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Les quatre conditions pour s’en sortir

Algérie

Les quatre conditions pour s’en sortir

Certains affirment que nous allons dans le gouffre avec les annonces quotidiennes de l’échéance que tout le monde redoute. J’affirme que nous ne risquons rien, nous sommes déjà dans les ténèbres de l’humanité depuis un demi-siècle. La population entrevoit la déflagration, moi, je perçois un avenir radieux car après les ténèbres, il y a la lumière, à la condition de mettre en œuvre quatre conditions.

Les esprits faibles se sont bien vengés de ce qu’ils estimaient être leur malaise vis à vis des couches sociales francophones de l’époque de ma jeunesse, c’est une chose entendue. Les esprits compromis se sont bien arrangés avec un régime qui les a portés au sommet de leur ambition, sociale et financière, c’est une évidence. Mais il est un moment où cette explosion ne trouve plus d’énergie car ce qui a été détruit menace les destructeurs eux-mêmes.

Les ténèbres de l’esprit et de la politique ont fait leur œuvre, il n’y a plus rien à en craindre aujourd’hui, si ce n’est quelques spasmes de ceux qui sont mourants dans leur combat qui ne peut plus aller au-delà de la barbarie et de la monstrueuse impasse dans laquelle nous sommes. Ils sont à l’image d’un président momifié et grabataire.

Et les ingrédients de l’hypnose ne fonctionnent plus véritablement. L’appel à la mémoire des chouhadas, de l’identité, du drapeau et de l’hymne ne permettent plus l’endormissement et le chantage affectif auprès d’une population qui a d’autres effigies en adoration comme Google et Facebook. Et on ne peut leur en vouloir car c’est une protection indestructible.

Quelles sont donc les solutions auxquelles nous impose de croire l’histoire de l’humanité ?

Remettre la religion à sa place, dans l’intime

L’histoire est implacable, tous les despotismes finissent par tomber, vaincus et définitivement à terre, particulièrement celui de la religion. On ne peut pas concevoir que les générations algériennes à venir vont continuer à accepter une oppression délirante de la religion, étouffante et liberticide.

Il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux ou regarder vivre ces jeunes, soit à l’étranger, soit en situation de villégiature, pour comprendre que la religion despotique a déjà perdu.

Les jeunes et, surtout les femmes, n’accepteront pas plus longtemps encore de servir un dogme qui est sorti de son cadre philosophique pour venir dicter les règles de vie à des millions d’algériens, écrasés et totalement dirigés dans leur vie civile et réflexion intellectuelle.

La religion, de gré ou de force, finira comme toujours, à genoux et réduite à disparaître dans sa forme hégémonique du moment. C’est un fait indiscutable car la vie reprend toujours le dessus sur les ténèbres. Il ne reste aux croyants que deux solutions, la voir disparaître définitivement ou se marginaliser, ou alors se la réapproprier dans le sens des valeurs saines qu’elle contient et que beaucoup n’ont pas lues ou compris.

La religion doit être exclue du champ public et revenir à sa destination première, une foi intérieure avec ses valeurs de partage, de paix et de progrès. C’est seulement à ce prix que l’Algérie s’en sortira car toutes les autres conditions sont tributaires du déblocage de ce verrou de la fermeture dogmatique et sectaire, violemment liberticide.

Libérer la moitié des algériens, les femmes

Cette seconde condition est directement la conséquence de la première. Elle consiste en un premier temps en un geste symbolique, brûler à jamais cet immondice de l’humanité que constitue le code de la famille. C’est une honte profonde et historique de l’Algérie que ce texte du 7e siècle, en contradiction majeure avec l’avancée des civilisations.

Non seulement c’est une condition morale de retrouver la dignité d’un peuple mais c’est une libération de forces économiques considérables. L’Algérie ne peut plus continuer à vivre avec la moitié de sa population réduite à l’esclavage légal, vestimentaire et moral. Les femmes doivent être définitivement rétablies dans leurs droits fondamentaux.

Le jour où ce pays comprendra qu’une petite fille naît avec les mêmes droits et la même force d’intelligence qu’un petit garçon, nous serons enfin libérés d’un solide verrou qui emprisonnait cette société au Moyen-âge.

Par conséquent, car cela est incontestablement la cause profonde, il faut préparer un gigantesque renouveau et un massive thérapie de remise en ordre de la sexualité algérienne, psychanalytiquement engluée dans une rage de désir inassouvi. Les algériens sont dans une impasse sexuelle inassouvie et torturée.

Cette société doit s’apaiser et retrouver le sens de l’équilibre et de l’extraordinaire rapport entre les femmes et les hommes. Ce miracle de la nature qu’est la symbiose entre les deux sexes doit mener à l’explosion du printemps, de la liberté et de l’intelligence. Or, c’est une explosion maladive à laquelle nous assistons.

Il n’y a que les faibles d’esprit ou les névrosés qui s’accommodent du traitement barbare subi par les femmes. Non seulement c’est inacceptable mais cela augmente jour après jour leur besoin de dominer car ils ne seront jamais apaisés, dans les conditions actuelles de la société algérienne. Et comme toujours, ceux qui en ont les moyens, financiers ou intellectuels, s’en sortent en créant des villégiatures intérieures ou s’enfuient vivre en liberté, ailleurs, pour revenir à l’habit austère et socialement convenable, une fois revenus sur le territoire national.

L’article 8, le plus barbare du code de la famille, permet aux pervers d’acheter autant de femmes que leur permet leur richesse puisque la seule condition est « l’équité », un mot terrifiant lorsqu’il est utilisé en la matière. C’est dire combien la solution algérienne doit d’abord régler cet immense problème de soumission à la barbarie.

Apaiser la relation des composantes nationales

Autant que les deux verrous précédents, celui-ci continue et continuera toujours à constituer un frein à l’unité nationale, dans une diversité heureuse.

Je n’ai pas de solution miracle car le problème est épineux et, surtout, a été laissé dans un état déplorable. Mais je sais une chose, toutes les inscriptions constitutionnelles n’y feront rien si on n’accepte pas définitivement que nous sommes tous les descendants de la Numidie, ce pays qui est le nôtre.

C’est si évident et si simple à le dire. Cela n’enlève en rien les couches successives de l’histoire que personne ne peut ni n’a l’intention d’effacer à moins de se muer en despote à son tour.

Cessons de proclamer que nous sommes exclusivement un pays arabo-musulman et vivons notre algérianité comme elle se présente. Continuer à heurter l’identité de mes compatriotes, c’est heurter la mienne car je suis profondément le résultat de cette terre, entière et diverse.

Faisons en sorte qu’ils soient apaisés et que nous partagions avec eux la beauté de notre identité au lieu d’être confrontés perpétuellement à leur colère, légitime car ils se sentent exclus par la qualification de nation arabo-musulmane.

L’introduction de la langue berbère dans la constitution est une incongruité si nous ne sentons pas qu’elle est notre part d’identité et non une pièce à part. C’est en tout cas le sens de toute une vie de militantisme qui est la mienne.

Un procès pour solder le passé

Aucune société n’a pu envisager son avenir sans affronter courageusement son passé. Si certains croient en la justice divine, moi je crois que les comptes se règlent sur cette terre. Cela s’appelle la justice des Hommes libres.

Il est impossible que ce pays retrouve sa sérénité sans que les grands responsables de ce gigantesque crime de terreur et de corruption ne comparaissent pour s’expliquer devant la société qu’ils ont mutilée et pillée.

Il serait fastidieux de citer les grands procès de l’histoire qui ont fini par apaiser les sociétés, dont le dernier fut celui de l’Afrique du Sud. Juger le comportement criminel de certains n’est pas une vengeance mais de la justice sereine. On ne peut avancer si des explications ne sont pas données, si la parole ne s’extirpe pas et reste au fond des mémoires. Dans ce dernier cas, la déchirure reviendra toujours hanter une société qui ne sera jamais libérée de ses monstres qui la hantent.

La conclusion de cet article est que le salut de l’Algérie n’est que partiellement dans les conditions économiques, en eux-mêmes, mais dans les causes qui fondent le processus économique. Or ces causes sont les êtres humains libres et heureux. L’économie en est la conséquence et certainement pas la cause.

Les Algériens ont toujours attendu que le miracle économique les sorte de la difficulté. Hier, par le pétrole, aujourd’hui par je ne sais quel projet pharaonique dont ils rêvent.

L’économie, ce sont les êtres humains qui la génèrent, par leurs rêves et leurs ambitions. C’est la raison pour laquelle je serais d’un très grand optimisme s’ils prenaient la peine de satisfaire ces quatre conditions fondamentales.

La crétinerie religieuse et le nationalisme, portés au summum de leur délire ne peuvent que laisser place maintenant à une réaction forte des nouvelles génération. C’est une loi de la nature humaine et de l’histoire.

Elle est inéluctable, l’Algérie retrouvera enfin son intelligence et son projet, celui que nous avions rêvé lors de notre jeunesse, dans ce pays qui m’a vu naître.

S.L. B.

Auteur
Sid Lakhdar Boumédiene, enseignant

 




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