19 avril 2024
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Les révolutionnaires du week-end : la révolution mise au chômage la semaine sacrée du travail

TRIBUNE

Les révolutionnaires du week-end : la révolution mise au chômage la semaine sacrée du travail

« Ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau », Saint-Just

De nos jours, la sacro-sainte semaine de travail est respectée comme une divinité par l’ensemble des salariés, surtout par les « révolutionnaires » du week-end, ces nouveaux protestataires respectueux des règles sacrées du travail et de leurs divins lieux d’exploitation, ces temples de la production capitaliste où viennent trimer quotidiennement les esclaves des temps modernes.

La semaine sacrée de travail est ainsi préservée de toute souillure contestataire, subversive, insurrectionnelle.

Les cinq journées de labeur ne sont plus perturbées par des débrayages et par des grèves, même sauvages. Ainsi en a décidé le dieu-capital, parvenu à ses prophétiques fins par la grâce de son emprise sur les cerveaux obtenue par le contrôle totalitaire des moyens de propagande scolaires et médiatiques.

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Aujourd’hui, le capital façonne les esprits comme ses usines fabriquent ses produits : de manière standardisée, uniformisée, rationalisée, robotisée. Les produits, comme leurs producteurs esclaves-salariés, obéissent aux mêmes normes de fabrication. Ces deux marchandises interchangeables, vendues sur le marché, offrent à leurs propriétaires l’opportunité de valoriser leur capital, d’accroître leurs richesses, de pérenniser leur domination.

De fait, l’usine comme l’entreprise du tertiaire, ces nouveaux temples de l’économie moderne, ne sont plus profanées par l’arrêt de travail. Ne font plus l’objet de débrayages, d’occupation, de cessation d’activité. Encore moins de tentative d’appropriation collective par ses véritables producteurs afin de diriger leurs activités de production pour la satisfaction des besoins sociaux essentiels et non pour le profit. Inexorablement, la loi de la valeur continue à régir le fonctionnement des entreprises. Le capital à contrôler leur fabrication. À accaparer leur propriété, à s’approprier leurs profits.

Les esclaves-salariés ont si bien intégré les lois divines du capital qu’ils éprouvent une frayeur phobique à les enfreindre, à les brûler, à les abolir. Aussi, ne faut-il pas s’étonner de les voir sacrifier leur vie pour l’usine, le bureau, ces nouveaux totems des temps modernes, dirigés par les maîtres du monde, les dieux de la finance.

Ironie de l’histoire, le capital est parvenu à inverser et à pervertir toutes les valeurs morales millénaires. Toutes les anciennes règles de vie collectives ont été intégrées au monde de l’entreprise, laissant la « société civile » régie par les idées individualistes de la bourgeoisie qui a noyé les relations « dans les eaux glacées du calcul égoïste ».

En effet, au sein de l’entreprise règne une respectueuse discipline entre salariés, matérialisée par l’observance stricte des règlements accomplis dans une ambiance conviviale, exécutés dans un esprit scientifique et une mentalité pointilleuse et ponctuelle. Les rapports entre salariés sont exempts d’agressivité, de violences (à l’exception de ces violences professionnelles engendrées par les maladies et les accidents mortels). Dans l’entreprise (cette sphère économique séparée par le capital) domine les valeurs d’entraide, l’esprit collectif. Tout le contraire de la société (le milieu humain dans lequel vit l’individu) où sévit le chacun pour soi, l’individualisme, toutes les formes d’agressions et de violences.

Brillamment, le capital a fait en sorte de policer l’usine, de civiliser les rapports sociaux au sein de l’entreprise, afin de les rendre productifs, rentables. L’usine est un havre de paix de l’exploitation conventionnée. Tandis que la société a été métamorphosée en champ de guerre où règnent la division, l’anarchie, la perversion, l’adversité, l’hostilité, la haine, l’affrontement.

Pour ce faire, le capital a procédé à l’éclatement de toutes les structures sociales humaines fondées sur la solidarité, l’entraide, le respect, la loyauté, l’altruisme, le dévouement parental et filial (remplacé par le dévouement au patron), comme la famille, les quartiers, les cafés, les assemblées de village, etc. Pour les remplacer par l’individualisme, le narcissisme, le libertinage (frère siamois du libéralisme débridé). Tous ces espaces de sociabilité et de solidarité millénaires ont été pulvérisés par le capitalisme. Pour le capital, seuls ses temples de production de profits méritent les bonnes règles de vie, en résumé le respect, le sérieux, la rigueur, la ponctualité. Aussi est-il parvenu à façonner les esclaves-salariés selon les normes de ses entreprises, à discipliner leurs rustres mœurs au sein de ses sanctuaires productifs lucratifs.

En effet, tandis qu’au sein des entreprises les esclaves-salariés font preuve d’une grande rigueur dans leurs relations emplies de convivialité et de civilité, de probité et de loyauté, voire de sentiments mutuels, dans la « société civile » ils cultivent des rapports lâches ponctués de tensions, de haines et de conflits.

Observe-t-on quotidiennement des vols, des incivilités, des meurtres au sein des entreprises, ces temples sacrés de production ? Rarement. A contrario, la société est tiraillée par des conflits, des délits, des violences et des crimes récurrents et écœurants.

Incontestablement, le capital a réussi sa fabrication des esprits, comme il a triomphé depuis des siècles par son esprit de fabrication. Aujourd’hui, même les révoltes subversives, insurrectionnelles, s’organisent en dehors des jours sacrés de production. Hors de question de manifester les jours de semaine sacrés de travail.

Le capital doit pouvoir poursuivre ses batailles de fabrication. Soutenir sa guerre économique. Il ne faut pas entraver le processus de production. Les instruments de fabrication doivent tourner à plein régime sous n’importe quel régime, démocratique ou dictatorial.

Les moyens de production ne doivent souffrir aucune interruption (règle vérifiée en ces temps d’épidémie du Covid-19, durant laquelle ont été imposés deux successifs confinements dans tous les espaces publics et lieux de vie, excepté dans les entreprises, pourtant principaux foyers de contamination). Tout arrêt de travail est une atteinte au moral du « patriotisme » de l’entreprise. Une offense à la patrie-entrepreneuriale. Un blasphème commis contre le Dieu-capital. Une hérésie économique.

A l’évidence, ces règles sont scrupuleusement respectées par l’ensemble des esclaves-salariés. En effet, à observer l’Algérie des Hirakistes et la France des Gilets jaune (1), pour ne citer que ces deux pays, les manifestations, même les plus subversives, avaient été organisées les week-ends. C’est-à-dire les jours de repos des travailleurs.

Ainsi, les travailleurs, même la contestation, ils la payent au prix du sacrifice de leur jour de repos concédé par le capital. Ils ne portent pas la contestation au sein de l’entreprise. Ils ne s’attaquent pas à leur lieu d’exploitation. Ne luttent pas dans leur environnement concret d’oppression. Ne remettent pas en cause leur asservissement opéré dans l’entreprise. N’organisent pas leur résistance au sein de leur lieu de travail pour mieux le subvertir, mais en dehors du cadre géographique professionnel, au travers de mobilisations inoffensives et inopérantes.

Pourtant, le seul moyen de faire plier les maîtres du monde est d’user de cette arme redoutable que constitue la grève générale, seul moyen d’ébranler le pouvoir en s’attaquant à l’outil de production, source de la plus-value et des profits pour les patrons. Une économie à l’arrêt, et c’est l’arrêt cardiaque pour le capital, privé du sang salarié qui irrigue ses profits et assure son existence.

Quoi qu’il en soit, ces «révolutionnaires» du week-end algériens et français avaient tellement bien intégré l’idéologie du capital qu’ils s’étaient érigés en ses meilleurs défenseurs.

Au demeurant, tous ces révolutionnaires du samedi et du vendredi n’aspiraient nullement lutter contre le système capitaliste, mais un «système » abstrait. Ils s’évertuaient seulement vouloir moraliser le capitalisme, l’humaniser, le réformer, le démocratiser.

Comme si on pouvait moraliser, humaniser, réformer, démocratiser le colonialisme, l’esclavagisme, le nazisme. Ces systèmes barbares, comme le capitalisme, ne méritaient qu’une unique solution politique radicale : la destruction des fondements de leurs structures. Mais la petite bourgeoisie, aujourd’hui prédominante dans les instances politiques, milite pour la perpétuation de ce système mortifère, au sein duquel elle espère prospérer.

En outre, par sa puissante force idéologique en congruence avec les besoins du capital, cette petite bourgeoisie a tellement réussi son OPA sur les classes laborieuses qu’elle est parvenue à s’emparer de la direction des luttes via les syndicats.

Aussi, les travailleurs doivent-ils manifester leur colère pour revendiquer quelque avantage ou dénoncer quelque avilissement de leurs conditions de travail, attendront-ils sagement, sous la direction de la frileuse centrale syndicale, réfractaire à tout blocage économique, le week-end pour organiser leur protestation, en dehors du lieu de travail, transplantée dans des agglomérations urbaines aux itinéraires balisés et encadrés, éloignées des sites de production où est concentré le prolétariat industrieux et surtout potentiellement séditieux.

Dans les deux mouvements, la fièvre du samedi diurne et le culte festif du vendredi saint étaient devenus les rituels des Gilets jaune et des Hirakistes algériens. Ces processions liturgiques occupaient ces nouveaux zélotes de la politique de la protestation ou plutôt de la prosternation.

Leurs protestations incantatoires étaient demeurées des vœux pieux car ils n’avaient pas compris que la révolution travaille son œuvre toute la semaine, chaque jour, même la nuit, avec des instruments de lutte concrets. La révolution n’est pas une déambulation joyeuse sponsorisée par les instances « militantes » stipendiées, une balade sonorisée de ballades.

Pour ces révolutionnaires du week-end, le nec plus ultra de la lutte se résumait en la revendication de l’épuration de la démocratie « corrompue », purification des institutions politiques, autrement dit en remplacement de la clique politique dénoncée pour sa corruption. Et subséquemment en élection d’une nouvelle caste politique censément présumée intègre. Évidemment, sans transformer aucunement l’infecte base économique capitaliste, sur laquelle prolifère l’instance pestilentielle politique.

Leur « révolution joyeuse » n’aspire pas à supprimer les privilèges, elle se borne à changer les privilégiés, autrement dit à privilégier leur ascension sociale pour ne pas devoir à travailler la semaine ni le week-end, comme l’ensemble des classes parasitaires dirigeantes.

Si la révolution a pour fin de réaliser les rêves, leur révolte, accomplie dans le lit des conventions sociales établies, prolonge le sommeil de la société peuplée de cauchemars.

« La révolution, c’est les vacances de la vie », avait dit André Malraux, nos révolutionnaires du week-end semblent avoir pris à la lettre cette remarque : pour eux, la révolution est une vacance, dans le sens d’inoccupation, de vacuité, de carence, d’inaction.

Leur révolte « démocratique joyeuse » est une révolution couchée, qui fait ses besoins dans ses draps, pour ne pas souiller les salons du pouvoir par leur incursion subversive. Il n’est pas étonnant qu’elle ait toujours un goût de relent de défaite.

« La populace ne peut faire que des émeutes. Pour faire une révolution il faut le peuple », avait écrit Victor Hugo. Nos révolutionnaires du week-end sont tout juste capables d’organiser des promenades récréatives hebdomadaires pour planter le même décor réformiste, scandées des mêmes slogans feutrés filtrés. Or la révolution c’est de briser les conventions établies, d’abolir l’ordre inique scélérat.

Mesloub Khider

(1) Autopsie du Mouvement des Gilets jaunes, Khider Mesloub, Robert Bibeau. Éditions L’Harmattan, 2019

 

Auteur
Khider Mesloub

 




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