L’Etat est une construction intellectuelle, une abstraction juridique, un instrument de cohésion sociale. L’Etat ce n’est pas un météorite tombé du ciel pour faire le bonheur des hommes sur terre. C’est une invention des hommes, des hommes éclairés, faisant de l’Etat de droit un substitut à l’autorité de l’église.
Les textes juridiques remplacent les préceptes religieux. Un Etat fondé sur la solidarité des individus vivant sur un même territoire sous l’autorité d’un Etat centralisateur auxquelles les féodalités doivent faire allégeance sachant que- Les hommes ne sont solidaires les uns les autres que s’ils sont dans le besoin de travailler ensemble, de verser ses cotisations et de payer chacun ses impôts à un Etat comptable devant eux de l’usage qu’il fait de leur argent. Dans l’idéologie socialiste de l’Etat providence, la conception est différente ; l’homme a des droits (le logement, le transport, les soins, l’école etc.) et l’Etat le devoir de les satisfaire. Pour cela, il devait se soumettre à l’autorité de l’Etat et exécuter les ordres venant de ses supérieurs.
Ainsi le bien-être est assuré, l’ordre respecté et le leader acclamé. Il suffit de croire en sa clairvoyance, il est là pour faire le bonheur de son peuple, que ce soit avec lui par le travail, sans lui par la rente, contre lui par le fusil. Le marché est le suivant : la providence étatique contre la providence divine ? Le leader se prenant pour dieu sur terre.
L’effondrement du mur de Berlin et le démantèlement de l’URSS ont mis fin à l’idéologie socialiste à la dictature du parti unique. Le plan a été remplacé par le marché. Dans la conception française qui est d’inspiration chrétienne, L’Etat se substitue à l’église dans la prise en charge de l’intérêt général au moyen d’une administration animée par des fonctionnaires ayant intériorisé l’intérêt général dans des écoles spécialisées. Pour se financer, l’Etat providence lève des impôts dont l’assiette est la production (salaires et profits) des citoyens pour assurer la prospérité du pays. « Tous contribuent au bonheur de chacun, et chacun participe au bonheur de tous ».
La construction d’un Etat national d’inspiration de la mystique soviétique a permis aux dirigeants algériens d’occulter au nom de l’idéologie socialiste ses apparences avec le modèle colonial français, c’est-à-dire un Etat national comme héritier de l’Etat colonial français.
Un Etat qui ne fait qu’obéir à l’archétype du « Dieu chrétien » ; lequel, omnipotent, et omniprésent se tient hors du monde et dirige celui-ci par des lois et des décrets qu’il lui impose d’en haut. L’Etat est d’ailleurs parvenu à prendre la place du « Dieu chrétien » ou du « veau d’or des hébreux » dans la mentalité occidentale en devenant l’Etat providence.
C’est cette dimension mythologique, très conscientisée en Occident, qui sert à le faire fonctionner. Non seulement il dirige et oriente le développement de la société avec un droit dont il est le seul maître, mais il l’impose d’en haut à la société, comme le « Dieu chrétien» impose ses commandements à ses fidèles. Cette logique centralisatrice qui tend à l’uniformisation de la société s’appuie sur une survalorisation d’un fond culturel gréco-romano-chrétien, s’oppose à la logique de la société algérienne laquelle est plurielle, obéissant à d’autres représentations, et à un autre modèle de souveraineté.
En France, c’est le roi avec l’appui du clergé qui s’est imposé aux seigneurs féodaux. Cet Etat providence vise à substituer à l’incertitude de la providence religieuse, la certitude de la providence étatique. Il est clair que le socialisme eu égard au contexte historique de l’époque était une référence quasi obligée du discours des gouvernants. Cela s’explique aisément un régime autoritaire dépourvu de toute légitimité propre ne peut durer qu’en recherchant le soutien populaire. Et il ne peut le faire que de deux manières soit en mettant l’accent sur l’islam, soit en se réclamant du socialisme.
Pour les dirigeants algériens, une fois la souveraineté retrouvée, l’islam devait s’effacer de la scène politique, et céder la place aux idéologies nationalistes (panarabisme nassérien) et matérialistes (autogestion yougoslave et socialisme soviétique) qui ont trouvé en Algérie un terrain propice à leur expansion.
C’est dans cette situation géopolitique (guerre froide entre les deux superpuissances USA-URSS, montée en puissance du panarabisme arabe, accélération de la décolonisation, mouvement des non-alignés, tiers-mondisme en vogue etc.) bien particulière qu’un Etat militaro-rentier a vu le jour. Il va s’appuyer dans un premier temps sur l’accaparement des biens abandonnés par les colons déclarés « biens vacants » c’est à dire propriété de l’Etat (terres, usines, commerce, biens immobiliers) et dans un deuxième temps sur la nationalisation des hydrocarbures qui consiste dans le transfert de la propriété des gisements pétroliers et gaziers à l’Etat algérien c’est-à-dire pratiquement aux détenteurs du pouvoir.
On a les pieds au XXIe siècle mais l’esprit au moyen âge. Pour rentrer dans la cité, il faut sortir du douar. Les membres des tribus s’unissent quand il s’agit de combattre l’envahisseur étranger mais une fois l’ennemi vaincu, chacun retourne à sa tribu d’origine, à son douar. Durant des siècles la communauté arabe et africaine était gouvernée par des chefs de tribus, des princes ou des rois qui considéraient les ressources de la tribu comme étant leur propriété et qu’ils pouvaient en disposer comme bon leur semble. Ils ne devaient rendre des comptes à personne. Cette confusion du patrimoine public et privé, de l’espace public et de l’espace privé nourrit depuis longtemps l’imaginaire des peuples arabo-musulmans. C’est cette représentation symbolique du père qui va permettre la perpétuation des régimes monarchiques et des dictatures militaires arabes et africaines.
C’est une logique de fonctionnement déséquilibrée du pouvoir et donc de la société. On conquiert le pouvoir par la force, on se maintient par la force et on considère les richesses de la nation comme un butin de guerre qui revient à ceux qui ont libéré le pays les armes à la main.
Dans ce contexte, l’Etat n’est pas une abstraction mais une personne physique avec laquelle il faut tisser des liens solides pour obtenir plus de pouvoir, de biens ou de services. Celui qui va se retrouver à la tête de l’Etat providence va s’appuyer sur la manne pétrolière et gazière pour construire une société entièrement dépendante de l’Etat providence. En matière budgétaire, l’Algérie n’est pas la France. Le budget de l’Etat français n’est pas semblable à celui de l’Etat algérien.
Le budget de l’Etat algérien est financé dans sa quasi-totalité par la fiscalité pétrolière et gazière, ce qui n’est pas le cas du budget de l’Etat français qui dépend entièrement de la fiscalité ordinaire. L’un s’établit sur le revenu du travail, l’autre sur le revenu du pétrole. L’un repose sur la contribution financière des citoyens, l’autre sur une manne pétrolière et gazière. Le premier est adossé sur le cours des hydrocarbures ; l’autre sur la croissance économique et sur le marché de l’emploi.
Un Etat providence qui vise dans les pays démocratiques une solidarité nationale en vue d’une protection sociale très développée, à la fois horizontale (par les cotisations sociales) et verticale (par le versement des impôts et taxes) à travers des mécanismes très complexes de redistribution (cotisations sociales, impôts et taxes, assurances maladies, pensions de vieillesse, allocations chômage etc…).
En Algérie où c’est au budget de l’Etat alimenté par les revenus pétroliers et gaziers de répondre aux besoins de la population car il n’y a pas de citoyens mais des sujets qui attendent tout de l’Etat sachant que celui-ci tire l’ensemble de ses revenus en devises de l’exportation des hydrocarbures. La prise en charge des populations sans contrepartie productive aboutit nécessairement à l’aliénation de leurs droits politiques.
Tant qu’ils bénéficient d’une rente, les Algériens se détourneront de la politique et les gouvernements n’ont pas de compte à leur rendre sur leur gestion des deniers publics qu’elle soit rationnelle ou irrationnelle, cela importe peu. La rente des hydrocarbures fonde l’Etat providence du fait de ses revenus extérieurs.
La rente permet à l’Etat de procurer aux citoyens un niveau de vie minimum sans les taxer car les imposer sans leur fournir des sources de revenu risque de les voir se retourner contre le gouvernement. Tout simplement parce que les algériens dans leur grande majorité ne disposent pas d’un revenu en contrepartie d’un travail productif mais en échange d’une allégeance politique au régime en place. Nous gérons le présent avec les armes du passé sans tenir comptes des impératifs du futur. Les revenus des hydrocarbures jouent un rôle considérable dans le financement des ménages et des entreprises. Ils ont non seulement façonné l’économie nationale mais également la mentalité de la société algérienne. En procédant à leur redistribution à des fins de légitimation, l’Etat naissant « dépolitise » la société en « l’infantilisant si besoin est.
Etant propriétaire des gisements pétroliers et gaziers, l’Etat a donc le droit de s’approprier la rente qui l’a confortée dans la gestion de l’économie et de la société. Cet « ‘Etat providence » assurait le contrôle et la répartition des ressources à partir essentiellement de la rente issue des hydrocarbures et de l’endettement qu’elle procure. Aujourd’hui, l’Etat providence en Algérie vit une crise de légitimité doublée d’une crise financière.
D’un côté, il est contesté par une frange importante de la population et de l’autre il est bousculé par l’amenuisement de la rente pétrolière et gazière qui ne parvient pas à le maintenir en vie. Les algériens ont été formatés par la colonisation française et par le système en place pour s’autodétruire en se dressant les uns contre les autres selon la vieille formule « diviser pour régner » en jouant sur la religion, la langue et l’ethnie.
En s’emparant du pouvoir, l’homme investit l’Etat et fait de la religion un instrument de domination du peuple. Dans la vision algérienne la providence réside dans l’Etat disposant du monopole des ressources du sol et du sous-sol. Elle va reposer sur la distribution de la rente c’est-à-dire le non travail autrement dit un salaire sans contrepartie productive en échange de son allégeance à la classe au pouvoir. L’Etat providence en Algérie masque l’indigence des populations ; la médiocrité des élites et la mégalomanie des dirigeants. Jules Renard disait « Le peuple : on lui fait des discours, on ne cause pas avec lui ».
Des discours qui ont plus l’allure de sermons religieux que de pédagogie de masse. Aucun débat contradictoire n’est possible comme s’il s’agissait d’une parole divine. Pourtant Dieu, dans toute sa puissance et sa grande miséricorde a créé Satan pour s’opposer à lui sur terre.
L’argent du pétrole s’est substitué à la providence divine Il a obtenu la soumission de la population et le soutien des puissances étrangères. Il est devenu incontournable. Il s’agit d’une ressource financière avec laquelle l’Etat tient en otage la population et affiche sa légitimité vis-à-vis des partenaires étrangers. Une rente pétrolière et gazière qu’il ne peut maîtriser ni dans sa durée et ni dans son amplitude.. Elle est fonction des quantités mises sur le marché international et du cours du baril pratiqué dans les transactions avec les partenaires. Celui-ci oscille entre un prix plancher convenu entre les multinationales devant couvrir les coûts d’exploitation des vieux puits américains en activité et un prix plafond devant amortir les frais de recherche, de prospection des nouveaux gisements engagés par les firmes. Entre les deux, c’est la loi de l’offre et de la demande.
Le prix est une arme redoutable de domestication des peuples et d’asservissement des élites au pouvoir. Le prix élevé du pétrole a structurellement pour effet pervers de perpétuer à l’infini le système mis en place. C’est dans la pérennité des régimes autocratiques que l’occident trouve sa prospérité et sa sécurité. C’est pourquoi, la liberté des peuples est inversement proportionnelle au prix du baril.
Plus le prix est bas, moins il y a d’importations, plus les pénuries s’installent, des émeutes éclatent et la répression s’abat sur la population. les marchés se referment, la récession s’annonce, le FMI pointe son nez, la spirale de l’endettement s’engage, les peuples se plient, l’occident vient à la rescousse. Les crédits se débloquent les fonds affluent, Le régime menacé retrouve sa santé. Le prix du brut connaît une hausse, les pays pétroliers relancent les exportations des biens manufacturés des pays industriels, la croissance de l’économie mondiale reprend. Ainsi l’occident donne d’une main ce qu’il reprend de l’autre. L’intérêt de l’occident ne se trouve pas chez les peuples mais dans les Etats. Des Etats créés par la colonisation pour les besoins des pays grands consommateurs d’énergie non renouvelables.
Les Etats arabes et africains n’existent que parce qu’il y a du pétrole, du gaz ou autres matière convoitée sur leur territoire. Les peuples qui y habitent sont considérés comme des troupeaux de bétail à qui on confie la garde à un berger, généralement l’idiot du village ou le serviteur docile que l’on arme d’un bâton, à qui l’on demande, lorsque le prix du baril chute, de les amener à l’abattoir et quand il flambe de les ramener aux pâturages.
« Contrôler la nourriture et vous contrôlerez le peuple ! Contrôlez le pétrole et vous contrôlerez les nations ! Contrôlez la monnaie et vous contrôlez le monde » dira H. Kissinger.
Dr A. Boumezrag