Une chape de plomb paralyse le pays ! Des centaines de prisonniers politiques croupissent dans les geôles de la « L’Algérie nouvelle » dans des conditions déplorables. Leaders politiques, militants associatifs, universitaires, journalistes, citoyens…, nul n’est épargné par la vague de répression qui n’a pas fait dans le détail pour neutraliser toute velléité de contestation.
Malgré des dossiers vides, les accusations donnent froid dans le dos. L’inculpation de « terrorisme » version article 87-bis contre des militants pacifiques, qui n’ont pas usé de violence ni préconisé son usage, est mise en branle avec une incroyable légèreté.
On frise la « pensée subversive en gestation », comme au bon vieux temps du Goulag soviétique.
L’appareil judiciaire, appendice des services de sécurité chargé de donner un semblant de légalité à des lettres de cachet, est réduit à prononcer des sentences politiques, que même le très conciliant président du Syndicat national des magistrats n’a pas manqué de déplorer.
La présomption d’innocence et le secret de l’instruction censées garantir l’impartialité et l’équilibre des procédures pénales, sont violés par les plus hautes autorités.
N’a-t-on pas entendu le chef de l’Etat condamner, avant tout procès, « l’espion » Khaled Drareni, « le pyromane » Rabah Karèche, en attendant de sceller le sort des « terroristes » Mohamed Mouloudj, Hamou Boumedine et leurs camarades d’infortune ?
Dérives délinquantes
Lors d’un de ces soporifiques « débats » télévisés avec des journalistes embarqués, le Président avait exhibé les « 187 journaux du paysage médiatique national » que nous envieraient, semble-t-il, les démocraties occidentales, comme un gage de liberté d’expression et d’ouverture politique.
Alors que le quotidien Liberté est acculé au suicide dans des circonstances opaques, alors qu’El Watan, dernier des Mohicans, est sommé de rentrer dans les ordres sous peine d’étranglement, la majorité des journaux-alibi, au tirage confidentiel, sont maintenus sous perfusion de l’ANEP.
Ces journaux, appartenant aux clientèles du régime qui se prosternaient devant Le Cadre en chantant la gloire du conducator, redoublent maintenant de férocité pour lui cracher au visage, lapider sa « 3isaba » et entrer ainsi dans les bonnes grâces des nouveaux maitres du pays. Une page de publicité contre d’obscènes génuflexions.
Dans ce marché gagnant-gagnant, aucun procureur, pourtant si prompt à dégainer l’article 87-bis contre des militants pacifiques, n’a osé ouvrir une information judiciaire sur cette dilapidation de deniers publics, détournés vers des intérêts privés…
Au moment où le pays traverse une des phases les plus critiques de son histoire tourmentée, les forces rétrogrades qui ont investi l’appareil d’Etat tentent de ranimer une vielle guerre idéologique pour faire diversion et conforter leurs bases dans les institutions.
Face à la flambée des prix des fruits et légumes et aux chaines interminables pour un sachet de lait, le ministre du Commerce décide… d’arabiser son département, donnant ainsi le top départ à une réaction en chaine qui va contaminer toutes les administrations.
Dans la foulée, la langue berbère, qui est pourtant « également langue nationale et officielle », est éliminée de l’espace public sans autre forme de procès. Les discours de haine et les provocations criminelles à caractère raciste tentent d’attiser les antagonismes ethniques et régionalistes. En toute impunité. C’est dire la puissance des parrains occultes qui tirent les ficelles dans l’ombre, et protègent les nervis avec ordre de mission.
Sauver le pays ou sauver le régime ?
Dans cette dérive délinquante, les patriotes en peau de lapin qui ont déclaré la guerre, 60 ans après les Accords d’Evian, contre « la France, ennemi d’hier et d’aujourd’hui », vont ramper et faire contrition devant ses représentants officiels pour obtenir un visa longue durée, ou une place au Lycée International Alexandre Dumas pour leur cancre de rejeton.
Dans un livre publié il y a quelques semaines, un ancien ambassadeur de France à Alger lève un pan du voile sur la duplicité de ceux qui ont pris le pays en otage, et révèle un bout des contreparties qu’il exigeait de ses obligés. Au service exclusif des intérêts de son pays, le diplomate français se gardera toutefois de donner des noms pour préserver un puissant levier de manœuvres lors de négociations futures.
Loin du pays de cocagne du JT de 20 heures, l’Algérie réelle des couches populaires qui tirent le diable par la queue est au bord de l’implosion. Dans un climat social dégradé, sur fond d’impasse politique et de menaces de déstabilisation à ses frontières, le pays fonce droit dans le mur ; à moins d’un miracle, le compte à rebours de la chute finale a déjà commencé.
Avec la flambée des prix des produits alimentaires, tous les ingrédients préliminaires à des « émeutes de la faim » sont réunis. Il suffira alors d’une étincelle fortuite, d’une provocation téléguidée ou d’un fait divers anodin pour déclencher la déflagration fatale.
Dans cette course folle vers le néant, le chef de l’Etat et le chef d’Etat-major des armées sont face à un choix binaire : sauver le pays en lâchant du lest, ou sauver le régime au prix d’une grave fracture nationale. Stopper la machine infernale de la déchéance par des mesures d’apaisement, ou précipiter le chaos par la fuite en avant dans la répression.
Ces mesures d’apaisement passent par la libération de tous les détenus d’opinion, le respect des libertés fondamentales et de l’Etat de droit, l’ouverture des champs politique et médiatique. En un mot, le respect des acquis démocratiques arrachés dans la douleur par le sacrifice d’un million et demi de martyrs, et consolidés par les luttes ininterrompues de plusieurs générations de militants.
Peut-on imaginer une célébration en grandes pompes du 60e anniversaire de l’indépendance avec des centaines de prisonniers politiques et autant de familles endeuillées ? Ce serait là un insoutenable affront à la mémoire des pères fondateurs de Novembre et de la Soummam, et à leur rêve de libérer les Algériens (nes) de l’oppression et de la peur.
Contre les tentations liberticides
Après la phase d’euphorique convivialité qui a révélé l’Algérie plurielle dans la fraternité et le civisme, le « Hirak » doit faire son autocritique. La Révolution populaire qui a réinventé l’espoir d’un désir d’avenir, réconcilié les Algériens avec leur identité plurielle, leur tolérance ancestrale et revendiqué sereinement la plénitude de leur histoire millénaire, doit reconnaitre ses erreurs pour mieux les corriger. Ni renoncement et repli sur soi, ni aventurisme et surenchère.
Dans cette séquence grosse de risques, faut-il pour autant se résigner au rôle d’idiots utiles d’un « hirak béni », avatar d’un coup d’Etat idéologique sur tapis de prière, que « l’Algérie nouvelle » tente d’imposer à la hussarde ?
Après deux années de manifestations festives, interrompues par la pandémie et la répression, le moment est venu de faire une pause d’étape, pour adapter les luttes aux contraintes objectives du terrain et se projeter dans l’avenir.
Dans la réflexion civique qui doit succéder aux grandes marches populaires pour leur donner du sens, l’élite intellectuelle est interpellée, loin des calculs d’apothicaires et des plans de carrière, pour dresser le profil d’une citoyenneté active et tracer la voie pour la concrétiser.
Si les questions de pouvoir portées par les franges activistes du mouvement populaire ont fait le jeu des conciliabules de l’ombre et des compromis d’appareils, il est grand temps de remettre le citoyen(ne), ses droits et ses libertés au cœur des débats et des enjeux. Car, c’est là l’ultime rempart contre les velléités autoritaires et les tentations liberticides. « D’où qu’elles viennent »…
Le sursaut de la dernière chance peut encore sauver l’essentiel de ce qui nous rassemble, et gérer sereinement nos différences, dans le respect des droits et des libertés de chacun. Dans ce défi existentiel, la responsabilité du chef de l’Etat et du chef d’Etat-major des armées est engagée en première ligne …