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L’IVG, avancée historique, espérance démesurée

IVG

Pour la première fois au monde le droit à l’IVG (Interruption volontaire de grossesse) est introduit dans une constitution d’un pays démocratique, la France. C’est une avancée historique pour un droit fondamental des femmes à disposer de leur corps.

Comme une majorité de la population, je salue une initiative digne des grandes valeurs de l’humanisme et des droits de l’Homme.

Cette avancée est la bienvenue au regard de la régression des législations de nombreux pays qui ont renié, restreint ou carrément supprimé le droit à l’avortement. L’exemple radical le plus inattendu est celui des Etats-Unis par une décision de la Cour suprême qui accorde désormais le pouvoir aux seuls Etats de l’autoriser, de l’interdire ou de choisir le niveau des conditions pour y accéder.

En 2022, la Haute cour de ce pays est donc revenue sur sa précédente et historique décision de légaliser ce droit au niveau fédéral en 1973 dans son arrêt Roe vs Wade. Nous assistons à cette même régression dans les nombreux régimes populistes, y compris en Europe. Si Malte est le seul pays à l’interdire, les restrictions à l’accès à ce droit se sont multipliées par leurs conditions de plus en plus difficiles.

Mais si je suis enthousiaste pour cette décision, c’est dans l’étape précédente que j’aurais tout de même émis des réserves. Qu’il soit clair que ce n’est absolument pas pour le fond de la décision mais pour la procédure légale qui vient d’être choisie.

Ma position n’est ni originale ni isolée. Elle est dans le débat en droit constitutionnel depuis aussi longtemps qu’il existe et pour de nombreux droits en dehors de l’IVG qui n’est que l’épisode actuel.

La discussion porte sur la nature et l’objectif d’une constitution. Est-elle le lieu d’affirmation de tous les droits sociaux ?

Oui disent ceux qui le pensent à chaque fois car on peut se douter que ce débat ne resurgit que pour des thématiques dont personne ne peut mettre en cause la nature fondamentale de leur légitimité.

Et c’est bien là le souci, la Constitution a-t-elle pour rôle d’être « un catalogue de tous les droits sociaux » ? J’emprunte cette expression au Président du Sénat, Gérard Larcher, mais sans partager son arrière-pensée politique et morale, s’il en avait une (je n’ai aucune certitude à ce sujet).

Il existe un texte sur les droits fondamentaux que la France a validé historiquement et définitivement par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il est inscrit dans le préambule de la constitution de 1958, celle de la Vème république.

C’est une erreur souvent faite de penser que la déclaration de 1789 a été conservée comme base constitutionnelle dans tous les régimes qui ont suivi. Même la troisième république qui est la première à installer une république qui va survivre jusqu’à nos jours, à l’exception du régime de Vichy, ne l’a pas mentionnée.

La raison est que les républicains avaient craint que cela puisse réveiller les tensions dans la société, religieuses ou autres. Les constitutionnalistes voulurent laisser le temps pour que les idées du texte révolutionnaire s’incrustent dans tous les esprits. Fort de l’enseignement des lendemains de la révolution et des multiples retours en arrière, ils avaient compris cette fois-ci  combien le chemin allait être long.

Et si en 1946, le texte a été enfin introduit dans le préambule à la constitution de la IVème république, repris par celle de la Vème république en 1958, il était considéré comme un énoncé philosophique et moral, ne lui donnant pas pour autant une valeur constitutionnelle. Ce n’est que par la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 que le texte avait acquis enfin une valeur constitutionnelle.

Ce long cheminement avec ses remises en cause que beaucoup estiment aujourd’hui stupéfiant n’est pas dépourvu d’un sens. Nous en avons vu un, celui de la IIIème république. Cet argument n’a bien évidemment pas tenu avec le temps mais a été remplacé par un autre, celui dont il est question dans cet article.

À vouloir introduire tout nouveau droit dans la constitution par ce préambule on prend un risque de désacraliser le texte. Il y a une multitude de droits sociaux qui apparaissent avec le temps et d’autres, existants mais qui nous apparaissent bafoués avec le regard contemporain de chaque époque. La constitution ne peut être modifiée selon l’époque. Elle est garante de la stabilité de la loi fondamentale, incompatible avec les modifications ou introductions permanentes.

J’ai dépassé l’âge d’être ébloui par nos anciens professeurs en droit constitutionnel qu’on dénommait des mandarins. Mais on peut en toute liberté et indépendance d’esprit retenir certaines remarques. Dans un cours en droit comparé, il nous montra combien la Constitution française était « bavarde » par rapport aux textes anglo-saxons et que dire de celui de la Grande Bretagne qui n’a pas une constitution écrite mais « coutumière ».

Selon son propos, la constitution n’a pas pour rôle « de choisir la couleur des rideaux de l’Assemblée nationale ». Il justifia ce travers par le droit français qui est héritier de la tradition de l’écrit dans le droit romain puis dans le droit canon de l’Eglise catholique.

Mais il y a pire, la grande déception par le risque de l’inefficacité alors qu’on dit habituellement que la constitutionnalisation « sacralise un droit » ou « l’inscrit dans le marbre ». Et là nous faisons face à deux illusions si nous ne prenons pas garde à être emporté par la solennité du moment.

La première est qu’une constitution se modifie, c’est bien la preuve avec le droit à l’avortement. Elle peut ainsi supprimer celui-ci par le même mécanisme. Personne ne prédit l’avenir mais tout le monde sait combien les retours de situation sont inhérents à l’histoire.

La majorité qualifiée des trois cinquième peut tout aussi bien se retrouver dans un climat favorable à la suppression du droit à l’avortement. Gardons toujours à notre esprit le cas des Etats-Unis ou de bien d’autres dans le monde où la morale religieuse, réelle ou suscitée par le régime politique, a refait surface.

Et ne jamais également oublier que les gouvernements en France peuvent passer par l’article 11, celui du référendum. Si la société devient conservatrice au plus haut point, il est acquis dans le temps d’un seul scrutin référendaire

La seconde illusion est de croire qu’un droit inscrit dans la constitution permet la pleine réalité de celui-ci. La seule garantie est qu’aucun texte législatif ou règlement ne peut le remettre en question et l’interdire sans recourir aux mécanismes plus lourds de la révision (tout de même plus difficiles malgré la remarque du paragraphe précédent).

Nous savons parfaitement que la cause qui a poussé le Président à proposer l’inscription dans la constitution est la situation de blocage qui place les femmes dans une impossibilité d’avorter, malgré la loi Simone Veil de longue date.

Tout d’abord par la clause de conscience invoquée par de plus en plus de médecins, la fermeture de nombreux centres qui le proposent et, surtout par une violence des oppositions conservatrices rétrogrades, religieuses ou d’extrême droite (ce qui se confond dans la majorité des cas).

Bien entendu que la constitution permet de rendre plus difficile le retour en arrière et ne permet pas à tout changement de majorité politique de remettre en cause le droit par une simple loi. C’est déjà beaucoup.

Tout cela est vrai et l’événement français ne peut être critiqué par son avancée extraordinaire. Mais les illusions de la protection fait baisser la garde pour une lutte constante des droits qui ne sont jamais acquis d’une manière définitive.

Aussi parce que la multiplication des droits sociaux dans la constitution risque de faire perdre confiance en elle. Le manque de confiance en une constitution est la fin d’une démocratie.

Bravo à la réforme mais la nécessité d’une vigilance permanente contre l’obscurantisme qui perd toujours la bataille mais jamais la guerre. Si le cas contraire existait, nous le saurions depuis de très nombreux siècles où l’homme l’a combattu avec l’acharnement de l’instruction et du modernisme.

Sid Lakhdar Boumediene

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