans sa dernière contribution au journal Liberté, en mettant en relief une dissymétrie manifeste entre les agresseurs et les agressés, à savoir le courant conservateur de l’arabo-islamisme qui se voit pousser de nouvelles ailes, et le courant de l’authenticité identitaire qui tient à faire valoir la diversité culturelle du pays à travers, en premier lieu, la réhabilitation de l’amazighité dans toutes ses dimensions, lesquelles ne peuvent être considérées en contradiction avec l’islam ou l’arabité.

L’accumulation historique qui donne la cartographie de l’Algérie actuelle sur les plans humain, linguistique, culturel et anthropologique, échappe malheureusement à une compréhension sereine et apaisée. En plus des vicissitudes historiques inhérentes aux premières années de l’Indépendance- où les vrais libérateurs du pays se trouvèrent marginalisés (en prison, en exil ou carrément assassinés), l’Algérie s’était « autorisée » une descente aux enfers sur le plan culturel, ce qui fait que, aujourd’hui, un grand nombre de jeunes sont déconnectés des réalités et ne sont pas à même de comprendre la formation de l’être algérien dans ce long processus d’accumulation historique. Cette descente aux enfers est rendue possible par le niveau d’une école jugée sinistrée, éloignée de ses objectifs d’éducation, d’instruction et de formation aux valeurs de la citoyenneté.

Comme, elle a aussi bénéficié de l’apport vénéneux de la rente pétrolière, reléguant les valeurs du travail et de l’honnêteté au rang d’un nébuleux souvenir, et ouvrant la voie à tous les faussaires imaginables.

Lors des festivals culturels budgétivores, qui faisaient la tournée des villes algériennes, sur les douze mois de l’année sous le label de « Ville telle, capitale de la culture islamique ou arabe », l’État avait financé de faux écrivains, de faux peintres, de faux poètes, éditant, en plusieurs milliers d’exemplaires, des poncifs faisant l’éloge de l’Algérie du prince du moment en instituant des prix de complaisance, renforçant à l’infini la médiocrité, voire la nullité culturelle.

Les Algériens se tournent le dos

Comment s’étonner, après tout cela, de ce que les Algériens s’ignorent entre eux de façon royale et se tournent le dos ? On sait bien qu’un grand nombre de Harragas ne connaissent de l’Algérie que la ville côtière de laquelle ils ont pris le départ pour un cap incertain (au propre comme au figuré).

L’esprit harraga règne en maître. Le Hirak a, un certain moment, commencé à renverser la vapeur et insuffler un net espoir. Les jeunes commençaient à croire à un possible renouveau. Le Hirak, dans ces débuts, a bénéficié d’une belle union, l’union sacrée contre le système qui a consacré l’inculture et la rente, deux piliers qui allaient permettre tous les errements, toutes les déviances, l’inversion des valeurs, la gangrène de la corruption,.etc. Ce sont des phénomènes qui ont amené l’Algérien à perdre espoir et à plonger dans le déni de soi.

Signe des temps, le terme Harraga- étymologiquement issu de l’arabe, « haraqa » (brûler)- est consacré par le Larousse et non par un quelconque Moundjed Ettoulab ou Qamous El Mouhit (dictionnaires connus sur la scène éditoriale arabe). Et, par une inégalable perversion, l’on se met à se gargariser des termes arabes empruntés au Moyen-âge par la langue française, oubliant que, sur l’actualité et les défis du présent, les peuples occupant l’aire géoculturelle arabe et islamique n’ont aucune prise.

Nous ne sommes ni l’Inde ni le Nigeria pour que notre diversité culturelle et linguistique se transforme de richesse en malédiction. L’Algérie, avec toute l’Afrique du Nord, est un terreau amazigh. Cela remonte au moins au troisième millénaire avant Jésus-Christ.

Les apports de l’Islam et de la langue arabe ont été intégrés dans l’humus originel, faisant que des Maghrébins devinrent des exégètes et de grands théologiens, et d’autres, à l’image du grammairien Ajerroum, alimentèrent une polémique historique en établissant des règle de syntaxe et d’éloquence qu’il opposèrent brillamment aux travaux des grammairiens de Bagdad et Bassora.

L’ironie du sort

En plus de l’arabe et de tamazight, l’Algérie dispose aussi, en la langue française, d’un formidable outil de communication et de production littéraire. Nier cette aveuglante réalité ne relève pas uniquement d’un aveuglement politique, mais surtout d’une crasse hypocrisie.

Des centaines de hauts responsables de l’État font assurer à leur progéniture des éludes à l’étranger. Les « moins chanceux » se résolvent à envoyer leurs enfants dans les écoles privées. Tout cela, pour éviter une école au rabais, où l’enseignement est monolingue (en arabe uniquement) jusqu’en terminale, et puis, c’est l’ouverture sur l’inconnu. Pas si inconnu que cela, lorsqu’on considère le niveau de l’Université algérienne et la place peu enviable qu’elle occupe dans le palmarès régional.

L’autre indice de ce niveau plus que discutable, c’est le taux de chômage effarant dans la frange des diplômés de l’Université, dépassant de loin la très officielle moyenne de 11 % établie depuis 2016 pour l’ensemble de la population en âge de travailler. En optant pour une arabisation à la hussarde, l’école algérienne a perdu Hugo, Montesquieu, Voltaire, Mammeri, Dib, Senghor, Césaire ainsi que la formidable ouverture que permet la langue française sur la belle littérature russe et la prestigieuse littérature des pays de l’Amérique latine, sans, pour autant, avoir gagné Taha Hussein, Djamal Ghitany, Wassyni Laâredj, Benhadouga, Tayyib Salah et d’autres étoiles de la littérature de langue arabe. Ironie du sort, c’est par le moyen de la langue française que sont « popularisés » en Algérie- dans les limites naturelles de ce lectorat- les écrits d’Ibn Khaldoun, les récits de Tabbari et les vers d’Ibn Nouas et ceux de Jalal Eddine Rûmi.

Les Algériens doivent considérer et regarder en face, sans complaisance, la situation dans laquelle ils s’enlisent depuis des décennies et déclencher un véritable Hirak mental qui les délivrera de l’esprit de la rente et de la camisole de l’inculture. C’est en renouant avec les valeurs du travail et en se réconciliant avec la vraie culture, celle, authentique du pays-diverse, riche et plurielle- et celle qui nous relie aux autres peuples du monde, que nous nous départirons des cloisons mortifères, des vaines algarades et de la fausse bravoure abritée dans les réseaux sociaux.

A. N. M.

Auteur
Amar Naït Messaoud, journaliste

 




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