Qui ne connaît pas cette expression ? Quel est l’auteur de cette affirmation ? En fait on ne le sait pas vraiment, on cite souvent Napoléon ou Einstein (on les cite toujours lorsqu’on ne sait rien) mais personne n’est vraiment sûr car bien d’autres paternités lui sont attribué.
Ce qui est certain est que c’est un adage scolaire qui se perd dans le temps par l’usage des instituteurs comme il y en a bien d’autres. Mais nombreux, en dehors du corps professoral, sont ceux qui l’utilisent dans un sens inversé à ce qu’il veut signifier. La plupart du temps l’adage est compris comme un rejet de la nécessite de l’orthographe. Elle ne serait dans l’apprentissage que répétition inutile de ceux qui seraient des ânes.
Ils font ce qu’on leur a appris à faire, sans se demander le sens de ce qu’ils font ni réagissent pour le contredire. L’adage est donc une excuse bien facile pour ceux qui font beaucoup de fautes et en prennent excuse.
Mais c’est une interprétation erronée car on serait bien étonné que l’institution scolaire d’autrefois excuserait facilement les fautes d’orthographe et même les encouragerait par cet adage. On voit bien que cela nous guide vers une autre interprétation, plus conforme au sens initial voulu par les instituteurs.
L’orthographe est la science des ânes signifie que n’importe quel âne pourrait l’apprendre disait-on à l’élève qui n’y arrivait pas ou qui ne faisait aucun effort pour y arriver. L’âne est la représentation la plus utilisée pour définir le cancre, le fainéant et la forte tête qui refusent de se soumettre à une règle imposée. Quoi de plus humiliant devant les camarades que porter un bonnet d’âne en allant dans le coin, le visage face au mur, sans pouvoir foudroyer du regard ceux qui en rient avec un délicieux plaisir ?
C’est tout à fait étonnant que cette brave bête, décrite si merveilleusement par le poème de Francis Jammes qui débute par «J’aime l’âne si doux marchant le long des houx… » soit le représentant de la bêtise et de l’idiot qui ne réagit même pas à son destin si lourd à porter.
C’est justement ce poids qu’il a tellement porté sur son dos qui a permis aux humains de labourer, transporter et gravir les pentes. Il n’a pas eu besoin d’instituteurs pour honorer la valeur travail qu’on assène aux écoliers pour les façonner aux valeurs de la citoyenneté et de la morale. Il n’a pas eu à refuser la peine à la besogne, malgré les coups qu’il recevait.
Il ne s’est jamais indigné de ne pas recevoir la même gloire dont a bénéficié son prétentieux père. Ce dernier aurait permis aux civilisations d’avancer, aux peuples de vaincre et à l’orgueil de s’affirmer par la majesté d’un corps puissant et fier. Pourtant il n’a jamais cessé de participer aux guerres sanglantes, ce que devrait reconnaître l’institution scolaire puisque sa mission est de former l’esprit à les éviter.
Je ne peux accepter ni la première ni la seconde des interprétations données à l’expression selon laquelle l’orthographe serait la science des ânes car elles sont toutes les deux négatives et péjoratives. D’une part, on ne peut rejeter l’indispensable maîtrise de l’orthographe car elle est le moyen de communiquer avec les autres. Il serait inimaginable que chacun ou chaque groupe puisse utiliser sa propre orthographe, qu’elle soit d’ordre lexical ou grammatical.
Les jeunes écoliers ont besoin de sûreté et de stabilité pour leur apprentissage. Il est impossible pour eux de comprendre qu’il peut y avoir des orthographes et des sons qui diffèrent d’une personne à l’autre. Et que serait l’unicité des manuels pour les règles de l’écriture ?
On ne peut également rejeter ceux qui ont une incapacité à la maîtriser, soit par illettrisme ou par une insuffisance cognitive. Si ce point de vue n’est pas discuté, il a toujours existé des périodes où la question de la simplification revient avec force. Effectivement, pourquoi redoubler certaines lettres, pourquoi deux orthographes pour le même son, un tréma, un y au lieu du i et ainsi de suite ?
Toutes les tentatives ont échoué, quelles que soient les propositions et l’épuisement de l’Académie française à dénoncer ou proposer une orthographe. Pourquoi ? Tout simplement par la plus ancienne des raisons, l’orthographe lexical ou grammatical est le fruit d’un usage toujours en évolution dans l’histoire.
On ne change pas un usage séculaire comme on signe un décret pour le modifier. Ce sont les pratiques, les mélanges culturels et les recompositions territoriales qui le modifient.
Hélas, il y a des circonstances où la capacité à maîtriser l’orthographe diminue. C’est d’abord le clavier d’ordinateur qui a fait exploser mon orthographe. Si c’est souvent une excuse, elle est une réalité dans bien d’autres fois. Puis il y a la diminution dans le temps de la vigilance et de l’attention qui vont entraîner de lourdes fautes qui n’auraient jamais été possible de faire à l’école de Bouisseville à Oran. En tout cas sans recevoir la foudre de la sanction immédiate du 0/10. Il en est de même durant les études supérieures et l’exercice d’un emploi professionnel.
Plus le nombre d’articles et de notes rédigés s’élève, plus les fautes deviennent horriblement gênantes car, par proportion, elles augmentent. Le malheur de ceux qui ont connu cette évolution déclinante ont encore la faculté de s’en inquiéter et d’en être honteux.
Hélas le correcteur automatique est loin d’être satisfaisant. Il est le plus légitime pour porter le bonnet d’âne. Et ces temps-ci, à mon grand chagrin, je suis parfois obligé de le partager avec lui.
Il n’y a alors qu’une seule chose à faire, celle que nos instituteurs et professeurs ultérieurs nous disaient, il faut toujours relire. Mais si la jeunesse ou l’âge actif peuvent se permettre une seule relecture, il en est autrement pour la suite.
Pas plus d’une demi heure pour concevoir et rédiger une chronique, un temps fou pour relire et corriger. Et, bien entendu, il en restera toujours dans l’assiette.
La morale de cette histoire est celle que nous raconte la vie de l’âne besogneux. Plus la pente est raide plus l’effort doit redoubler. Il n’a pourtant jamais été à l’école pour le savoir et l’appliquer.
N’en recherchez pas dans cet article, laissez au mystère le plaisir d’en trouver si vous n’aimez pas la chronique. Plus votre rejet est fort, plus vos chances d’en trouver augmentent.
Car l’orthographe étant un vecteur de communication son message dépend de l’interprétation subjective que fera celui pour lequel elle est adréssée. Tiens, faut-il le participe passé féminin ou masculin dans cette dernière phrase ?
Boumediene Sid Lakhdar