La société des insectes sociaux, fourmis, termites, abeilles, fonctionne de façon non hiérarchique. Les ouvriers réalisent les diverses activités de manière collective, en totale coopération. Il s’agit d’un phénomène d’auto-organisation, où apparaît une intelligence collective distribuée. Les interactions spontanées entre individus se nouent en rétroactions régulatrices permettant un tout homéostasique. L’auto-organisation.

Sans trop nous attarder sur les enjeux conceptuels d’un certain nombre de notions fondamentales qui donnent une représentation intégrale de l’auto-organisation telle qu’elle est définie par les différentes sciences, on peut conjecturer qu’il est plus que sybillin d’induire par effet rétroactif une similarité entre une société animale et une société humaine.

Cela dit, l’anthropologie ne distingue pas trop l’homme de l’animal que la par seule voie de la Raison. Cette part de la philosophie y contribue énormément pour laisser place à la société politique.

Or, la manifestation du Hirak comme organisation autorégulée donne l’impression d’un ensemble homogène articulé par des segments sociaux dédiés irrémédiablement à leur unité fonctionnelle. Ce qui fait qu’un tel phénomène aussi massif et répétitif dans le temps et dans l’espace donne l’image d’un holisme déconcertant par l’ampleur du mouvement qui susbsume les diverses composantes qui le constituent. Pour y voir plus clair, on peut appliquer à ce phénomène de masse la sociologie de l’ondulation de Gabriel Tarde qui impacte les unités élémentaires de la foule mais cela rend imperceptible la psychologie des automates spirituels.

De plus, une telle explication sociologique ne s’applique qu’à la société européenne moderne qui s’est approprié tout l’espace public. Il va de soi que l’application de ces catégories sociologiques à un ensemble social où prédomine la « mentalité segmentaire » d’ailleurs maintes et maintes fois répétée par l’écho du jour des manifestants ne permet pas de saisir l’horizontalité d’une organisation comme celle du Hirak si on n’introduit pas le facteur stratégique du mouvement.

A la différence de la société des insectes autorégulée au point d’être l’homéostasique, le hirak se donne comme fondement organisationnelle l’horizontalité non seulement pour agencer les différents compartiments qui le composent mais pour se prémunir contre toute tentative autoproclamée d’une légitimité induite frauduleusement par une catégorie de personnes. S’il s’avère que la société politique est par définition différente du naturalisme associatif, il va de soi qu’empiriquement, la société algérienne a tellement été marquée par la dérive autoritaire qu’il ne lui restait qu’à inventer un système d’auto-immunisation pour contrer les velléites impromptues de la verticalité du pouvoir de l’Etat. Certes, ce constat ne fait pas echo au bouillonnment politico-idéologique qui le traverse qui un moment ou un autre devrait faire le choix du modèle démocratique tel qu’il est souhaité par la majorité de la population algérienne.

En effet, c’est ce point cardinal interruptif de la solidarité des éléments du hirak qui pose problème dans le choix stratégique ou tout du moins tactique du mouvement. Il faut bien un moment ou un autre gérer cette situation cruciale si on veut sortir de l’unanimisme organisationnel -qui reconnaissons est présentement plutôt réactif qu’actif- pour impulser une nouvelle dynamique qui passe nécessairement pas une organisation clandestine des animateurs seuls aptes à donner à la révolution une nouvelle orientation stratégique.

Inéluctablement, le passage de l’horizontalité à la verticalité de l’action politique comporte des grands risques pour le hirak mais en contrepartie, l’impératif d’une telle résolution libère l’énergie créatrice au profit des actions plus audacieuses des activistes du hirak. Après presque dix mois de manifestations, le hirak se doit d’inventer de nouvelles formes d’action s’il veut mettre fin au système qui tente pas tous les moyens de se régénérer. Le risque y est.

Fatah Hamitouche

° Wikipédia, l’auto-organisation