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Limogeage de Toufik : quelques batailles à se remémorer (2e partie)

DRS

Limogeage de Toufik : quelques batailles à se remémorer (2e partie)

Le général Toufik ne mit pas longtemps à s’apercevoir des arrière-pensées du nouveau président.

La première manœuvre de ce dernier eut lieu quelques mois à peine après son élection et avait, déjà, pour cible… Toufik ! Dans le premier gouvernement qu’il forma en 1999, Bouteflika avait prévu de nommer Yazid Zerhouni comme adjoint du général. Il recevra un niet catégorique. Le DRS constitue, dans ce système politique hermétique, la seule opposition au président, mais une opposition à l’intérieur du système et dans laquelle il ne faudrait pas prêter trop de vertu.

Le nouveau président allait prendre son temps et choisir les alliés sur lesquels il allait s’appuyer dans sa stratégie d’affaiblissement et de déstabilisation de l’armée et du DRS : les forces étrangères, notamment les États-Unis et la France, la pègre pétrolière, les islamistes et les réseaux mafieux de l’économie informelle. En clair, les forces qui l’ont aidé à accéder au pouvoir. Ce sont toutes ces forces coalisées qui ont agi depuis 1999 et contribué aux successives réélections du président.

Pour obtenir un deuxième mandat, le chef de l’État va jouer de la carte américaine. Ou plus exactement la carte de la pègre pétrolière américaine.

Il va promettre quelque chose de tout à fait exceptionnel aux Américains dont nous savons qu’ils ne sont intéressés que par le pétrole. Dès l’année 2001, il fait rédiger la loi sur les hydrocarbures qui dénationalisait dans les faits les hydrocarbures algériens. Une puissante opposition le contrarie, conduite par le DRS. Loin de se décourager, il s’engage à remettre ladite loi sur le tapis s’il est réélu. Il le sera et, comme promis, un an plus tard, en avril 2005, le président Bouteflika fit adopter, à la hussarde, une loi sur les hydrocarbures totalement orientée sur les intérêts étrangers au détriment de l’économie nationale. C’est sans doute ainsi que le président a été réélu en 2004, grâce à la loi sur les hydrocarbures, manifestation concrète de la collusion avec des intérêts étrangers. Elle constitue un cas d’école dans la définition de la corruption comme une forme de trahison au moins parce que les grands groupes pétroliers en ont eu la primeur au début de l’année 2004, bien avant le gouvernement et les élus du peuple. Ladite loi proposait d’attirer par des largesses, qui n’existent nulle part ailleurs au monde, les grandes compagnies pétrolières mondiales afin qu’elles consentent d’investir des milliards de dollars dans le Sahara algérien.

Les observateurs furent stupéfaits de découvrir que les Algériens qui, dans le passé avaient si souvent traité les monarchies arabes de cheval de Troie des USA à l’intérieur de la forteresse de l’OPEP, baisser à ce point la garde et accorder aux grandes compagnies pétrolières, américaines en particulier, des avantages inconsidérés ; des avantages que nul autre pays pétrolier au monde n’avait concédés jusque-là, allant jusqu’à laisser au partenaire étranger la propriété du sous-sol. «Quel pays de contradictions que l’Algérie qui n’autorise pas les investisseurs étrangers à devenir propriétaire du lopin de terre sur lequel ils installeraient leurs unités industrielles mais qui concède, avec une telle légèreté, les milliers de milliards de dollars de ses ressources énergétiques à ces mêmes investisseurs!», ironise un ancien responsable de Sonatrach.

Les partenaires étrangers attendaient comme des fauves, depuis plus d’une année l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, afin de se jeter sur la proie qu’ils ont choisie. On parle même de cette très grande multinationale anglo-saxonne avec laquelle le pouvoir négociait depuis une année pour l’associer au développement d’une vingtaine de champs, un projet de quelque trois milliards de dollars, sur lequel on lui a déjà promis 75% de participation.

Devant le juge du pôle financier du tribunal d’Alger et devant les enquêteurs du DRS, certains cadres ont accusé l’ancien ministre de l’Energie d’avoir élaboré la loi sur les hydrocarbures, en 2000 sous la dictée des grands groupes de la pègre pétrolière internationale. Le rédacteur de cette loi ne serait autre que Bob Pleasant, «le juriste» américain que Chakib Khelil a recruté au ministère de l’Energie et des Mines dès son installation à ce département avec l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir en 1999. Cet homme, qui aurait travaillé à la Banque mondiale, a contribué à l’élaboration de plusieurs textes de loi durant «le règne» de Chakib au ministère de l’Energie. Des personnes interrogées par les enquêteurs ont déclaré que Bob Pleasant aurait reçu la somme de 2 millions de dollars pour «confectionner» la fameuse loi sur les hydrocarbures qui autorise un pillage en règle du sous-sol algérien par les majors anglo-saxons moyennant quelques dividendes accordés à leurs amis algériens. Cette dernière n’ayant pas fait l’unanimité au sein du clan lui-même, en raison de son caractère outrageusement capitulard, a été retirée par souci tactique. Bouteflika attendra sa réélection en 2004 pour faire adopter la loi, profitant d’un nouveau rapport de forces favorable.

Certaines déclarations faites au juge et aux enquêteurs laisseraient entendre que le chef de l’État aurait agi sciemment en faveur de groupes étrangers. Les témoignages ont, par ailleurs, reconstitué toute l’escroquerie Sonatrach qui s’est avérée être une action mûrement réfléchie, froidement exécutée, selon un plan méticuleusement élaboré. Le juge d’instruction du pôle financier du tribunal de Sidi M’hamed détient entre les mains une bombe : la preuve que le pillage de Sonatrach est l’œuvre d’une machination concertée en «très haut lieu».

Le général Toufik obtiendra finalement que la loi soit gelée. Il venait de remporter une première manche.

Avec les islamistes

Une succession de parties de bras de fer allait marquer le premier mandat. Premier round : la loi sur la Concorde civile qui ouvrait la porte de la clémence aux terroristes qui désiraient se repentir. Le président voulait aller plus loin et décréter l’amnistie mais, surtout, le retour à 1992, c’est-à-dire à la dissolution du Front islamique du salut (FIS). Il va rencontrer une forte opposition de l’armée et du DRS.

«Dès sa réélection en 2009, Kaiser Moulay prononcera une amnistie générale et permettra au FIS de retourner sur la scène politique ; oui, le champ sera rouvert aux enfants du Front dans le cadre d’un parti politique», avait déjà révélé, en décembre, Ahmed Benaïcha, l’ancien émir de la branche armée du FIS, dans les colonnes du journal arabophone El Bilad.

L’ancien chef terroriste reconnaît l’existence d’un projet politique clairement défini: «Il y a en ce moment plusieurs initiatives pour donner corps à cette solution politique qui va faire l’objet d’un consensus entre les nationalistes et les islamistes.»

Cette solution politique, Benaïcha l’appelle «solution finale», celle qui solderait le contentieux de 1992 né de l’annulation des législatives remportées par les islamistes et de la dissolution du FIS. Elle prévoit une réhabilitation totale et publique du parti dissous et un progressif transfert de pouvoir. C’est dans la bouche de Benaïssa : «Les chefs des deux autres partis de l’alliance présidentielle, le RND et le MSP, ne s’empressent pas de soutenir Kaizer Moulay pour un troisième mandat, parce qu’ils ont eu vent de « la solution finale » préconisée par le président et promise au chef de l’AIS. Ils savent que le retour du FIS dissous sur la scène politique signifie la fin de leur légitimité en tant que représentants du peuple.» Une fois de plus, le général Toufik s’oppose.

L’islamisme avait compris. Il fallait donc faire élire Bouteflika et lui prêter main forte contre les généraux.

Madani Mezrag et les chefs de l’Armée islamique du salut, qui se voyaient déjà aux portes du Palais, sortent du bois avec la délicatesse de l’éléphant et toute la subtilité de l’orang-outan.

Ils auront le mot de trop qui va précipiter les évènements et condamner définitivement Belkhadem.

C’est d’abord Ahmed Benaïcha qui désigne grossièrement les généraux, en soutenant que les auteurs des attentats du 11 décembre 2007, sont à chercher parmi «ceux qui ne veulent pas de troisième mandat pour Kaizer Moulay.» Il parle en expert assassin : «Du point de vue purement militaire, on n’attaque que les cibles qui constituent un danger. Je me pose la question : pour qui le Conseil constitutionnel représenterait-il un danger ? Pour ceux qui sont encore au maquis ? Bien sûr que non, ils n’ont aucun rapport avec lui, par contre, c’est une menace pour ceux qui ne veulent pas de troisième mandat pour Kaizer Moulay».

En mai, Madani Mezrag prend le relais et annonce, toujours dans El Bilad, qu’un congrès de l’ensemble des fractions du FIS est programmé spécialement pour septembre afin qu’il «coïncide avec les élections présidentielles de 2009.» L’ex-chef terroriste signifie par-là que ledit congrès appellera à soutenir un troisième mandat pour Kaiser Moulay et que le parti qui sortira de ces assises se mettra au service du président-candidat.

 

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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