Mardi 29 décembre 2020
Loi de finances 2021 : un gâteau à couper ou un couscous à garnir ?
En temps de paix comme en période guerre, dans l’opulence comme dans la disette, les clans ont toujours su trouver un consensus dans la prise de décision et le plus souvent sur le dos des populations présentes et futures.
« Un compromis, c’est l’art de couper le gâteau de telle manière que chacun pense avoir la plus grosse part ». Et dans ce domaine, le dirigeant algérien excelle, c’est semble-t-il un des critères qui préside à sa désignation.
Aujourd’hui, le gâteau s’est rétréci comme une peau de chagrin, les clans se sont multipliés, la pandémie du covid-19 fait rage, l’économie est au ralenti, le pétrole ne trouve pas preneur, le gaz naturel liquéfié inonde le sud européen, les liquidités financières manquent, les retraités ont de la peine à retirer leur maigre pension alimentaire, le président est en convalescence à l’étranger.
Les convives s’impatientent. « Les invités sont comme les gâteaux. Si on les garde trop longtemps, ils rancissent et deviennent immangeables ». Qui va alors couper le gâteau, le temps presse. Le gâteau ne peut plus attendre.
Tel un intrus, le peuple s’invite à la table. Personne ne l’a vu venir. Que faire ? L’ignorer ou l’intégrer ? L’ignorer pour combien de temps ? L’intégrer, à quelles conditions. ? Il a fait irruption sur la scène politique, il veut balayer tout sur son passage. il revendique sa souveraineté. Il est déterminé à prendre son destin en mains. Les perspectives sont sombres, les menaces extérieures plus précises, la rue gronde.
La famine pointe à l’horizon. On partage la richesse mais pas la pauvreté. Tous espèrent une remontée des cours pétroliers, qui assure-t-on en haut ne va pas tarder. Simple illusion d’optique ou fuite en avant ? Le recours à l’endettement extérieur problématique. Autour de la table, personne ne réunit les qualités requises, il faut chercher ailleurs.
Personne ne se bouscule au portillon. Un décideur s’impose. Qui va s’engager sur un terrain périlleux ? Qui va affronter la population ? Un couscous sans garniture ce n’est plus du couscous mais de la semoule. « On peut rire de tout mais pas en mangeant de la semoule ». La rente est au pouvoir ce que la viande est au couscous.
L’Algérie vit des exportations des hydrocarbures. Sa survie dépend de l’étranger, du blé de la France et des armes de la Russie. Sur le plan socio-politique, l’Algérie se distingue par l’importance des ressources soumises à une distribution publique (marchés, subventions, licences d’importation, fonds de commerce, logements etc…) Un autre gisement s’offre aux élus et fonctionnaires c’est l’emploi public représentant un poids non négligeable dans l’électorat (La république à travers la fonction publique et para publique est le premier employeur avec une armée de fonctionnaires dociles et redevables).
De l’indépendance à nos jours, c’est la ruée vers le politique. Cela se traduit par une mainmise de l’Etat et donc d’une caste d’élus et de fonctionnaires sur la quasi-totalité des ressources du pays. Les fonctions électives sont un ascenseur social, un tremplin à l’enrichissement personnel. Les distributions d’emplois publics façonnent les clientèles autant qu’elles les révèlent. Toutes les fortunes privées sont constituées à partir du politique.
L’exercice des fonctions étatiques permet de se ménager une place dans l’échelle de redistribution des biens et des services. C’est un Etat providence pour les seuls clients du régime politique en place. La fraude électorale et le bourrage des urnes sont des pratiques courantes depuis l’époque coloniale. La rémunération des clientèles cède parfois le pas à l’enrichissement personnel.
L’appétit des patrons et des clients allant en s’aiguisant. L’enjeu des élections en Algérie est évidemment l’accès à la rente que confère l’autorité. En effet, l’élite au pouvoir, bien que vivant de l’Etat n’a pas le sens de l’Etat mais seulement de ses propres intérêts.
Une fois, au pouvoir et à proximité de la rente, les élus se transforment en « harkis du système » ; hors du pouvoir et loin de la rente, ils sont ses plus farouches adversaires ? Dans ce contexte, toute distribution des ressources par l’Etat et son administration peut difficilement viser l’intérêt général. L’intérêt général est intériorisé dans les démocraties occidentales. Il est ignoré dans les régimes autoritaires. Il se confond avec l’intérêt de la caste au pouvoir.
A chaque fois que l’on fait de l’Etat ou d’une petite élite, le principal acteur du développement, on suscite l’apathie générale du corps social et les citoyens se détournent des structures sociales et politiques organisées. On se trouve devant une société éclatée, une classe dominante qui vivant de l’Etat n’a pas le sens de l’Etat mais de celui de ses intérêts. Cette classe a le goût de l’autorité et du prestige, elle ignore celui de l’austérité et de l’humilité. Cela remonte loin dans l’histoire du nationalisme algérien au moment où la société à l’époque coloniale était organisée de telle façon que seules les élites étaient aptes à faire de la politique le peuple était maintenu à l’écart. Il était là pour servir de caution aux choix et décisions prises par l’élite.
Quand la liberté de voix a été accordée au peuple, il s’est jeté à corps perdus dans la religion, une religion tronquée par des enjeux de pouvoir. Les algériens ont été formatés par la colonisation française et par le système post colonial pour s’autodétruire en se dressant les uns contre les autres selon la vieille formule « diviser pour régner » en jouant sur la religion, la langue et l’ethnie. La politique est devenue au fil des années et des sommes amassées synonyme de jouissance. « Qu’importe le flacon pourvu qu’il ait l’ivresse ».
La règle étant de de s’enrichir et non d’enrichir le pays. L’art de la politique est de mentir et nous sommes passés maître en la matière. Mentir à soi, aux autres, à dieu. Des mensonges qui rapportent gros, aux donneurs d’ordre, aux bénéficiaires des contrats publics, aux partenaires étrangers. On a fait sienne la maxime de Frédérich Jézégou « Pour régner, pour gouverner, il faut plaire au peuple. Lui mentir si nécessaire. Mais dire ce que les gens ont envie d’entendre. Le faire est secondaire. On calme la colère, les déceptions, par encore plus de démagogie.
Puis vient le moment de tourner, de laisser sa place au parti d’en face, une fois que le peuple en a marre d’entendre trop de mensonges ». Quand un peuple souffre dans sa chair, il ne peut avaler la vérité parce qu’elle ne le nourrit pas, mais préfère gober le mensonge qui l’alimente. Le mensonge, c’est la rente pétrolière et gazière. Pour les autorités, « Mieux vaut un mensonge qui produit la paix qu’une vérité qui déclenche une guerre ».
Le pouvoir est en déphasage par rapport à la société. « Quand ta passion prend le dessus sur ta raison, tu deviens alors le mouton de ta passion. Quand la raison prend le dessus sur ta passion, tu deviens le berger de ta passion » Ethan Bthr. La société a mûrie, elle est pacifique, solidaire, ouverte sur le monde et consciente des enjeux géo-stratégiques. Quand la raison monte sur le trône, la passion descend de son piédestal.
Dr A. B.
PS : Devenu diabétique, à force de tromper sa faim par l’usage immodéré du sucre et de s’adosser au mur tout le long de la journée, le peuple ne veut plus servir de vide ordures du monde entier, il préfère un bon couscous de sa grand-mère, fait maison à partir des produits du terroir, plus sain et plus équilibré. Il est mature. Il ne demande pas du pain et du lait mais réclame la liberté et la justice. « On a déclaré qu’il fallait d’abord la justice et que pour la liberté, on verrait après, comme si des esclaves pouvaient espérer obtenir la justice » nous dit Albert Camus.