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Les hommes changent, le système reste !

Présidence

Cela a été dit, nul ne choisit la famille dans laquelle il naît, le pays dont il sera citoyen, l’époque dans laquelle il doit vivre. Etant tributaire de l’extérieur, l’Algérie est dominée et fragile. Enjeu géopolitique stratégique l’Algérie intéresse. L’importance de l’énergie est fondamentale pour l’économie européenne.

L’accès et le contrôle des gisements pétroliers et gaziers sont l’une des préoccupations majeures des pays européens. La rente énergétique constitue l’appât, le sacrifice de la jeunesse le prix. L’utilisation de cette rente sur le plan politique et social en fait un instrument de corruption de la société dans son ensemble. Elle vise à renforcer une couche de dirigeants associée par ses intérêts à l’oligarchie financière mondiale d’où le gel des forces productives locales. Le statut quo n’est pas innocent, il s’inscrit dans la stratégie de conservation du pouvoir à des fins prédatrices.

Les hommes changent, le système reste. Compte tenu de la progression démographique et de la chute vertigineuse de la production locale, l’avenir ne peut être envisagé avec optimisme. C’est pourquoi l’Etat connaîtra une instabilité d’autant plus grande que les problèmes économiques et sociaux deviennent plus aigus.

Devant la crainte d’une rupture brutale et soudaine des approvisionnements en énergie, les pays européens suggèrent à leurs interlocuteurs sollicitant un appui, l’accès au pouvoir d’une équipe jeune acquise à la « modernité » ; modernité dans le sens de l’imitation servile des idées et des habitudes de consommation occidentale sans rapport avec les capacités de production propres du pays ou la couverture des besoins de la majorité de la population.

Pourtant c’est bien cette imitation aveugle à sens unique qui a affaibli les capacités de résistance de l’économie du pays et la cohésion des larges couches de la population.

Ce sont ces deux phénomènes qui sont à l’origine des tensions sociales et de la fragilité de l’Etat post colonial. Il s’agit de savoir si cette élite ciblée est capable d’imaginer, de définir et de mettre en œuvre un modèle institutionnel et de développement qui ne soit pas de pure imitation, capable de voir et de comprendre sa propre société, capable d’évaluer ce qui est possible et ce qui l’est moins. Rares sont les élites, qui s’appuyant sur leurs propres héritages socioculturels y compris colonial sont déterminées à surmonter les difficultés auxquelles est confrontée leur société car la solution à la crise, c’est d’abord l’effort interne du pays, plus on parvient à se mouvoir par ses propres moyens moins on est demandeur, moins on est vulnérable.

Il nous semble que la solution définitive à nos problèmes réside dans une changement qualitatif dans nos rapports avec l’Occident, dans notre complémentarité avec les économies des pays du sud et dans les bouleversements fondamentaux que nous pouvons apporter à nos institutions, pâles copies de nos illustres maîtres à penser.

Mais cela suppose la participation de la population à la prise de décision ; une vision claire de l’avenir et une réelle maturité des pays du sud.

C’est pourquoi les équipes dirigeantes n’ont pas d’autre choix que « trahir ou se suicider ? Vont-elles trahir c’est à, dire servir leurs propres intérêts au détriment des intérêts supérieurs de la nation ? Vont-elles se suicider c’est-à-dire faire appel à des puissances étrangères pour sortir le pays de la crise.

Un pays pourtant condamné par l’histoire et la géographie à regarder l’avenir de ses enfants dans le rétroviseur ou dans le marc de pétrole. Si l’on a la prétention de vouloir maîtriser l’avenir c’est pour pouvoir changer le passé. Un passé qui pourtant explique le présent et préfigure le futur immédiat. La petite bourgeoisie prend le pouvoir à un moment où l’Etat naissant est fragile Elle voit toutes ses possibilités d’ascension ouverte.

La participation aux instances supérieures du pouvoir suppose comme condition préalable la participation à la guerre de libération nationale. C’est la « sacralisation des armes » Les pratiques de cooptation qui prévalaient durant la guerre de libération nationale ont survécu après l’indépendance. Ces pratiques fonctionnent toujours à tous les niveaux de la pyramide politique et économique du pouvoir.

Ce comportement s’explique par la volonté des responsables militaires de trouver chez les élites intellectuelles, la compétence technique ou économique qui leur manque pour la gestion des administrations et des entreprises publiques. Cependant, cette collaboration est astreinte à une seule condition : la soumission des intellectuels à la suprématie politique des dirigeants militaires issus de la guerre de libération nationale. Les intellectuels vont dépendre du pouvoir pour survivre.

Au lieu de constituer l’âme de la société, ils vont dépendre des ponctions sur la rente. Leur réussite se mesure par leur capacité à bénéficier de privilèges grâce à leurs positions hiérarchiques. Ces positions leur permettant de renoncer à leur fonction critique. C’est l’allégeance et la vassalité. L’intelligence s’était mise au service de la ruse.

Autant la ruse paysanne était salutaire en temps de guerre, autant elle devient mortelle en temps de paix. En temps de guerre, il s’agit de combattre l’ennemi et de le vaincre ; en temps de paix, il s’agit de construire son pays et de faire le bonheur de son peuple. Avec la politique du ventre, « on ne réfléchit plus, on mange ».  Comme dit un proverbe africain, « la chèvre broute là où elle est attachée ». On ne parle pas avec la bouche pleine. Le verbe « manger » se conjugue en politique à tous les temps à la première personne du singulier.

D’où cette injonction populaire majeure et permanente : « Pourquoi ne fais-tu de la politique pour manger comme tout le monde ? ». C’est quoi cette politique du ventre ? C’est une politique dans laquelle le soin à apporter au tube digestif et à l’accumulation des fortunes est primordial. Elle éloigne ses pratiquants de toute conviction, il n’y a que le ventre qui compte.

« On marche sur son ventre ». La plupart des algériens n’aiment pas aller au paradis le ventre creux, ils préfèrent partir à l’enfer le ventre plein pour se nourrir du contenu de leurs entrailles. Le ventre est l’épicentre de tous les courants politiques islamistes ou laïcs qu’ils agissent au nom de la religion, de l’Etat ou des droits de l’homme. Ils sont tous animés par la volonté de faire fortune ou de se remplir le ventre sans investir et sans produire. Cette politique ne s’accommode pas de la présence d’économistes, ceux sont des trouble-fêtes, il faut s’en débarrasser ; on leur préfère de loin les « gargantuas ». L’appétit venant en mangeant et la réussite matérielle en rampant. C’est une politique dans laquelle on accepte toutes les compromissions, pourvu que le ventre soit plein. « Qui rentre fait ventre ». Qu’importe si plus tard on fera l’objet de chantage.

Le chantage est une arme redoutable en politique. Personne ne peut y échapper. Le feu n’épargne que les ventres vides. Faut-il faire la grève du ventre pour s’en prémunir ? Qui en a le désir ? Ou plutôt qui a intérêt ? Evidemment personne : «C’est le ventre qui porte les pieds et non le contraire ». C’est la poche saharienne qui finance la politique du ventre.

Les enjeux économiques sont si importants qu’ils occupent une place prépondérante dans le débat politique. Il n’y a pas d’équilibre de l’économie sans un minimum de paix sociale et pas de reprise économique sans adhésion de la population, et pas d’adhésion politique sans motivation à la production et à la gestion.

Un lien étroit est à rechercher entre salaire/production et profit/investissement. Les gens sont partout les mêmes, sécurisés, motivés, laissés libres de percevoir le fruit de leurs efforts, les algériens travaillent, produisent et investissent. Fondamentalement l’équilibre de l’emploi fait partie de l’équilibre économique. Malheureusement force nous est de constater que la rente pétrolière et gazière a tendance à financer des emplois improductifs de façade et à détruire les emplois fondamentalement productifs porteurs d’une stabilité sociale durable.

Le secteur public économique sur lequel se fonde le système politique est le dernier rempart, assaini, revigoré, peut amorcer une reprise spectaculaire grâce à son aptitude o la synthèse entre les objectifs économiques et les contraintes sociales. Il incite à l’effort économique par des avantages sociaux et il permet la distribution de ceux-ci grâce à la croissance de la production pour peu que certaines décisions courageuses soient prises à temps.

Car si la rente énergétique permet à la société de se reproduire sur la base de rapport de distribution, le travail par contre lui permet de se reproduire sur la base de rapport de production. C’est dire que le développement n’est pas une affaire de devises mais une question d’hommes. Des hommes porteurs d’idées et non de valises.

Dr A. Boumezrag

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