Je ne vais certainement pas vous entretenir du Qui suis-je ?, la grande question philosophique induite par la célèbre injonction de Socrate, Connais-toi toi-même. D’abord, je risque de perdre le lecteur dès cette première phrase qui a envie d’autres évasions en ce matin qu’un cours de philosophie. Mais aussi parce que j’en serais incapable.
Mais plus légèrement, je m’en sortirai par une voie anecdotique plus adaptée au jeu d’une chronique. Je me lancerai dans ce questionnement identitaire par l’introuvable certitude des gens à connaître où se trouve votre ville de jeunesse, celle qui vous a vu grandir, se former et acquérir une personnalité.
On détournera le risque de l’ennui philosophique mais en le suggérant. J’aurais pu partir de la ville de naissance mais j’en serais incapable d’y trouver la formation de la personnalité pour l’avoir quittée à trois ans.
Toute ma jeunesse je répondais que j’habitais Cité Protin. Et toute ma jeunesse je voyais bien l’expectative inscrite sur le visage de la personne qui m’a questionnée. Les plus habiles faisaient semblant de connaitre le lieu mais les plus prompts à gêner les autres insistaient pour savoir où cela se trouvait.
Alors vous étiez obligé de définir votre lieu de vie, celui qui ne crée pas votre identité mais en donne quelques pistes marginales. Ce détournement consistait à baliser le lieu comme on balise l’emplacement d’un pays en nommant ceux qui l’entourent par leurs frontières.
Inévitablement, je devais préciser le plus souvent que c’était à côté de Cité Petit, parfois de Choupot ou encore d’Eckmühl. Cette dernière localisation me permettait une plus grande légitimité d’origine puisque je traversais la ligne du A pour me rendre à l’école de la petite enfance.
Mais oui, je peux y puiser une racine par la notion de continuité territoriale. Mais éloignons-nous un peu plus et répondant à la question d’un Algérois qui demande dans quel quartier nous venons. Vous imaginez-vous cette fois-ci ce qu’est une plus grande expectative dans le visage que celle d’un Oranais lorsque je lui dis Cité Protin.
Mais prenons un peu plus de recul et nous voilà en France pour les études supérieures. Là, il est plus naturel de répondre par Oran pour le lieu de la formation de votre identité. La seule réponse que me donnent les plus intéressés par la littérature est, Ah oui, la ville de Camus.
Vous devez alors tout au long de la suite de l’itinéraire supporter cette référence qui, si elle est honorable, finit par devenir insupportable. C’est comme si vous disiez que vous vous avez grandi à New-York et qu’on vous répondait, Ah, la statue de la liberté !
Heureusement que dans la vie vous ne rencontrez pas que des gens instruits et que la seule expression du visage de celui qui ne connaît pas la ville. Cette réponse au moins, vous la connaissez pour en avoir l’habitude.
Prenons encore plus de recul et imaginons l’expectative d’une brave personne qui habite le Wisconsin. Il faudrait être aventureux pour éviter cette…, devinez quoi ? Bien sûr l’expectative du regard au prononcé du nom de la ville.
Alors, vous répondez ce qui est le plus simple, je viens d’Algérie. Mais ce n’est pas fini car dans ce grand pays où une grande partie de la population ne connaît pas la géographie mondiale, il faut encore plus augmenter la focale et se contenter de dire que vous venez d’Afrique du Nord.
Et ce n’est même pas sûr que vous arriverez à éviter cette expectative qui vous poursuivra jusqu’à la tombe. Dans votre dernier retranchement, lorsque la situation est désespérée, vous n’êtes pas à la dimension supérieure, l’Afrique.
Boumediene Sid Lakhdar