Dimanche 31 janvier 2021
L’imam et le droit de la Propriété intellectuelle
Que le lecteur ne se méprenne pas même si l’évocation du mot imam ne soulève habituellement chez moi que moqueries et accusations. Pour une fois, il s’agit d’un écrit sérieux sur une question de droit concernant le prêche d’un imam. Néanmoins ce lecteur reconnaîtra un éclat de rire intérieur qui tente de se dissimuler, avec difficulté.
Tous les ans, au même moment du cours sur la Propriété intellectuelle, une envie irrésistible me prend de réaliser une séance en travaux dirigés (TD) à propos d’un point particulier. Mais à chaque fois j’y renonce, absolument pas par syndrome de peur auprès de certains étudiants qui reconnaissent un blasphème en toutes choses et surtout en celles qu’ils ne comprennent pas. C’est dire si c’est souvent.
Mon hésitation est fondée par l’éloignement que cela induirait, non pas par rapport à la lettre du programme, la propriété intellectuelle est au cœur de leur formation, mais à l’esprit de son contenu pour des étudiants dont le métier futur n’est pas du domaine du droit.
La question juridique est celle de la contrefaçon au regard de la Propriété intellectuelle lorsque les imams basent leurs prêches sur des recueils de textes religieux ou dupliques les autres prêches dans un mimétisme évident.
Que dit le code de la Propriété intellectuelle ?
La propriété intellectuelle est l’ensemble des éléments qui attribuent des droits exclusifs de propriété au créateur d’une « œuvre de l’esprit », selon l’article L111-1 du code de Propriété intellectuelle (nous dirons PI par la suite, par souci de simplification).
Il s’agit en ce domaine du droit d’auteur, et dont il faut bien comprendre qu’il est un droit parmi bien d’autres, regroupés sous l’appellation générique de PI.
Article L111-1
L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. …/…
Le prêche d’un imam est-il une création de l’esprit ? Par provocation personnelle je douterais qu’il y ait jamais eu entre lui et toute réflexion une quelconque matière de l’esprit. Mais revenons à notre sérieux, promis au départ, c’est l’article L1112-2 qui va nous donner un début de réponse juridique à cette question.
Article L112-2
Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code : …/…
2° Les conférences, allocutions, sermons, plaidoiries et autres œuvres de même nature ; …/…
À cette étape de l’investigation le droit répond d’une manière claire, le prêche de l’imam est une création de l’esprit pour autant qu’on accepte l’existence de deux mots synonymes, prêche et sermon, ce que le dictionnaire confirme.
Mais en droit, les choses ne sont jamais si simples et tranchées, il faut aller vérifier d’autres affirmations du code de la PI ainsi que la jurisprudence, c’est à dire les décisions des tribunaux, sources de droit.
Que dit la jurisprudence ?
Un prêche est considéré par le code de la PI comme une œuvre de l’esprit car c’est une construction orale, souvent précédée d’une préparation écrite.
La jurisprudence ajoute au code de la PI une condition essentielle pour juger de la libre reproduction d’une œuvre de l’esprit. Il faut qu’elle ait un caractère « original », ce qui exclut notamment l’obligation de nouveauté.
Le code de la PI impose au préalable que l’œuvre soit réalisée. L’article L111-1 mentionne l’existence du droit « du seul fait de sa réalisation », c’est à dire de la matérialité de son existence. Ainsi un prêche est, par définition, considéré réalisé dès lors qu’il ait été prononcé, écrit préalablement ou non.
L’originalité est définie par la jurisprudence comme « l’expression de la personnalité de l’auteur ». C’est le fait des codes du langage, des expressions associées ou d’autres marques qui individualisent le propos. Toute reproduction serait alors une contrefaçon.
Oui mais ce n’est, encore une fois, pas si simple car le prêche d’un imam pose un certain nombre de questions quant à l’originalité.
La question des citations
Même si les éléments qui entourent l’essentiel religieux du sermon sont la marque personnelle de l’imam, il reste que les citations sont tirées du texte sacré des musulmans. Se pose alors la première question de droit, celle des citations.
L’article L122-5 nous donne un élément de réponse :
Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : …/…
3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :
a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ;
Il s’agit donc de citations courtes et la référence doit être citée, soit les paroles divines du coran (selon l’imam).
Là se trouve le problème car le prêche est truffé de citations jusqu’à en être l’essentiel dans sa quantité. La contrefaçon est ainsi manifeste au sens de l’article L122-5 du code de la PI.
Puis il y a un autre facteur qui risque de plaider pour la contrefaçon. Le prêche d’un imam est la plupart du temps, surtout en notre époque, la reproduction des effets de la colère, du la mise en garde et de la terreur de l’avertissement.
Or ces notions entraînent quasiment toujours les mêmes phrases, les mêmes envolées lyriques et les mêmes gestuelles. Difficile dans ces conditions de ne pas répondre positivement à l’accusation de contrefaçon. Il s’agit non pas de contrefaçon du texte originel mais d’une contrefaçon de la création d’une œuvre de l’esprit de tous les imams précédents jusqu’au premier, si on arrive à déterminer l’auteur.
Continuons notre investigation juridique, nous trouverons un autre point, tout à fait central, celui qu’attend le lecteur, et qui va disculper les imams de toute accusation de contrefaçon.
Qui est le créateur ?
Il ne s’agit pas d’une tentative d’humour mais la religion comme le droit sur la PI invoquent le même mot, celui de « créateur ».
L’évidence est que le droit nomme un créateur réel car seules les personnes dotées d’une personnalité juridique (physiques ou morales) sont soumises aux obligations du droit.
Quant à la religion, elle invoque un inconnu, une entité non identifiée. Il n’y a donc pas, au sens du droit, un créateur bénéficiaire du droit d’auteur pour les références nombreuses que cite l’imam, à chaque tournant de phrases.
Et il ne peut donc y avoir, par ricochet, de contrefaçon d’un imam à un autre par rapport à ces citations d’ordre religieux.
On ne peut non plus évoquer le droit des éventuels héritiers lorsqu’il s’agit du droit patrimonial c’est à dire des revenus de l’exploitation de l’œuvre (on penserait ici aux publications). La création, selon le code de la PI tombe dans le domaine public au terme de 70 ans après la mort du créateur. Nous en sommes très loin selon les premières traces historiques du monothéisme.
Cependant, beaucoup l’ignorent, le doit moral attaché au droit d’auteur est perpétuel. Le droit moral est celui qui interdit de dénaturer l’œuvre telle que voulue par son créateur à moins d’en obtenir l’autorisation des ayants droit.
Combien même serions-nous capables d’identifier le créateur initial, ce dont on a émis l’hypothèse contraire précédemment, reste à identifier les ayants droit.
Si nous nous référons au terrible schisme des musulmans concernant l’héritage spirituel et politique du prophète, c’est quatorze siècles de luttes fratricides, jusqu’à nos jours. Les cabinets de recherche des héritiers qui parcourent le monde ne sont pas prêt de retrouver les bons même si de nombreuses dynasties royales se revendiquent comme descendants légitimes.
Et même si nous remontions à ce niveau de la racine généalogique, le texte sacré a été révélé et sa paternité vient donc de plus haut, l’auteur dans le ciel. Et c’est là où cela se complique car si nous remontons à grand-père Adam et grand-mère Eve, les créatures du grand créateur, nous serions alors tous légataires de la création de l’esprit dont le droit moral est perpétuel.
Et par définition, ce qui est universel n’attribue pas de droit exclusif dont parle l’article L111-1. Nous voilà bien embêtés pour accuser l’imam d’une contrefaçon quelconque.
Le droit universel des traditions et cultures ne peuvent être l’objet d’une propriété intellectuelle exclusive, justement parce que les créateurs sont indéterminables par l’opacité du temps et des pratiques.
En conclusion générale, nous pourrions affirmer que le prêche n’est pas susceptible d’être entaché de contrefaçon pour ce qui est du fond du discours, c’est à dire les citations sacrées, mais uniquement dans la présentation générale et l’enrobage oral de ces derniers.
Ce qui, nous l’avons précisé, reste peu probable du fait que l’originalité est peu au rendez-vous lorsqu’il s’agit de ce genre de prêches.
Je ne sais pas si, pour les imams, une telle mésaventure s’est déjà déroulée avec des suites judiciaires mais, si c’est le cas, l’apoplexie de rire ne pourra être réprimée comme je l’avais promis en début d’article.
Et le comique, c’est le propre des croyances et des dogmes, un spectacle qui me fait rire depuis l’âge de 8 ans. Et cela ne peut être accusé de contrefaçon car le rire est le propre de l’Homme, lui-même crée à l’image du Grand créateur, nous dit-on.
Dans ces conditions, qui oserait s’aventurer dans le risque d’une accusation de contrefaçon ?
Sid Lakhdar Boumediene
Enseignant
Note : le mot contrefaçon est utilisé juridiquement dans un sens élargi. Il ne s’agit pas seulement des reproductions illégales d’objets physiques.