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Les registres de langage, une marque d’éducation ou d’instruction ?

Instruction
Image par 455992 de Pixabay

Quel Algérien n’a pas entendu ou exprimé cette remarque, aussi embarrassée que sincère « Il n’est pas instruit mais il a une très bonne éducation ». Nous voilà confronté avec un questionnement, oxymore (mise en relation entre deux mots contradictoires) ou non ?

L’instruction acquise est l’ensemble des compétences transmises par l’enseignement. L’éducation est la capacité à s’affirmer dans son individualité tout en gérant la relation avec les autres dans une société et intégrer une culture et des valeurs communes.

Autrement dit l’instruction est dépendante de l’institution scolaire et l’éducation, du milieu familial et social. On dit que l’une transmet des savoirs et l’autre, des valeurs. Mais on dit pourtant « éducation scolaire » ou « système éducatif ». En fait on parle dans ce cas de l’éducation des valeurs et du comportement en milieu scolaire soit dans une communauté, pas des savoirs mais des savoir-être.

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La logique et la demande de la société assignent à l’école les deux missions. Mais un débat récent pousse certains intervenants du milieu scolaire à assumer une responsabilité d’instruction et ce serait aux parents d’assumer celle de l’éducation.

C’est bien cela qui suscite une divergence d’opinion entre les uns et les autres. « Il n’a pas d’instruction mais il a de l’éducation » suppose que les deux états peuvent être séparés puisqu’ils naissent dans deux environnements. On pourrait donc avoir l’une et ne pas avoir l’autre. C’est le cas d’une condition sociale ou tout simplement du décrochage scolaire pour diverses raisons.

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Il est très difficile d’aborder un tel sujet car il y a toujours un risque de suspicion de mépris envers toute personne. Il s’agit pourtant tout simplement de tester la validité de la séparation entre les deux états, l’instruction et l’éducation, pour la confirmer ou l’infirmer. Ce texte n’a rien à avoir avec le concept d’intelligence, une qualité humaine disponible chez tous à condition qu’elle soit bien utilisée, avec conscience et discernement. Normalement la qualification « d’intelligent(e) » n’est plus de cours dans les appréciations. Cela supposerait que certains ne le sont pas.

Notre expression du départ pose donc seulement la question des qualités « opérationnelles » de l’être humain. On peut l’appréhender et tenter de les mesurer de plusieurs manières en sachant qu’en un tel domaine il n’y a jamais une vérité absolue comme dans toute approche des phénomènes sociaux.

J’ai choisi de tester la validité de l’existence des deux états par confrontation avec les registres de langage qu’on appelle également les niveaux de langage. Autrement dit si les deux états sont séparables dans chacun des niveaux.

Il est convenu de l’existence de trois à quatre principaux niveaux de langage. Que ce soit à l’écrit ou à l’oral, le langage varie selon la personne et la situation. On ne s’adresse pas à un professeur comme à un ami ni ne prononçons pas un discours devant la classe comme dans un meeting. Il existe trois niveaux de langage, parfois quatre puisque l’un deux est possiblement scindé.

Le premier est le « langage familier » (voire argotique). C’est le langage entre amis, entre élèves à l’extérieur de la classe, au sein de la famille (« familier ») ou au café. Ou encore dans certaines émissions télévisées ou radiophoniques dans lesquelles le langage est décontracté pour un effet de convivialité ou d’humour.

Ce registre de langage est le plus souvent oral. «Refile-moi les clés de ta bagnole », «ça coûte du fric », «j’m’en fiche ! », etc.  Dans ce cas les deux états peuvent être utilisés par intermittence par chacun selon le contexte et les personnes à qui on s’adresse. Tout le monde peut maîtriser ce langage et l’utiliser dès lors qu’il est approprié et n’est pas grossier. Il n’y a donc pas d’exclusion entre les deux états des personnes, instruits ou éduqués.

Puis il existe le « langage courant ». C’est un langage quotidien, y compris dans la rue, mais beaucoup plus convenu dans son vocabulaire et dans sa structure. Il est présent dans les rapports entre personnes n’ayant pas de lien de proximité, dans l’apprentissage des élèves, dans la parole du professeur, dans la présentation des journaux télévisés ou de la presse, dans les courriers ou communications administratives et ainsi de suite.

Ce sont des phrases en général courtes, avec des constructions correctes, des formulations claires et  des expressions de politesse ainsi que le bon choix de l’utilisation du tutoiement ou du vouvoiement en fonction des personnes et des situations. C’est donc un langage neutre et quotidien sans recherche d’une rigueur excessive, « La voiture roule doucement car c’est un endroit dangereux ».

Dans ce registre, les deux états commencent à être séparés, voire totalement éloignés pour certains. L’instruction y contribue d’une manière naturelle alors que la simple éducation (non scolaire) aura tendance à rester au niveau précédent, même avec une politesse et correction incontestables.

Enfin, il existe le « langage soutenu », c’est le langage qu’on appelle « littéraire ». Dans ce registre, il n’y a pas d’échappatoire possible, seule l’instruction peut y accéder. Et même s’il n’a pas vocation à être utilisé à l’oral, l’instruction le fait comprendre et l’apprécier dans son sens, parfois philosophique, dans sa musicalité et sa poésie.

Ainsi, il est incontestable que la maîtrise des trois niveaux de langage sont la conséquence directe de l’instruction scolaire. Elle est la base formatrice pour pouvoir passer d’un registre à un autre selon les circonstances.

L’éducation sans instruction ne peut le faire. Seule cette notion indéfinissable qui est l’intelligence et que nous avions évoquée a la force d’essayer de réunir les deux parties de notre expression « Il n’est pas instruit mais il a de l’intelligence et une bonne éducation ».

Sid Lakhdar Boumediene

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