À Sétif, dans l’atelier théâtre de la Maison de la culture Houari-Boumediene, une troupe composée uniquement de comédiens IMC signe une performance bluffante de justesse, d’humour et de rigueur, sous la direction du metteur en scène Toufik Mezaache.
Sétif – Il y a des spectacles qui divertissent. D’autres qui émeuvent. Et parfois, il y en a qui réveillent. “L’Excursion” fait tout cela à la fois. Créée par une troupe composée de Nesrine, Chiraz, Lahsen, Walid, Houssem, Mohamed, Hadjer et Firaz — tous atteints d’infirmité motrice cérébrale — cette pièce est un petit miracle de théâtre. Pas un miracle au sens mystique. Un miracle d’effort, de maîtrise, de don de soi. Un moment rare, né dans l’Atelier de la Maison de la Culture Houari Boumediene à Sétif, et dirigé par Toufik Mezaache, artisan du verbe et maître de scène, dont l’humilité n’a d’égale que le talent.
Une excursion vers l’essentiel
La pièce, entièrement écrite et mise en scène par Toufik Mezaache, prend pour décor le départ d’un bus. Le chauffeur, Lahsen, est le personnage central. Un râleur attendrissant, qui peste contre ses passagers toujours en retard. Il en faut peu pour que le quotidien bascule : Chiraz a perdu un sac. Pas n’importe lequel : le sac de sa grand-mère. Et le départ tourne court. Pas de sac, pas de voyage. Ce simple incident devient prétexte à une série de scènes hilarantes, parfois tendres, souvent décalées, où chaque personnage – Nesrine, Walid, Houssem, Mohamed, Hadjer, Firaz – y va de son humeur, de ses soupçons, de ses maladresses et… de ses vérités.
On rit. Mais pas seulement. On écoute. On regarde. Et on se tait.
Handicap ? Non. Talent. Oui !
Ce qui frappe ici, ce n’est pas que les acteurs soient atteints d’un handicap moteur. C’est qu’on oublie complètement qu’ils le sont. Parce que la diction, les mouvements, les silences… tout a été travaillé, scénarisé, peaufiné. Parce qu’ils ne jouent pas à être drôles : ils le sont. Parce qu’ils ne cherchent pas l’émotion : elle est là, brute, vive, non feinte.
Et pendant que certains “valides” se plaignent de ne pas avoir assez de moyens ou d’attention, ces huit artistes montent une pièce de groupe, précise, drôle, équilibrée, qui ferait rougir bien des troupes dites “professionnelles”.
Toufik Mezaache, l’ombre qui éclaire
On connaît l’homme. Il a foulé toutes les scènes ou presque, signé des textes profonds, souvent engagés, parfois drôles, toujours vivants. Ici, il s’efface derrière les siens. Derrière ce collectif de comédiens qu’il appelle non pas ses élèves, mais ses partenaires. Il les écoute. Il les guide. Il construit avec eux.
Et il le dit sans détour :
« Le théâtre ne guérit rien, mais il libère tout. Ces comédiens n’ont pas besoin de ma pitié. Ils m’ont offert bien plus que je ne leur ai appris. »
Quand on voit Chiraz lancer une réplique avec justesse, Hadjer tenir un silence comme une note suspendue, Mohamed improviser une grimace inattendue, ou Firaz tourner un regard complice vers le public… on comprend que ce théâtre-là est plus que du théâtre. C’est un manifeste. Une preuve que le talent ne réside pas dans les jambes, ni même dans les cordes vocales. Il vit ailleurs. Plus profondément.
À la Maison de la Culture Houari Boumediene de Sétif, les projecteurs s’allumeront bientôt sur cette “Excursion” pas comme les autres. Une pièce née d’un atelier, mais portée par une troupe. Une vraie. Une qui ne revendique pas, mais agit. Une qui ne supplie pas le regard des autres, mais qui oblige à l’admiration. Une qui ne mendie pas la reconnaissance, mais qui l’impose.
Et si vous y allez pour “voir ce qu’ils arrivent à faire malgré leur handicap”… vous risquez de repartir avec le vôtre : un regard à réapprendre.
Toufik Hedna