On sait que les saumons reviennent mourir sur le lieu de leur naissance en traversant les plus grands périls. Puis ils donnent la vie, dans un dernier souffle, à une nouvelle génération qui va rejoindre la haute mer durant une existence entière jusqu’à son retour pour recréer un autre cycle de voyage lointain.
Il paraît qu’il en est ainsi pour les êtres humains qui s’exilent et finissent toujours par revenir à leur berceau. « Ya rayeh win msafer ta3ya wa tweli » dit la chanson.
L’hôtesse de l’air vous dit « au-revoir, à très bientôt sur nos lignes». Vous ne revenez plus depuis 48 ans sinon un court moment, au début.
L’histoire du saumon comme de la chanson sont justes mais ne reflètent que partiellement la vérité pour beaucoup d’exilés, volontaires ou non.
Le retour n’est pas exactement le bon mot, on ne quitte jamais son enfance, on ne quitte donc jamais Oran même si on est persuadé qu’on n’y reviendra plus. La vie est belle mais réserve à chacun des circonstances complexes qui peuvent justifier un point de non-retour au sens physique.
Chaque jour revient à votre esprit la mémoire d’une ville où vous avez grandi et étiez heureux plus que dans aucun autre lieu dans le monde.
L’image de l’école de Bouiseville, de la Sotac, des bus 14 et 8 ne vous quitte jamais. L’odeur et le goût des beignets de la ville nouvelle ne se retrouvent nulle part dans le monde car votre jeunesse n’est nulle part ailleurs. Et plus que tout, les deux lions de notre enfance.
Celui de gauche nous faisait un clin d’œil coquin lorsque nous descendions en bus vers la place d’armes en nous signifiant qu’il avait deviné nos projets de turpitudes à la ville.
Celui de droite, le plus sévère, nous regardait lors du retour en bus en nous signifiant avec un œil désapprobateur qui voulait dire « C’est à cette heure-ci que vous revenez ? Et vos devoirs, petits garnements, vous les ferez quand ? ».
Non, vous ne revenez pas à votre lieu d’enfance et d’adolescence car vous ne l’avez jamais quitté. Les lieux changent, un tramway, des immenses immeubles modernes, des smartphones dans chaque mains mais tout cela n’est que factice et passager.
La ville est éternelle et les souvenirs que l’on garde ne la figent pas dans une histoire lointaine mais la font sublimer davantage dans le présent des esprits. Le matériel n’est rien mais le sentiment est tout, on l’apprend véritablement au crépuscule d’une vie.
Boumédiene Sid Lakhdar
Enseignant retraité