Le jeudi 25 juin 1998 est restée gravé dans la mémoire collective kabyle, notamment celle de la jeunesse. Ce jour-là marqua tragiquement la fin d’un 20e siècle désastreux et jeta brutalement un voile funèbre sur la Kabylie, l’Algérie et au-delà pour faire planer un frisson épouvantable d’inquiétude et d’indignation.
Matoub Lounès, artiste et militant de la cause amazighe a déjà échappé à de graves attentats ou traquenards. En 1988, il fût grièvement blessé par une rafale d’arme automatique tirée par la gendarmerie nationale de son pays.
Mais en ce mois de juin 1998 il n’y échappa pas : il est abattu sans pitié par une horde bestiale qui chasse en meute sous les ordres de sinistres personnes. Une horde qui ne lui a laissé aucune chance de s’en sortir.
Encore plein de vie, de rêves et débordant de talent, Lounès Matoub regagnait tranquillement son domicile, accompagné de son épouse et de ses deux belles-sœurs, lorsque son véhicule fut pris sous un déluge de feu de kalachnikov.
Postés de façon professionnelle dans les talus surplombant un grand virage, plusieurs traitres armés arrosèrent de balles assassines la Mercedes noire du chanteur. En quelques minutes, ils mettent fin à la vie d’un artiste connu pour son engagement pacifique et sa voix insoumise. Avec effroi, la nouvelle a vite fait le tour du monde laissant son peuple sans voix.
Son assassinat a plongé tout son peuple dans un choc traumatique sans précédent. Comment un homme, dont le seul « délit » était de chanter et de défendre son identité, pouvait-il être la cible d’un crime aussi odieux à quelques pas de son village, de son domicile ?!
La question reste toujours posée : Pourquoi a-t-on voulu faire taire cette voix si tendre, si chère aux jeunes et moins jeunes de son pays ? À ce jour, les supputations n’en finissent toujours pas, mais les certitudes manquent à l’appel.
Certains pointent du doigt les groupes armés islamistes, d’autres parlent de règlements de comptes politiques tandis que d’autres encore accusent le pouvoir d’où peuvent agir quelques éléments d’un clan maléfique.
Le contexte de fin de siècle était trouble, la décennie noire n’avait pas encore dit son dernier mot et les armes ne se sont pas définitivement tues. L’Algérie était encore marquée par un climat anxiogène et de violences incontrôlées.
Quelle que soit la réalité des faits, un constat s’impose : cet odieux assassinat n’a fait l’objet d’aucune enquête sérieuse et les commanditaires du crime coulent, à coup sûr, une vie tranquille à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.
L’indignation et la douleur du peuple algérien et surtout celui de Kabylie restent, quant à elles, particulièrement vives. La justice pour Lounès Matoub et sa famille semble toujours hors de portée. Ce meurtre qui marque horriblement la fin du 20ème siècle sera-t-il jamais élucidé ?
La mémoire de l’artiste, chanteur insoumis et défenseur de la culture amazighe, mérite, naturellement, que soient dévoilés les meurtriers de l’ombre et leurs commanditaires. C’est ainsi, et seulement ainsi, que Nadia son épouse, Malika sa sœur, ses fans et toutes celles et ceux épris de justice feront leur deuil.
Aujourd’hui, face à l’omerta, les paroles et la musique de Matoub continuent d’irradier les cœurs et les esprits de ceux qui l’admiraient et le cœur des justes. Sa voix résonnera encore comme l’Anza, cette voix mythique et mystérieuse qui perturbe le sommeil des esprits assassins, cette voix qui garde les plaies ouvertes afin que nul n’oublie.
Le nom de Matoub Lounès restera dans le vaste champ mémoriel amazigh comme symbole vivant de la résistance pacifique et comme martyr de la cause amazighe. Son sacrifice n’est pas vain et son combat et son talent continueront d’inspirer les générations futures. Paix à sa belle âme.
Hacène Hirèche