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Les révélations du livre « Le Mystère Bouteflika »

IL YA UN AN DEJA

Les révélations du livre « Le Mystère Bouteflika »

Le vieil homme est fatigué. Cette mise en scène, éprouvante, est de trop. Mais la politique l’exige. La politique et le maintien de Bouteflika aux commandes d’un pays désorienté.

Il doit résister. Les retoucheurs d’images feront leur boulot. Mais, Dieu, que c’est pénible ! Ces voix ignares qui exigent l’application de l’article 102 n’ont pas idée de ce que peut être le pouvoir ni ce qu’il lui a fallu, lui le président, de combats, de patience et de meurtrissures pour le gagner enfin. Il a été le dauphin reconnu pendant vingt ans, le meilleur, le successeur tout désigné. Pour être en haut de la pyramide, il a fallu l’escalader marche après marche, se faire des ennemis parmi les plus anciens compagnons, il a fallu trahir, mentir, louvoyer, s’obstiner, pactiser avec de petits diables et le Grand Satan.  Aujourd’hui il est tranquille : il s’est attaché les services du gendarme du monde ! Il n’y avait plus de crainte à avoir pour le pouvoir à vie !

Les Américains allaient non seulement le faire « élire » à la magistrature suprême mas aussi le défendre à chaque fois que son pouvoir venait à être menacé, comme en 2011, au moment des Printemps arabes, lorsqu’il fut menacé par la rue aux cris de « Bouteflika dégage ! » et que  l’ambassadeur des États-Unis à Alger, Henry Ensher,  expliqua publiquement que ces manifestations ne visaient pas la personne de Bouteflika mais qu’elles participaient de simples « aspirations économiques, sociales et politiques dans un cadre n’exigeant pas le départ d’un responsable particulier. » Traduction : le président Bouteflika n’est ni Ben Ali ni Kadhafi ni Moubarak et la population algérienne ne désire nullement son départ. Tout venait d’être dit !

Chakib apportait à son ami d’enfance son carnet d’adresses américain. Des noms qui furent très utiles pour le nouveau président algérien. Parmi eux, nous dit Hocine Malti, qui fut vice-président de Sonatrach et supérieur hiérarchique de Chakib Khelil à la Sonatrach, deux auront une influence notable sur la politique énergétique de l’Algérie dans les années 2000. Le premier, Spencer Abraham, secrétaire d’État à l’Énergie de janvier 2001 à février 2005 dans le gouvernement de George W. Bush, a fortement soutenu Chakib Khelil dans l’élaboration d’une nouvelle loi sur les hydrocarbures; le second, William Richardson, qui avait occupé le même poste sous la présidence de Bill Clinton, l’a assisté dans le choix des firmes américaines qui mirent au point cette loi.

Bouteflika a utilisé le pétrole pour rester au pouvoir. Il en a fait une monnaie d’échange avec les Américains, les Français ainsi qu’avec des forces prédatrices algériennes et étrangères qui lui assuraient un soutien contre ses adversaires de l’opposition et du DRS. Dans une incroyable posture de servilité. Lui qui conspuait ses compatriotes pour avoir « troqué la dignité contre le fromage rouge et un visa ! », n’avait pas hésité à troquer les nationalisations menées avec courage du temps de Boumediene contre une loi scélérate rédigée à New-York par ceux-là même qui allaient en profiter.

Lui qui se tournait vers un grand portrait de Boumediene pour lui faire le serment de poursuivre son oeuvre, a bradé un demi-siècle de résistance en s’engageant en personne à mener  la « dénationalisation » du pétrole. C’était en septembre 2002, le secrétaire d’État adjoint au Commerce américain, Samuel W. Bodmann, en visite à Alger, avait déclaré que  » l’ouverture du secteur énergétique algérien au capital étranger, aux entreprises pétrolières américaines en particulier, ouvrirait des perspectives de coopération plus Importantes, y compris dans le domaine de la technologie militaire et de la défense ». Abdelaziz Bouteflika répondit alors, dans un article écrit de sa propre main et publié dans le Washington Times du 22 novembre 2002 : « L’Algérie ambitionne de devenir le premier producteur de pétrole du continent africain et d’assurer ainsi aux États-Unis la sécurité énergétique supplémentaire dont ils ont besoin »

Il a pourtant essayé d’être Boumediene. Et c’est vrai que Bouteflika dans le costume de Boumediene est proprement renversant. Le journaliste français n’en revenait pas : « Comme Boumediene, Bouteflika fronce les sourcils, pointe du doigt, tient le même discours musclé. C’est Boumediene qui mène le plus efficacement campagne pour Bouteflika… Parfois on a l’impression que le mort saisit le vif pour le faire asseoir sur le fauteuil présidentiel. »[i] Bouteflika pastichant Boumediene subjugue son monde. Il pleure le temps perdu, exhorte les Algériens à retrouver leur fierté, les admoneste comme l’aurait fait Boumediene, se drape de l’autorité du père, emprunte la colère du chef, se donne le regard du dictateur, fustige l’équipe de Chadli, coupable de toutes les déchéances, et promet, pour finir, au bon peuple séduit qu’une nouvelle page allait bientôt s’ouvrir. «Qu’avez-vous fait du passeport vert ? Vous croyez le mériter ? » lance-t-il en plein meeting à une foule émue dont il obtient miraculeusement des youyous. Bouteflika recrée Boumediene en abusant de la passion antifrançaise qui était notoire chez le président défunt. « Arfaâ rassek ya ba ! » (lève la tête !) ordonne-t-il, avec l’accent boumediéniste du terroir, à un citoyen de Guelma, terre natale de Boumediene, qui venait de prendre la parole devant le président fraîchement élu.

« Depuis la mort du président Boumediene, la France et d’autres pays ont trouvé une table de billard devant eux et ils ont joué tous seuls. Ça fait vingt ans qu’ils n’ont pas entendu ce son de cloche. Ça les surprend. Et bien, s’ils ont compris que je veux voir très grand, tout redevient possible… »[ii]

Aujourd’hui, ils sont quarante millions d’Algériens à pleurer le temps perdu. Il aurait pu rester dans les mémoires comme l’homme de la résurrection nationale. Contrairement à ses prédécesseurs, Bouteflika a eu, en effet, les moyens de créer le miracle. Sous Zéroual, l’Algérie se débrouillait avec un pétrole à 9 dollars le baril. Sous Bouteflika, et durant 15 ans, le prix moyen du pétrole avait explosé, oscillant entre 90 et 130 dollars la baril

Dix-huit ans, c’est généralement le temps que mettent des nations retardataires à  se  propulser dans l’avenir. La  Corée du Sud, dont le PIB , était globalement identique à celui de l’Algérie, a pu, en l’espace de dix-huit ans, imposer une phase spectaculaire de croissance et d’intégration dans l’économie mondiale moderne. Son secret : approfondir la démocratie, donner tout son pouvoir au citoyen, créer une symbiose peuple-pouvoir et exiger plus de travail et moins de privilèges.

Bouteflika a fait tout le contraire.

Notes

[i] Nouvel Observateur du 8 avril 1999.

[ii] Au Grand Jury RTL-Le Monde-LCI, 12 septembre 1999

(*) EXTRAIT du livre « Le Mystère Bouteflika, radioscopie d’un chef d’Etat » de Mohamed Benchicou, Editions Riveneuve

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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