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Les médecins algériens exportés et moi, « un Hizb França » !

 

Pourquoi les chefs d’Etat algériens se font soigner en Europe ? C’est pour consulter les médecins algériens, ils y sont tous, voyons ! Où voulez-vous que ces médecins soient pour faire honneur à la patrie ? Celle pour laquelle nous sommes invités à nous mettre à genoux devant le drapeau de la gloire, de la dignité nationale et de la mémoire des morts.

Moi, le paria, le pestiféré et le hizb frança, j’apprends que 12 000 médecins, formés par la patrie, au prix des larmes et du sang des chouhadas, la désertent au moment où elle en a le plus besoin.

Eux, dont le cynisme est de fuir en pleine épidémie qui n’a jamais touché autant les Algériens que durant cette dernière vague. Sans compter la crise sanitaire perpétuelle que subit ce pays depuis toujours, incapable de fournir aux algériens une médecine de qualité sans les obliger à se ruiner dans les structures privées. Et encore, le feraient-ils que ce ne serait pas assez pour y accéder à la hauteur de leurs besoins de santé.

Moi, un jeune garçon que l’on traitait depuis la maternelle de hizb frança apprend que ceux qui criaient dans la meute ont engendré une génération suivante qui va trahir le pays, le déserter pour une bouchée de pain, sans honte ni conscience. J’apprends qu’ils vont abandonner des millions d’algériens dans la souffrance.

C’était bien leur langage que je reproduis fidèlement. Je ne fais que rappeler leur doctrine. Que fais-je de mal sinon être fidèle à leurs idéaux et leur vocabulaire qu’ils ont tellement eu de mal à m’apprendre. Ils avaient même essayé avec une langue étrangère, l’arabe classique, qui devait me remettre sur le droit chemin de mes racines.

Ces médecins sont, pour la plupart, les enfants de ceux qui m’avaient traité de déserteur à sa patrie lorsque j’avais refusé de faire le service militaire pour un pays qui m’avait pourtant nourri et formé, selon eux. J’étais un algérien indigne et de peu de scrupules, effronté à revendiquer une nationalité que j’avais foulée aux pieds.

Francophone, j’étais un traître. Sans service militaire, j’étais un insoumis. Sans revenir au pays, j’étais un ingrat. C’est donc avec légitimité que je qualifie ces médecins de traîtres à la patrie, à la nation, aux chouhadas, aux valeurs de la religion et à la terre des ancêtres. J’ai bien appris la leçon, non ?

J’ai appris de mes erreurs et je n’hésite pas aujourd’hui à fustiger les enfants de mes juges. Avec l’âge et la maturité, j’ai compris ma grave erreur de jeunesse, tellement que je suis outré de tant de lâcheté et de mépris à cette terre nourricière de la part de cette cohorte de médecins.

Un jour, avec Aït-Ahmed

Je me souviens d’une visite à un hôpital près d’Alger, très moderne et réservé à d’autres patients qu’aux malheureux. J’étais avec Aït-Ahmed et nous avions été invités par la section locale de notre parti dont beaucoup de membres exerçaient dans l’établissement, surtout en infirmiers.

Lors du traditionnel pot de bienvenu, à l’écart du groupe, un grand ponte en chirurgie vint me voir. Non pas que j’étais perçu comme un homme politique important mais parce qu’il voyait bien que j’étais l’attaché de presse auprès d’une équipe de la télévision française.

Il avait tout fait pour obtenir une bonne séquence médiatique de sa personne auprès d’une chaîne très regardée à l’époque, ce que je lui avais permis. Lorsqu’il obtint les images qui allaient être diffusés et qu’il savait que je n’avais aucun pouvoir pour les censurer par la suite (ce qui d’ailleurs n’est absolument pas dans mon esprit), il s’approcha de moi et me dit « Vous qui venez de France, vous avez une admiration aveugle envers les médecins français et vous ne jurez que par eux ».

Mais si ce n’était que cela, ce grand nationaliste avait insisté et a fini par me lancer les éternels mots de traître, de vendu à la France qui insultent la mémoire des morts qui m’avaient tant donné. Il le disait avec beaucoup de manières et de sourire, mais il le disait.

Si je raconte cette petite anecdote, ce n’est pas pour son importance en elle-même. C’était insignifiant, très marginal et n’engage à priori qu’un individu. C’est en fait un échantillon représentatif de tout ce que nous avons enduré, avec patience et calme, durant des décennies.

Alors, chers lecteurs, aujourd’hui que je me conforme aux propos de ce grand chirurgien et à tellement de leçons qui m’ont été données pour me culpabiliser, je peux dire ce qui doit être dit lorsqu’on devient, enfin, un vrai patriote. Ces milliers de médecins qui quittent le navire alors même que ce pays de fils de chouhadas en a le plus besoin, sont indignes de notre respect.

J’ai enfin appris la leçon, à mon âge, je ne fais plus honte à la patrie puisque je fustige ceux qui l’ont honteusement déshonorée. Non ?

Le Numerus Clausus et la grande hypocrisie

Revenons à la source de ce qui explique cette demande de médecins algériens car ce n’est pas pour leur renommée mondiale même si je ne conteste nullement leur compétence.

Le véritable Numerus Clausus français pour l’entrée en médecine, après une année de préparation, remonte à 1971. L’origine de la limitation des accessions aux études de médecine (numerus clausus = nombre fermé, limité) venait du fait de l’explosion des candidatures au lendemain de 1968. Ce n’est pas tant le nombre de médecins qui était en cause mais la limitation des possibilités de stages dans les hôpitaux.

Il fallait assurer à tous les étudiants en médecine une place en stage hospitalier sans lequel il ne peut être question de validation du statut de médecin. Ainsi les études de médecine étaient promis à ceux qui parvenaient à franchir le terrible cap du concours à la fin de la première année. Un concours qui ne voulait pas dire son nom car c’est totalement hors de la doctrine française pour accéder aux études supérieures, la seule condition légale étant l’obtention du baccalauréat.

Toutes les hypocrisies ont été présentées dans cette histoire, citons parmi les très nombreuses, deux qui me viennent à l’esprit. La première est la critique concernant les disciplines qui concernent la sélection. Elles n’ont, malgré toutes les promesses d’une réforme, qu’un rapport très lointain avec les compétences de l’exercice du métier.

Pendant de très nombreuses années, la première année consistait en un concours de mathématiques que chacun conviendra de l’éloignement de la médecine. Le numerus clausus existait en fait bien avant son renforcement en 1971 et nous connaissons l’argument très célèbre du recteur Jean Sarrailh, « Si vous trouvez un autre moyen de sélectionner, dites-le moi ».

La seconde hypocrisie fut un argument postérieur qui voulait légitimer un numerus clausus qui commençait à avoir une sérieuse opposition face à l’armée d’étudiants qui ne parvenaient pas à cette seconde année. Alors on nous a dit que la France se devait d’assurer le haut niveau de formation médicale et que seuls les meilleurs le garantissaient, pour l’intérêt supérieur de la santé publique. 

Puis est venu, inévitablement avec cette politique, le temps de la pénurie de médecins, un désert  médical dont la France souffre. On a vu des désertifications massives et certains lieux ruraux ne peuvent avoir un médecin après la retraite de ceux qui étaient en place.

Toujours dans cette grande hypocrisie, on a continué à se réfugier dans les anciens arguments dont plus personne ne croit en leur validité.

Pour contourner le mur sélectif de la fin de première année, de nombreux étudiants français allaient faire des études de médecine dans des pays qui n’étaient pas très regardant sur la sélection, dès lors que les frais d’inscription étaient honorés. Ce fut pendant longtemps le cas de la Roumanie.

Le Président Sarkozy a voulu mettre fin au numerus clausus dont j’entends la promesse depuis mon arrivée en France, il y a plus de quarante ans. Sa loi devait défaire définitivement ce carcan qui mène la France vers un désastre médical certain et dont les graves conséquences se payent aujourd’hui, avec 12 000 médecins recrutés en Algérie, après tant d’autres pays. 

Car, bien entendu, après la promesse de Sarkozy, le mur de la première année est resté en place avec de très infimes ouvertures en considération de l’énorme besoin du pays. Les conservatismes résistent et on nous annonce, de ministre en ministre, la levée de cette cause dont on sait l’origine des maux et qui résiste comme une mauvaise croyance séculaire.

En fin de compte, il vaut mieux passer des études de médecine en Algérie dont personne ne contrôle la qualité, si longtemps mise en avant en France pour justifier le numerus clausus, que se fracasser   dans un concours français qui élimine jusqu’aux meilleurs. Une logique qui m’échappe.

La rencontre des hypocrisies

Et c’est ainsi que deux mondes hypocrites se sont rejoints. Les uns criant au nationalisme, pur et dur, les autres affirmant vouloir maintenir un niveau de recrutement sur lequel les autorités médicales ont une compétence de validation, malgré l’écroulement du système de sélection.

Et les dindons de la farce seront toujours les mêmes. Vous allez voir que beaucoup vont retourner au pays occasionnellement (ils ne sont pas fous pour un retour définitif) et raconter, partout où ils auront l’occasion de le faire, que des mauvais algériens, traîtres à leur patrie, indignes citoyens insultant la mémoire des chouhadas, vivent en France sous le couvert de l’opposition depuis de nombreuses années, après avoir reçu le sein maternel de la patrie. J’ai une tête toute désignée pour avoir bu beaucoup de son lait. 

Franchement, on aurait tant aimé l’exportation d’officiers militaires algériens dans le même colis. Cela aurait été un acte de salubrité publique.

Boumédiene Sid Lakhdar

Enseignant

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