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Lettre à mon ami Karim Tabbou

Karim Tabbou

Karim Tabbou, victime du harcèlement judiciaire.

Ce que je retiens de toi depuis de si nombreuses années et que tu es la parfaite synthèse entre une jovialité constante et une force politique sans concession. Tu étais si jeune à cette époque, nous n’avons pas pu avoir un contact très suivi.

Mais par les médias ton parcours me prouve la constance d’un militant acharné pour détruire ce régime militaire et construire enfin une démocratie de liberté et de droits humains intangibles. Nous avions milité ensemble pour l’établissement de tous ces droits, ceux pour la femme incarcérée dans les geôles de la société sous le couvert de lois barbares et ceux de la liberté des consciences religieuses, de la presse, de l’expression politique et des revendications légitimes de toutes les langues et cultures.

La liste est aussi longue que ton parcours d’honneur que ces monstres n’arriveront jamais à atteindre. Tu sais combien je suis sévère envers ceux qui ce sont présentés à la députation mais je peux attester que dans la balance je ne trouve pas une raison de t’en vouloir car je sais combien ton parcours militant est supérieur à la fautive participation.

Hélas, je suis cependant obligé d’être très réservé sur l’ambiguité de ton rapprochement avec des idées sur la place de la religion. C’est la raison pour laquelle je préfère seulement parler du parcours militant que j’avais connu. En espérant que je ne me trompe pas.

Ce sombre juge d’instruction du tribunal de Koléa a renforcé le contrôle judiciaire à ton encontre et t’ordonne de cesser  de t’exprimer dans les médias et réseaux sociaux ainsi que d’exercer une activité politique.

Ce pauvre demeuré pense qu’on peut étouffer une force de conviction telle que la tienne. C’est un ignorant de l’histoire du combat pour la démocratie et des libertés politiques et humanistes. Tu t’en souviens, il nous dira ce que nous avions entendu de tous les lâches qui avaient pris excuse devant nous de leur obligation de respecter les ordres.

Nous ne les laisserons pas encore une fois nous berner par ce discours. Lorsqu’on est un homme ou une femme digne, on ne fait pas ce métier pour être au service d’un pouvoir immonde. On fait comme tous les hommes d’honneur, on le quitte, on le dénonce et on le combat. Ce n’est pas facile ?

Menacer un militant politique et le condamner à une privation de liberté et d’exercice de son militantisme politique lorsqu’on porte la robe de la justice, c’est plus facile pour un être humain ?

Par deux fois, lorsque tu avais été menacé, j’avais écrit dans la presse libre combien j’étais incapable de te venir en aide. Mes articles sont de piètres soutiens à la lutte pour la démocratie. Mais j’avais essayé avec mes moyens limités de combattre et tu te souviens que moi-même avais été convoqué devant un juge d’instruction pour une parole libre. Encore un qui nous dira qu’il était contraint de le faire.

Hélas je n’ai ni les moyens, ni la force à mon âge ni les possibilités d’une capacité politique de te sortir des griffes de ces animaux qui se disent être des hommes. Tu te souviens que j’avais quitté le parti parce que son leader était toujours absent, ne vivait que par les sorties en youyous et les remises de fleurs. Je m’étais aperçu qu’il n’était pas revenu au pays pour combattre le régime militaire mais pour essayer de concilier le feu et l’eau. Cela était respectable un moment, au début, mais il ne semblait pas vouloir aller plus loin et nous avait fait perdre notre temps.

Je suis fier d’avoir eu un ami qui a continué la lutte même si, je le répéte, j’ai des réserves sur ton discours sur la place de l’Islam. C’est trop ambigu pour ne pas l’évoquer dans cette lettre. 

Ne lâche jamais prise si mé réserve n’est pas fondée, tu le peux car tu es beaucoup plus jeune que moi et encore en force de les affronter. Ils te menacent dans ta liberté à t’exprimer, ils ne le pourront jamais dans celle qui est dans ton esprit, indestructible et prête à la moindre opportunité de bondir et rugir.

Bon courage à toi, mon ami Karim. Face à des hommes aussi courageux et convaincus, ils n’ont aucune chance de vaincre. Dois-le rappeler encore, j’espère ne pas me tromper sur tes idées sur la place de l’Islam.

Tu ne dois pas m’avoir oublié avec le prénom que je porte. Ce qui est certain est que pour ma part je ne pouvais oublier un jeune homme de dignité et de courage.

Boumediene Sid Lakhdar

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