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L’uniforme à l’école, un égalitarisme en charité !

Image par OpenClipart-Vectors de Pixabay

L’enfer est pavé de bonnes intentions nous enseigne le proverbe. C’est ce qui va se passer en France avec l’obligation prochaine de porter une tenue uniforme dans tous les établissements scolaires publics.

Cette bonne intention est née du désir de la résurgence d’une très ancienne pratique républicaine qui avait disparu depuis quelques décennies. L’expérimentation étant jugée convaicante (on ne croit que ce qu’on veut croire) la phase d’application est annoncée. 

Cette idée du tablier dans les écoles publiques est l’une des plus farfelues que la république ait pu avoir durant ces nombreuses décennies. Comme nous le dit le proverbe annoncé au début de la chronique, les pires désastres peuvent naître des sentiments qui semblent louables. Car lorsque le sentiment est exalté et non raisonné il y a les pires échecs. Bon, ce ne sera pas la guerre des boutons dans la cour de récréation avec des étendards brandis mais lorsque l’échec est dû à une persistance de caprice, la note est toujours très forte à l’arrivée.

Imaginez si une famille modeste en revenus est accueillie par des hôtes qui se sont habillés en salopette bleue de travail pour montrer leur souci d’égalité avec les invités. Ce ne serait pas un esprit égalitaire mais une insulte de classe. Eh bien c’est exactement cela que je ressens pour cette stupide distribution de tenues uniformes fiancées par les collectivités locales.

Pour les établissements concernés par l’expérimentation nous venons de voir des images à la télévision qui me choquent. Des parents se présentent dans le hall où sont suspendues les tenues. Ils repartent avec un sachet ou un sac contenant les habits. Cela ne vous rappelle rien ? Moi oui, c’est l’image de la distribution d’aide alimentaire ou vestimentaire dans les associations caritatives ou dans les soupes populaires si nous remontons plus en arrière dans le passé.

La république n’est pas une institution de charité mais un creuset de l’égalité. La charité était l’excuse de bonne conscience des classes supérieures lorsque les dispositifs sociaux étaient indigents ou inexistants. La république doit doter les familles par des politiques sociales et de redistribution des fruits de la croissance mais n’est pas Emaϊs.

Une maman filmée par une chaîne de télévision avait dit au micro du journaliste une parole qui m’avait semblé être une lucidité face aux dizaines de commentaires exaltés. Quel gâchis ! Ce sont des dépenses très élevées alors que les enfants ont besoin de tellement d’aides plus utiles de la part des autorités locales. 

Y a-t-il trop d’argent pour des piscines et terrains de sport, des bibliothèques, des transports scolaires, des aides aux voyages pédagogiques pour les familles les plus défavorisées et ainsi qu’une très longue liste qui honore la république ? 

Et puis, ne pouvons pas nous rendre compte que la tenue flanquée des couleurs et armoiries a toujours été le signe des écoles privées pour la classe sociale la plus aisée. Qui n’a pas vu ces tenues, réellement ou dans les films et séries anglo-saxonnes ? C’est cela qu’on veut pour l’école républicaine ? N’a-t-on pas compris que l’habit ne fait pas le moine comme le dit un autre proverbe. Il n’y a rien de plus humiliant de vouloir singer des pratiques au nom d’un passé rêvé plus que réel. La différence sociale se verrait encore plus fortement.

Mais à la stupidité se joint toujours l’inefficacité et le ridicule. Nous l’avons déjà dit, la république n’est pas et ne doit jamais être fantasmée par son passé. La fantasmagorie du glorieux passé est l’une des identifications des valeurs d’extrême droite. Ce qui est d’ailleurs très étrange car elle a toujours combattu la république.

Ma génération a vécu les derniers moments de l’obligation du tablier à l’école. C’est une plaisanterie de penser que c’était la meilleure forme d’égalitarisme. Quel est l’élève assez idiot pour ne pas se rendre compte de la différence sociale par bien d’autres attributs ? Nous connaissions tous les niveaux de vie de chacune des familles et cela transparaissait dans les fournitures scolaires, l’argent de poche et de nombreux identifiants autres que les tabliers.

Et ce n’est pas la situation actuelle qui me démentirait, elle est pire. Le tablier effacera-t-il la différence sociale avec les chaussures, les montres, les téléphones portables et la magnificence des maisons lorsque l’écolier est invité chez un camarade ? Effacera-t-il l’image d’un parent venant chercher son enfant avec une voiture qui coute un nombre incalculable d’années de travail d’une famille bien plus modeste ?

L’erreur de la surinterprétation des valeurs égalitaires de la république passée est donc manifeste pour les causes du port de ce qu’on appelle aujourd’hui l’uniforme. Les blouses et tabliers n’ont jamais été, en tout cas d’une manière générale, uniformisés si ce n’est dans la couleur, le rose pour les filles, le gris pour les garçons. Et puis, il y avait bien longtemps que le fantasme de l’égalité par le tissu avait disparu pour laisser place à une raison plus pragmatique et moins onirique. C’était une raison de protection contre les risques de tâches et autres accidents aux vêtements. 

Connaissez-vous la tache d’encre sur un habit à l’époque de la plume trempée dans l’encrier ? Demandez à vos grands-mères si elles étaient ravies d’essayer de l’enlever, même avec notre glorieux OMO (l’époque du papa faisant la lessive n’était pas encore au programme éducatif de la société).

Cette stupide idée sera balayée comme l’ont été toutes les autres lorsque le fantasme des temps héroïques du passé qui annihile le sens des réalités trouvera ses limites. Justement celles que la république avait arrachées aux dogmes et effigies des classes dominantes.

Comment ne pas me souvenir des grosses tâches de l’encre violette indélébile peintes en tableau de Picasso sur mon tablier de petit écolier ? Les grosses engueulades à la maison (teintées de tendresse) avaient pour but pédagogique de ne jamais être oubliées. 

Je vous certifie qu’elles étaient inoubliables.

Boumediene Sid Lakhdar

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