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Les ravages de lieux communs et de l’inculture….

Institutions

Les ravages de lieux communs et de l’inculture….

Ainsi des têtes ‘’pensantes’’ définissent l’État comme une addition d’administrations gérant la société, ignorant au passage le Politique. Ce dernier détient le vrai pouvoir et a à son service la loi et des bras armés (police et justice) pour faire appliquer les lois par lesdites administrations. Pauvres Machiavel, Marx, Montesquieu, Hobbes  et tant d’autres qui ont légué à l’humanité l’essence du Politique, le socle sur lequel repose le monstre de l’Etat moderne. Quant à la notion de peuple, d’aucuns donnent leur définition en se regardant dans un miroir. Eux aussi oublient de fouiller dans les archives d’un tribunal sans magistrats mais portant sur le fronton de son bâtiment Histoire. Celle-ci  ne fait pas de distinction entre ses enfants mais les désigne par un nom pour faciliter leur identification. A l’évidence cette ignorance ou cette impuissance devant la philosophie de l’Histoire désarme plus d’un. Par masquer leur ignorance, ils invoquent alors la multiplicité des avis et opinions sur les événements historiques.

Ne savent-ils pas que l’histoire n’échappe pas à l’idéologie de ceux qui l’écrivent. Ne savent-ils pas que l’Histoire comme toutes les sciences fait des progrès en fonction des découvertes de nouvelles archives ou bien quand les pouvoirs politiques lèvent le secret sur des événements gênants. Enfin l’histoire s’éclaire quand cette science élabore de nouveaux d’outils théoriques. Tous ces progrès, levée des secrets d’Etats et élaboration de nouveaux concepts théoriques suffisent pour cerner les notions d’Etat, de nation, de peuple, d’identité. En dépit de ces avancées, il est des gens qui persistent à servir au bon peuple des lieux communs.

Pourtant, ce n’est pas les exemples qui manquent pour se rendre compte de la complexité des choses qui relèvent de l’Histoire. La crise en Espagne actuellement est née à la suite de la déclaration de l’indépendance de la Catalogne. La difficulté à résoudre cette crise découle de deux légitimités produites par l’histoire. La Catalogne est une entité politique et culturelle qui n’a pas toujours été intégrée à l’Etat espagnol. Ce dernier avance des arguments à la fois historiques et constitutionnels pour refuser un divorce qui porterait atteinte à l’intégrité du pays. Réfléchir sur l’Etat, institution éminemment politique, est impossible sans tenir compte de l’histoire et des rapports de force qu’elle engendre. C’est pourquoi lesdits Etats sont ‘’affublés’’ de qualificatifs, démocratique, populaire, fédéral, confédéral etc. Derrière ces qualificatifs se nichent dans les entrailles du pays en question une histoire particulière, une ou des cultures, une ou des religions qui cohabitent. L’État américain ne ‘’pouvait’’ être que fédéral comme la république française ne ‘’pouvait’’ être que jacobine.

Un simple regard sur l’histoire de ces deux pays éclairera donc notre lanterne. La notion de peuple est elle-même tributaire de la nature de l’État. A l’intérieur de ce dernier, on peut aussi bien parler de peuple au singulier qu’au pluriel. On parle de peuples au pluriel dans des immensités territoriales où un État conquérant occupe un territoire en permettant à la communauté qui y habite de vivre selon ses traditions, croyances, sa ou ses langues, sauf que la souveraineté du territoire échappe aux autochtones.… On rencontre cette situation aux USA (1), au Canada et dans l’ex-union soviétique où existaient des républiques avec leurs langues et leurs particularismes.

Mais dans les pays dont l’histoire se perd dans la nuit des temps et à cause précisément de cette longue histoire, les déplacements et les mélanges des populations ont finit par créer un nouveau paysage politique et culturel qui irrigue le tissu social dans lequel baigne ces populations. Quand bien même, le citoyen garde sa religion ou des pratiques culturelles (artistiques et gastronomiques), il se définit et se sent comme faisant partie du peuple habitant un territoire délimité. Dans certains pays, apparaît aujourd’hui un critère uniquement idéologique qui peut influencer le citoyen dans ses choix politiques. C’est pourquoi en France a été ‘’inventée’’ la notion de peuple de gauche et de droite. Ce critère idéologique sert à évaluer le degré d’engagement pour la justice sociale, l’égalité homme/femme ou bien la fidélité à la patrie quand le pays est envahi (exemple de la collaboration avec l’ennemi en France durant la seconde guerre mondiale)

Ces notions (État, nation, peuple) non maîtrisées produisent des poncifs et les lieux communs dans la vie politique. Ainsi en France, depuis le roi soleil, Louis XIV qui aurait déclaré ‘’l’Etat c’est moi’’ est devenu de nos jours ‘’l’Etat c’est nous les citoyens’’. Quelle aubaine pour les politiques qui abusent de ce mensonge en faisant avaler la pilule pour faire passer une réforme. Chez nous la notion de Beylik sert encore à des petits malins pour s’accaparer des biens publics et justifient leur conduite crapuleuse sous prétexte qu’ils ne volent pas les gens.

Voilà pourquoi, des définitions hasardeuses sur des notions politiques engendrent des poncifs qui formatent les esprits et facilitent le travail des petits marquis de la politique et de la culture. Ce formatage est organisé par les appareils idéologiques et les institutions politiques des États. Chez nous, on en voit les effets sur la société à qui on offre le choix entre la bigoterie et l’archaïsme des traditions et la ‘’modernité’’ mal digérée parce que produite ailleurs. Et on se demande pourquoi tant d’ennui dans notre morne quotidien. Et pourquoi les cerveaux tournent à vide alors qu’ils ont de l’intelligence à revendre..

Ce vide on le retrouve dans la notion de l’amour dont on n’ose même pas prononcer le mot. On a l’impression que l’Amour souffre non pas de la confusion des esprits mais plutôt de la confusion mentale. L’Amour que le bébé rencontre la première fois en suçant le sein de sa maman, le voilà chez nous, domicilié à un seul endroit, le lit et sa pratique se fait dans le noir et le silence. Ainsi l’amour vénéré par tous, sa beauté chantée par le poète, est surveillé au nom d’une morale puérile. Oubliées les tournées des troubadours qui colportaient les belles chansons à travers le royaume de l’Andalousie. Oublié cet héritage qui a profité à l’Europe médiévale. Cette Europe qui a découvert l’amour courtois des Andalous pour construire son discours amoureux  où se déploient l’intelligence et l’élégance dans le jeu de la séduction. Espérons renouer un jour avec cette vision des choses où le mot volupté retrouvera son délice et sa densité provoqué par la puissance du désir.

Il est évident que les poncifs et lieux communs sévissent ailleurs mais trouvent devant eux des résistances politiques par le biais des productions scientifiques et artistiques. Mais chez nous les lessiveuses pour nous débarrasser  des banalités qui plombent notre quotidien, souffrent des ratés de leurs moteurs. Dans cette bagarre contre cette fatalité devenue la norme indépassable de cette ‘’culture’’ archaïque, peu de places sont réservées aux langues et aux langages qui sont l’humus qui fertilise le champ des connaissances. Écoutons Aristote qui nous donne sa définition de lieux communs et de leurs rôles dans leurs oppositions à la science : « Les idées les plus générales, celles que l’on pouvait utiliser dans tous les discours, dans tous les écrits ».

On se demande pourquoi les lieux communs et les poncifs continuent à tenir leur place dans un monde ouvert à tous les vents, alors qu’Aristote (et beaucoup d’autres philosophes) les ont cloués au pilori il y a belle lurette. Parce qu’on préfère faire ‘’voyager’’ les gens dans le trou noir de l’univers, un voyage pathétique sans ticket de retour où l’on perd ses repères d’êtres vivants. Car un vivant ça réfléchit et donc dangereux. Le Ta ab taf hem (toi tu veux comprendre), de chez nous est un poncif qui dit tout sur la peur de la connaissance.

A. A.

Notes

(1) L’exemple des USA a séduit l’État d’Israël qui a proposé à Arafat lors des négociations de Camp David que les Palestiniens vivent sur la surface de la terre à Jérusalem avec leurs lois mais que le sol et le sous-sol de la ville sainte soit sous la souveraineté d’Israël.

Auteur
Ali Akika, cinéaste

 




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