Près de soixante-dix ans après son indépendance, l’Algérie demeure prisonnière d’un système économique verrouillé, incapable de susciter un véritable essor ni de se diversifier suffisamment pour répondre aux besoins essentiels de sa population.
Pourtant, les atouts ne manquent pas pour rivaliser avec des pays émergents comme la Corée du Sud ou le Viêtnam. Les potentialités, les richesses et les opportunités abondent, mais elles sont systématiquement neutralisées par la volonté du pouvoir de tout contrôler.
L’emprise de l’État sur les richesses et les activités économiques constitue l’une des marques distinctives des régimes autoritaires, qu’ils se réclament de gauche ou de droite.
A l’instar de tous ces régimes totalitaires, qui nient toute autonomie de l’individu et de la société, le régime algérien ne conçoit la politique économique ni comme un levier de développement, ni comme un outil d’émancipation, mais un instrument de contrôle.
Il refuse que les acteurs économiques puissent s’affranchir de la tutelle politique, redoutant l’effet transformateur qu’une véritable autonomie pourrait exercer sur la société.
La mutation opérée dans les années 1980, du socialisme d’Etat des premières décennies au capitalisme de connivence actuel, n’a pas changé la logique profonde. Du statut d’acteur économique direct, l’Etat est passé à un contrôle indirect mais tout aussi étouffant, par des moyens plus pernicieux.
Autorisations, quotas, interdictions, contrôle et limitations des importations, complication des procédures bancaires, redressements fiscaux ciblés… Le monopole du commerce extérieur, la planification centralisée et la collectivisation ont simplement cédé la place à un arsenal juridique et réglementaire instable, appliqué au gré des intérêts du pouvoir.
Cette logique d’ingérence du pouvoir dans la sphère économique est si dense qu’elle a même conduit à un dédoublement du ministère du Commerce. L’un dédié au marché intérieur, l’autre aux commerce extérieur.
Ce dispositif de régulation, nourri par une méfiance viscérale envers les détenteurs de capitaux et une suspicion quasi pathologique sur leur intégrité, engendre blocages, incertitudes et climat répressif.
Il prive de facto les acteurs économiques de certains de leurs droits politiques, notamment celui de participer pleinement à la vie publique, au nom d’un dogme selon lequel l’argent et la politique ne feraient pas bon ménage.
Dans cette architecture, l’économie demeure soumise à la loi du plus fort, le plus fort étant celui qui détient le pouvoir et contrôle l’appareil coercitif de l’État.
Cette logique interne de contrôle absolu a des répercussions directes sur notre diplomatie. Nos difficultés économiques et nos fragilités politiques, connues de tous, nous précèdent dans chaque négociation et nous exposent à la surenchère de nos partenaires, pleinement conscients que nos seules ressources en devises proviennent des exportations d’hydrocarbures. Elles affaiblissent notre position de négociateur, entraînent une sous-cotation de nos richesses sur le marché mondial et ferment les portes à notre diplomatie, aggravant ainsi la spirale du sous-développement.
Placée en position de faiblesse, elle quémande des débouchés pour son gaz et son pétrole, se plie aux conditions imposées par leurs multinationales qui pratiquent le chantage à travers la coopération et l’assistance technologique dans l’exploration et l’exploitation des gisements Face à l’Europe énergivore mais unie, l’Algérie, reléguée à une posture de soumission diplomatique, est condamnée à dilapider ses richesses stratégiques.
D’arme de puissance, nos ressources sont ainsi rétrogradées au rang de moyen de subsistance ou de survie.
Les acheteurs de notre gaz répondent à un impératif vital d’approvisionnement énergétique, rien de plus. Pourtant, au lieu d’exiger leur respect et de négocier d’égal à égal, nous les érigeons en amis et en alliés, allant jusqu’à leur témoigner notre gratitude à chaque rencontre diplomatique, comme s’ils agissaient par pure bienveillance. Nous les qualifions de partenaires privilégiés, favorisons l’achat de leurs produits et assumons pour leur compte des missions de gendarme face aux flux migratoires, alors qu’en réalité, ils ne font que valoir leurs propres intérêts.
Nous sommes donc incapables d’exploiter à notre avantage les richesses que la nature nous a généreusement offertes.
Nous sommes incapables d’en faire un levier diplomatique, de consolider nos positions sur la scène internationale, de négocier le transfert de technologies ou d’attirer les investissements stratégiques.
Pourtant, la conjoncture est favorable à des plus-values considérables. A l’échelle mondiale, les richesses du sous-sol s’amenuisent tandis que les besoins explosent. L’énergie et les terres rares figurent désormais parmi les matières premières les plus disputées. L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle, déjà fortement consommatrice d’énergie, a encore accru la demande. L’énergie est devenue un atout stratégique, et l’Algérie en possède d’immenses réserves.
Or, l’économie, c’est d’abord la liberté d’entreprendre. L’Algérie n’a pas besoin d’un État commerçant qui distribue privilèges et sanctions, mais d’un cadre stable, prévisible et équitable.
Elle a besoin que le pouvoir cesse de se substituer aux opérateurs économiques. Les ingérences répétées de celui-ci ne remplaceront jamais un cadre juridique clair et pérenne, tel que le réclament les investisseurs.
En décidant unilatéralement de ce qui peut être importé ou interdit, des quantités, des quotas et des bénéficiaires, il étrangle le secteur privé. En agissant ainsi, il détermine qui prospérera et qui sera conduit à la faillite, révélant l’absence criante d’un environnement économique prévisible. Dans ces conditions, le « guichet unique » ne saurait en rien suffire à stimuler l’investissement et compenser le manque d’une concurrence saine.
Tant que le pouvoir confondra développement et contrôle, l’Algérie restera à l’écart des grandes nations émergentes, condamnée à vivre au-dessous de ses potentialités, alors même que ses richesses pourraient en faire une puissance régionale et un acteur mondial respecté.
L’Algérie est un pays riche condamné à la précarité par sa gouvernance tant que perdurera cette logique.
Hamid Ouazar, ancien député de l’opposition