Site icon Le Matin d'Algérie

Lu pour vous, « Tiɣilt n’umadaɣ », de Mulud Zedek

Tiɣilt n'umadaɣ », de Mulud Zedek

Lire tout un roman écrit en kabyle pour quelqu’un qui n’en maîtrise ni la lecture ni les subtilités académiques semble être un défi perdu d’avance. Et pourtant, le challenge en valait la peine. Surtout que ce roman n’est pas un livre comme les autres, ni une histoire comme les autres. Avec « Tiɣilt n’umadaɣ », Zedek Mulud nous ouvre toutes les lucarnes de notre enfance quand on a eu la chance de naître et de grandir dans l’une de ces nombreuses collines de Kabylie.

De page en page, de chapitre en chapitre, de personnage en personnage, c’est toute la spécificité kabyle qui défile, dans ce quotidien féroce qui jalonnait le combat pour la survie dans ces collines ingrates…

Au-delà de décrire avec précision les interactions intra-et-extra-familiales qui se tissent dans nos cellules, l’auteur nous confectionne une histoire, voire une succession d’histoires d’amour sur fond de combats identitaires et des sacrifices qui ont jalonné chaque combat. 

Même si l’histoire de Muqran Nat Muqran est une fiction (c’est ce que l’on subodore), il n’est pas impossible que quelque connotation avec des personnages ayant réellement existé y soit sous-jacente.

Au-delà d’une histoire captivante, c’est une encyclopédie de vocabulaire de proverbes et de formules de sagesse kabyle qui nous sont subtilement offerts par l’auteur.

À travers la filiation de Muqran Nat Muqran, l’auteur nous fait revivre des événements tragiques pendant lesquels notre Histoire est, à chaque fois, détournée pour nous être confisquée. De la guerre d’indépendance, au printemps noir, en passant par la guerre fratricide de 1963 et la décennie noire, la plupart des pans de notre histoire récente ont pour point commun la lutte pour l’identité Amazigh. Et nous constatons amèrement que malgré tous ces combats passés rien ne semble avoir changé, sinon la célébration, çà et là de dates historiques, comme Yenayer. 

La malédiction des At Muqran frappe et ne rate aucune génération. 

Les drames se suivent. Et sans se ressembler dans la forme, la charpente est la même. A-t-elle vraiment changé depuis ces millénaires d’invasions ? Nos ennemis d’aujourd’hui sont toujours pires que ceux d’hier. Et ça continue, en l’an de grâce 2975 !

Dans ce roman du terroir, la vie et la mort se côtoient selon un cycle naturel infini. Et la vie continue malgré tout, car pour un Muqran mort, un autre Muqran est en gestation pour porter le flambeau identitaire.

« Tiɣilt n’umadaɣ » est un roman qui se lit et se déguste d’une traite. À noter l’effort pédagogique de l’auteur avec l’insertion d’un tableau lexical fort utile.

Kacem Madani

Quitter la version mobile