La levée ou pas du monopole de Naftal sur l’importation des lubrifiants a suscité une vive controverse. Non pas tant sur le fond de la décision économique que sur la manière dont l’information a été démentie : non par l’entreprise publique concernée, mais par la présidence de la République. Une intervention inhabituelle qui soulève des interrogations sur la liberté de la presse et le rapport de force entre pouvoir et médias.
Si ce n’est pas la verticale du pouvoir ça y ressemble. Dans son édition du 27 août 2025, El Watan rend compte de la décision des pouvoirs publics de mettre fin au monopole confié, à peine trois mois plus tôt, à Naftal sur l’importation des lubrifiants.
La mesure, décidée en mai lors d’un Conseil des ministres, avait rapidement provoqué des tensions sur le marché, les industriels dénonçant des difficultés d’approvisionnement.
Le ministère du Commerce rétropédale donc et assouplit la réglementation, permettant désormais aux opérateurs privés d’importer six types d’huiles et lubrifiants, à usage strictement professionnel. Six ! On en est aux comptes d’apothicaires. Mais le plus lamentable allait arriver.
Dans un communiqué publié sur la page Facebook officielle de la présidence de la République, la Direction générale de la communication de cette institution a démenti, le même jour, l’information publiée par le quotidien El Watan. Le communiqué officiel, fondé sur une « vérification auprès de l’autorité compétente », rappelle que la Société nationale de distribution des carburants demeure « l’unique instance habilitée » à importer huiles moteurs et pneus, et que la décision du Conseil des ministres du 7 mai 2025 n’a connu aucune révision.
Le choix de cette démarche inhabituelle soulève deux questions :
El Watan a-t-il réellement failli dans son traitement au point que le Palais d’El Mouradia juge nécessaire d’intervenir directement ?
Ou bien s’agit-il d’un signal politique adressé à un journal qui, déjà fragilisé financièrement, vit sous pression constante ?
Le démenti présidentiel, au lieu d’apaiser, laisse planer un malaise : pourquoi l’exécutif s’arroge-t-il la tâche de rectifier une information qui relevait du ressort d’une société nationale comme Naftal ? Une situation pour le moins bizarre qui en dit long sur la fébrilité qui s’est emparée de l’exécutif depuis le drame de Oued El Harrach, lequel a suscité des interrogations sur l’absence du chef de l’État.
Dans un fonctionnement institutionnel normal, un simple démenti de la part de Naftal directement concernée aurait suffi à rétablir les faits. Or, c’est la Présidence qui s’est emparée de l’affaire, conférant à ce démenti une dimension politique et symbolique. Ce choix place El Watan au centre d’un dispositif de mise en cause publique rarement observé dans les relations entre pouvoirs publics et médias.
La réaction en chaîne qui a suivi a renforcé cette impression. De nombreux médias, largement dépendants de la manne publicitaire de l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP), ont repris le démenti présidentiel sans procéder à la moindre vérification indépendante. Cette unanimité a donné l’image d’une presse alignée, plus prompte à relayer la parole officielle qu’à enquêter sur le fond de l’information initiale.
Derrière l’épisode technique sur les règles d’importation se dessine ainsi un autre enjeu : celui de la liberté de la presse et de l’indépendance éditoriale.
Plusieurs observateurs estiment que ce démenti présidentiel, au-delà de la rectification des faits, prépare le terrain à un possible durcissement vis-à-vis d’El Watan. Eu égard aux mœurs vengeresses instaurées par Tebboune et ses affidés, il est à craindre que ce quotidien d'information subisse une énième estocade.
L’hypothèse d’un ciblage politique est d’autant plus crédible que le quotidien a déjà payé le prix fort de son indépendance.
La suspension de la publicité publique distribuée par l’ANEP a plongé le journal dans un déséquilibre financier chronique, fragilisant ses capacités de fonctionnement et réduisant son assise sur le marché. En marginalisant financièrement un média, le pouvoir s’est doté d’un levier efficace pour en contenir l’influence.
Ainsi, l’affaire du « faux pas » supposé sur Naftal dépasse largement le registre de la précision factuelle : elle s’inscrit dans une stratégie de long terme où les instruments politiques et économiques se conjuguent pour affaiblir une presse indépendante déjà mise à rude épreuve.
Les arrière-pensées de la présidence
Il est à noter qu’El Watan s’est fondé sur une note officielle du ministère du Commerce extérieur, datée du 25 août et signée par le secrétaire général, pour publier son information sur la levée du monopole. L’authenticité de cette base documentaire exclut l’idée d’un traitement approximatif ou léger.
En définitive, la controverse dépasse la question technique des lubrifiants : elle illustre surtout la volonté du pouvoir de garder la main sur le récit économique et politique. Que la présidence se substitue à Naftal pour démentir un article adossé à une note ministérielle n’a rien d’anodin. Cela ressemble moins à une mise au point qu’à une démonstration d’autorité, ciblant un journal et l'ensemble du champ médiatique national.