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Les horizons brouillés des technologies de l’information et de la communication

Algérie

Les horizons brouillés des technologies de l’information et de la communication

Il est quand même très réducteur, voire ridicule, de ne voir les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) que dans les usages domestiques, apparentés plutôt au ludique et à la récréation. C’est pourtant ce que permet de déduire, par plusieurs côtés, la « littérature » administrative, et parfois aussi journalistique, inhérente à ce domaine. Dès qu’il est question des Ntic, on focalise l’attention sur les réseaux sociaux- avec leurs avantages et leurs risques-, sur la téléphonie mobile qui a acquis son étendue de domesticité, et sur un certain nombre d’applications qui facilitent aux citoyens certains actes de la vie quotidienne. En d’autres termes, tout ce qui fait le point nodal de la philosophie des Ntic, est, en Algérie, relégué au second plan par la configuration de l’économie du pays. Le soin est laissé à quelques techniciens ou entreprises, souvent désargentés, qui, dans leurs efforts solitaires, ne peuvent malheureusement pas faire, tous seuls, le printemps, particulièrement dans un domaine aussi complexe, lequel fait intervenir plusieurs secteurs et des milliers d’acteurs.

Avec la léthargie que connaît l’économie algérienne, particulièrement après la chute des revenus pétroliers, il n’est sans doute pas surprenant d’apprendre le mauvais classement de notre pays dans le domaine si sensible et si innovant des nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic). Au cours de l’année 2017, l’Union internationale des télécommunications (UIT), une agence spécialisée des Nations Unies, classe l’Algérie à la 102e place sur 176 pays étudiés, selon l’indice de développement des Technologies de l’Information et de la Communication (ICT Development Index).

Profession de foi

La « gouvernance numérique », dont ne cessent de parler les ministres, est, jusqu’à présent, plus une profession de foi qu’un levier de développement économique générateur de valeur ajoutée. Le ministre de l’Intérieur se réfère, pour ce qui relève de son département ministériel, aux quelques « conquêtes », considérées comme acquises de haute lutte, inhérentes à certaines pièces d’Etat civil numérisées, lesquelles, auparavant, avaient empoisonné la vie des citoyens. Même dans ce créneau spécifique du ministère de l’Intérieur, les choses ne sont pas aussi « roses » qu’on voudrait bien le faire croire. De son côté, le ministre de la Justice peut se « targuer » de la numérisation du casier judiciaire et de l’installation du bracelet électronique pour une catégorie de détenus.

Mais, qu’on le sache, les activités du ministère de l’Intérieur ne se limitent pas aux seules pièces d’Etat civil. Elles vont plus loin, en englobant la sécurité des biens et des personnes- à travers les services de police et de protection civile-, la gestion des Collectivités locales, le cadre de vie en milieu urbain et rural,…etc. La géolocalisation des quartiers et des rues, avec la rénovation et la stabilisation de la toponymie, devant permettre un meilleur acheminement du courrier postal, n’est pas encore là. Les cartes numérisées des zones inondables, des zones non constructibles et des failles géologiques dont doivent se servir les services d’urbanisme, ne sont pas encore là.

Au vu de plans quinquennaux mis en œuvre depuis l’année 2000, et des sommes colossales qui y sont injectées, l’organisation et la gestion de ces segments de la vie nationale auraient pu atteindre, au minimum, le niveau des pays émergents. Or, l’on constate, par exemple, que les inondations des villes continuent à pâtir de grands retards en matière d’alerte. En fait, il n’y a réellement d’alerte que celle du bulletin météo spécial (BMS), lequel demeure aléatoire, aussi bien sur le plan géographique que de l’intensité. Ailleurs, les niveaux d’alerte sont gérés numériquement, par le signalement de la côte d’alerte de l’élévation des eaux sur les parties amont du bassin versant. Lorsque la hauteur d’alerte, calculée et connue bien à l’avance, est signalée par le dispositif électronique établi au travers du cours d’eau, les services de la protection civile, du département et de la sous-préfecture reçoivent le signal sur les terminaux placés dans leurs bureaux, et les premières mesure sont prises sur le champ (pour évacuer les écoles, certains quartiers,…).

Du numérique pour organiser la vie publique

Cela fait plus de dix ans que le gouvernement a fait état de l’élaboration de cartes des zones inondables numérisées qui seraient mises à la disposition des communes, des wilayas, des services de l’urbanisme et des bureaux d’études. À ce jour, on continue à construire sur les zones inondables. Les constructions réalisées sur ces zones depuis la fin des années 1990, lorsque le reflux de l’insécurité a permis une « razzia » sur les terres publiques, sont toujours là. Il s’agit, bien sûr de celles qui ont « survécu » aux différentes inondations.

L’accès à la technologie numérique, qui est en train de se « banaliser » sous d’autres cieux- loin de se limiter à la gestion des risques majeurs et des catastrophes naturelle- fait partie des ambitions et des objectifs de développement et de croissance. Entre autre facteurs de compétitivité des entreprises, la technologie numérique- avec la gestion informatisée, la mise en réseau d’unités et des filiales, ainsi que l’exploitation efficiente de l’internet- constitue un facteur de poids qui est en train de bouleverser les rendements, les performances et les relations de travail. À l’occasion de cette avancée prodigieuse, de nouvelles méthodes de travail et d’ergonomie sont en train de s’installer, jouant sur la mobilité (par exemple, le travail à distance), les horaires, la sous-traitance, l’externalisation, la personnalisation de certaines tâches,…etc.

Il est quand même curieux que la visite de la ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication dans une wilaya, c’était en août 2015, soit couverte par l’agence officielle de presse par ce titre: « Régularisation de tous les bénéficiaires de contrats de pré-emploi avant la fin de l’année« . Oui, on peut comprendre l’enjeu de l’emploi dans cette période cruciale d’une crise financière qui risque de remettre en cause bien des acquis et de faux acquis- à commencer par l’emploi précaire financé par des dispositifs publics depuis près de quinze ans-, mais, une telle insistance sur des emplois à régulariser dans ce secteur, est aussi un symptôme qui ne trompe pas du faible intérêt que l’Algérie accorde à ce segment de la vie économique.

Pour donner une fausse visibilité de ce secteur, les autorités, et parfois la presse aussi, mettent l’accent sur les « flonflons » de chiffres qui insistent sur des réalisations dont il importe de faire des louanges. Ainsi, on répète à qui mieux mieux le nombre d’Algériens connectées à la téléphonie mobile. Ce nombre dépasse le nombre…d’habitants, puisque les jeunes se permettent deux ou trois puces des opérateurs existants. De même, on continue à surveiller le compteur des abonnés de la 4G, lesquels, dit-on, dépassent 4 millions d’abonnés.

Les ambitions de l’Algérie de fournir l’internet aux pays de l’Afrique subsaharienne sont battues en brèche par les aléas pesant sur la fiabilité discutable du réseau au niveau national (installations matérielles et débit).

L’esprit rentier se pose en obstacle aux nouvelles technologies

Quant à l’usage qui est fait de ces outils technologiques modernes, l’impact sur l’économie demeure encore fort modeste. Le joyau de l’affaire, à savoir le contenu, demeure des plus modestes. Le côté ludique et spectacle continuent à l’emporter sur la modernisation de l’économie. Peu d’entreprises, y compris les banques, exploitent vraiment de façon optimale les possibilités qu’offre la gestion numérique, aussi bien par l’installation de logiciels de gestion que par la mise en réseau.

Le projet de « gouvernance numérique », dont on a souvent exalté les vertus et les ambitions, date de 2008. Dans le corps du texte, on retrouve cette déclaration de principe: « Ces deux éléments [technologies de l’information et de la communication et savoir] constituent des facteurs décisifs de transformation rapide des modèles économiques et sociaux en raison de leurs effets transversaux sur tous les secteurs de l’industrie et des services, de leur capacité à accélérer la circulation de l’information et de la forte valeur ajoutée induite par ce nouvel actif immatériel qu’est le savoir. Les nations les plus puissantes du monde ont vu leur croissance dopée par la priorité accordée à ces deux facteurs, source principale de création de richesse et de gain de compétitivité« .

Indubitablement, la faiblesse et le retard de ce secteur- qui dépasse la notion de « secteur », puisqu’il est censé irriguer toute la vie économique et sociale du pays- sont consubstantiellement liés à la nature rentière de l’économie nationale qui, malgré le signal rouge de la baisse des revenus en hydrocarbures, n’arrive pas encore à libérer l’entreprise aux fins de production, d’échanges et de création d’emplois.

 

Auteur
Amar Naït Messaoud

 




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