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Les manœuvres politiques en Algérie : vers un nouveau simulacre électoral ?

Hirak Tanekra

A la suite des manifestations du Hirak/Tanekra, plus de 300 détenus croupissent encore dans les prisons.

En Algérie, une nouvelle phase politique semble s’amorcer. A l’issue du simulacre d’élection présidentielle, après plusieurs années de stagnation et de tensions politiques croissantes, l’essentiel de la classe politique semble en passe de réintégrer le processus électoral.

Ce retour honteux, bien qu’annoncé sous des apparences démocratiques, suscite d’énormes questions, tant sur sa légitimité que sur ses véritables motivations.

En effet, il est à craindre que, pour la énième fois, les aspirations populaires nées du Hirak soient trahies par ceux-là mêmes qui, peu ou prou, nourrissent l’apparence et la prétention de les incarner. À la veille du 70e anniversaire du 1er novembre, les manœuvres qui se trament en coulisses commencent à devenir perceptibles.

L’un des aspects les plus inquiétants de cette période est l’usage cynique des prisonniers politiques comme monnaie d’échange dans la réintégration des partis politiques, y compris, peut-être, ceux autrefois proches du Hirak, dans le processus électoral.

Ces partis, ayant parfois incarné une certaine contestation du régime, semblent aujourd’hui prêts à abandonner leurs principes au profit d’une participation électorale, qui s’avèrera, comme par le passé, une farce politicienne.

En s’associant à un régime qui utilise la libération factice de prisonniers politiques comme un levier pour restaurer sa crédibilité, ils risquent non seulement de trahir les idéaux du Hirak, mais aussi de saper davantage la confiance populaire dans le peu de composante crédible de la classe politique.

L’instrumentalisation des prisonniers politiques : un sinistre rappel de décembre 2019

Cette situation n’est pas sans rappeler un épisode clé dans l’histoire récente de l’Algérie : l’élection présidentielle de décembre 2019. À ce moment-là, face à une mobilisation populaire sans précédent, le régime avait également tenté d’apaiser la colère du peuple en procédant à des libérations ciblées de certains détenus politiques, tout en maintenant les poursuites judiciaires contre eux.

Ce jeu de dupes, conçu pour masquer l’absence de réformes profondes, avait permis au régime d’atténuer la dénonciation des élections largement contestées et marquées par un taux record d’abstention.

Aujourd’hui, à l’approche du 1er novembre, les signes d’une répétition de ce scénario sont de plus en plus évidents. Le pouvoir, en quête de légitimité, pourrait à nouveau libérer des prisonniers politiques, sans toutefois lever les poursuites judiciaires à leur encontre, ni procéder à une ouverture démocratique qui participerait d’une transition politique. Une telle « libération » serait une tentative grossière de manipuler l’opinion publique, en feignant une réponse aux revendications populaires tout en perpétuant l’ordre établi.

Cette stratégie est d’autant plus pernicieuse qu’elle semble conçue pour diviser le mouvement populaire et fragmenter la société civile.

En relâchant certains prisonniers tout en maintenant la répression contre d’autres, le régime espère peut-être créer une illusion de progrès, tout en s’assurant que les voix les plus critiques restent muselées.

Le droit des détenus à s’autodéterminer : refuser l’instrumentalisation de leur situation

Face à cette situation, une question cruciale se pose : que pensent les prisonniers politiques de cette manœuvre ? Après tout, ils sont les premiers concernés par ces jeux de pouvoir, et il est regrettable que leur opinion soit rarement prise en compte dans les discussions politiques.

L’instrumentalisation de leur situation est non seulement injuste, mais elle constitue également une atteinte à leur dignité et à leurs droits fondamentaux.

Il serait tout à fait légitime que les prisonniers eux-mêmes puissent s’exprimer sur la manière dont ils souhaitent que leur libération soit utilisée dans le débat politique. Accepteront-ils d’être les instruments d’une nouvelle trahison des aspirations populaires ? Ou refuseront-ils de cautionner un processus qui, sous couvert de libération, ne fait que renforcer le statu quo ?

Les détenus politiques ont le droit de s’autodéterminer et de refuser toute instrumentalisation de leur situation à des fins purement politiciennes.

Il est possible que certains d’entre eux, les plus conscients et les plus courageux, choisissent de se lever pour dénoncer cette manœuvre et réaffirmer leur attachement à une véritable transition démocratique. Cette prise de position serait un acte de résistance important, non seulement contre le régime en place, mais aussi contre tous ceux qui, au sein de la classe politique, semblent prêts à sacrifier les aspirations du peuple pour des gains électoraux à court terme.

Un regard sur l’histoire : la leçon de la guerre d’indépendance

Pour comprendre la situation actuelle, il peut être utile de se tourner vers l’histoire récente de notre pays. Durant la guerre d’indépendance, de nombreux patriotes algériens furent emprisonnés par les autorités coloniales. Ces prisonniers, loin de se résigner à leur sort, ont joué un rôle crucial dans la lutte pour l’indépendance.

Leur devoir en prison était de s’organiser, de maintenir un climat militant, et de revendiquer leur statut de prisonniers politiques. Ils avaient aussi le devoir de chercher à s’évader, car pour eux, la lutte pour la liberté ne s’arrêtait pas aux murs de la prison.

Cependant, le Front de Libération Nationale (FLN) ne faisait pas de la libération des prisonniers une revendication en soi. Pour le FLN, la libération des détenus était consubstantielle à l’accession à l’indépendance. Autrement dit, la libération des prisonniers politiques ne pouvait être obtenue que par la victoire du mouvement de libération nationale dans son ensemble.

Cette vision stratégique a permis au FLN de maintenir la pression sur le pouvoir colonial sans se laisser distraire par des concessions partielles.

Aujourd’hui, cette leçon de l’histoire est plus pertinente que jamais. Si les prisonniers politiques du Hirak doivent être véritablement libérés, ce ne peut être qu’en tant que partie intégrante d’un processus de transition démocratique globale. Sauf à saper ses fondements mêmes, une libération conditionnelle, sans réformes structurelles, ne doit avoir aucun impact stratégique sur mouvement populaire.

La trahison des aspirations populaires : un scénario récurrent

Il est malheureusement devenu presque une habitude en Algérie de voir les aspirations populaires trahies par ceux-là mêmes qui devraient les incarner. Depuis l’indépendance, le pays a connu plusieurs phases de révolte et de contestation, souvent suivies de périodes de répression ou de récupération politique.

Le Hirak, mouvement de contestation populaire lancé en février 2019, suscite encore l’espoir d’un véritable changement. Les manifestations massives qui ont secoué le pays pendant plusieurs mois trouvent écho dans le tsunami du rejet exprimé le 7 septembre passé..

Cependant, malgré la mobilisation sans précédent du peuple algérien, les élites politiques ont du mal à s’engager réellement, à se soustraire de l’emprise sur le pouvoir. L’épisode de décembre 2019 en est un exemple frappant, mais il n’est qu’un parmi d’autres.

Aujourd’hui, alors que le processus électoral se prépare à reprendre dans les mêmes conditionnalités que par le passé, il est à craindre que l’histoire ne se répète une fois de plus.

La libération des détenus politiques, sans levée des poursuites et sans réformes démocratiques réelles, ne serait qu’une nouvelle tentative de tromper le peuple. En offrant des concessions minimes, le régime espère apaiser la colère populaire sans pour autant procéder aux réformes structurelles indispensables. Cette stratégie, bien qu’efficace à court terme, est vouée à l’échec sur le long terme, car elle ne fait que repousser les problèmes sans les résoudre.

L’enjeu de la transition démocratique : sortir du système pour un changement radical

Le véritable enjeu pour l’Algérie aujourd’hui est de sortir du système en place et de commencer à concrétiser le changement radical que le peuple réclame depuis des années. Cela implique une rupture nette avec le régime actuel et la mise en place d’une transition démocratique, fondée sur la participation populaire et le respect des droits fondamentaux.

Cette transition ne pourra se faire que si toutes les forces vives du pays, y compris les prisonniers politiques, s’unissent pour réclamer des réformes profondes et durables. Il ne suffit pas de procéder à des changements cosmétiques ou de libérer quelques prisonniers pour apaiser la colère populaire. Ce dont l’Algérie a besoin, c’est d’une transformation structurelle de son système politique, économique et social.

Les prisonniers politiques, en tant que symboles vivants de la lutte pour la démocratie, ont un rôle crucial à jouer dans ce processus. En refusant d’être instrumentalisés par le régime, et en réaffirmant leur attachement à une transition démocratique, ils peuvent contribuer à maintenir la pression sur le pouvoir et à empêcher toute tentative de récupération politique.

Vers un avenir incertain

L’Algérie se trouve à la croisée des chemins. Le pseudo dialogue politique annoncé par Tebboune, porte déjà la marque de l’instrumentalisation des prisonniers politiques, celle de volonté corruptrice de chercher la réintégration des partis proches du Hirak dans le processus électoral, et surtout celle de l’absence de velléité de procéder à des réformes profondes. Ce simulacre ne peut ouvrir la voie à une véritable transition démocratique, il ne constitue qu’une nouvelle trahison des aspirations populaires.

Le peuple algérien, qui a tant sacrifié pour la liberté et la justice, mérite mieux que des concessions superficielles et des promesses vides. Il est temps que toutes les forces politiques, y compris les prisonniers politiques, prennent position pour un véritable changement.

L’avenir de l’Algérie dépend de leur capacité à s’unir et à exiger des réformes structurelles qui mettront enfin fin au système en place et ouvriront la voie à un avenir démocratique.

Mohand Bakir

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