Mercredi 3 mars 2021
Macron reconnaît qu’Ali Boumendjel a été assassiné par l’armée française
Emmanuel Macron a reconnu mardi, « au nom de la France », que l’avocat et dirigeant nationaliste Ali Boumendjel avait été « torturé et assassiné » par l’armée française pendant la guerre d’Algérie en 1957, un geste d’apaisement recommandé par le rapport de l’historien Benjamin Stora.
Arrêté le 9 février et torturé pendant plusieurs jours par les paras, Me Ali Boumendjel a été assassiné le 23 mars 1957 par l’armée française qui l’avait maquillé en suicide. Dans l’océan de dénégations, de mensonges et de secrets qui entoure la guerre d’indépendance, c’est une première. Emmanuel Macron reconnaît que l’armée française a torturé et assassiné Ali Boumendjel. Ce geste « n’est pas un acte isolé », promet le président français dans ce communiqué. « Aucun crime, aucune atrocité commise par quiconque pendant la Guerre d’Algérie ne peut être excusé ni occulté ».
Premier président français né après la guerre d’Algérie (1954-1962), M. Macron s’est engagé à prendre des « actes symboliques » pour tenter de réconcilier les deux pays, mais il a exclu toute « repentance » et « excuses ».
Le président français a lui-même annoncé cette reconnaissance aux petits-enfants d’Ali Boumendjel en les recevant mardi. A l’époque l’assassinat de l’avocat avait été maquillé en suicide.
Aussaresses l’avait reconnu
« Au coeur de la Bataille d’Alger, il fut arrêté par l’armée française, placé au secret, torturé, puis assassiné le 23 mars 1957 », détaille l’Elysée dans un communiqué. En 2000, « Paul Aussaresses (ancien responsable des services de renseignement à Alger, ndlr) avoua lui-même avoir ordonné à l’un de ses subordonnés de le tuer et de maquiller le crime en suicide ».
« Aujourd’hui, le président de la République a reçu au Palais de l’Elysée quatre des petits-enfants d’Ali Boumendjel pour leur dire, au nom de la France, ce que Malika Boumendjel aurait voulu entendre: Ali Boumendjel ne s’est pas suicidé. Il a été torturé puis assassiné », ajoute la présidence française.
« Il leur a également dit sa volonté de poursuivre le travail engagé depuis plusieurs années pour recueillir les témoignages, encourager le travail des historiens par l’ouverture des archives, afin de donner à toutes les familles des disparus, des deux côtés de la Méditerranée, les moyens de connaître la vérité ».
L’Elysée ajoute que « ce travail sera prolongé et approfondi au cours des prochains mois, afin que nous puissions avancer vers l’apaisement et la réconciliation », voulant « regarder l’Histoire en face, reconnaître la vérité des faits ».
« La génération des petits-enfants d’Ali Boumendjel doit pouvoir construire son destin, loin des deux ornières que sont l’amnésie et le ressentiment. C’est pour eux désormais, pour la jeunesse française et algérienne, qu’il nous faut avancer sur la voie de la vérité, la seule qui puisse conduire à la réconciliation des mémoires », ajoute encore l’Elysée.
Le mois dernier, la nièce d’Ali Boumendjel, Fadela Boumendjel-Chitour, avait dénoncé un « mensonge de l’Etat (français) qui fut dévastateur ».
« Ni déni, ni repentance »
La reconnaissance de ce crime par la France fait partie des préconisations du rapport Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie, afin de résoudre les tensions autour de la mémoire de ce conflit.
Ce document, remis le 20 janvier, a soulevé de vives critiques, aussi bien en France qu’en Algérie, notamment pour ne pas avoir préconisé des « excuses » de Paris pour la colonisation.
L’Organisation des moudjahidine (ONM), les anciens combattants de la guerre d’indépendance (1954-1962) a accusé Benjamin Stora d’avoir « occulté les crimes coloniaux » de la France en Algérie.
Le comité national de liaison de harkis (CNLH), des anciens combattants auxiliaires de l’armée française pendant le conflit, a lui dénoncé un rapport « minimaliste » et demandé que la France reconnaisse « l’abandon et le massacre des harkis, après les accords d’Evian et le cessez-le-feu du 19 mars 1962 ».
Le gouvernement algérien a demandé à plusieurs reprises « la reconnaissance des crimes coloniaux » de la France.
« Nous ne privilégierons pas de bonnes relations au détriment de l’histoire et de la mémoire, mais les problèmes se règlent avec intelligence et dans le calme, et non avec des slogans », a affirmé lundi soir le président algérien Abdelmadjid Tebboune.
La réconciliation entre Paris et Alger doit s’inscrire dans le cadre d’une reconnaissance mutuelle qui ne soit « ni le déni, ni la repentance », a affirmé pour sa part mardi matin l’ambassadeur de France en Algérie, François Gouyette, dans une interview au quotidien francophone L’Expression, proche du pouvoir.
A l’approche du 60e anniversaire de la fin de la guerre et de l’indépendance de l’Algérie en 2022, Paris et Alger ont fait de cette « réconciliation des mémoires » un dossier prioritaire et MM. Macron et Tebboune se sont engagés à travailler ensemble sur ce dossier.
Néanmoins, de nombreux historiens ont dénoncé à maintes reprises la fermeture de parties importantes des archives de la guerre d’indépendance algérienne. Que cela soit en France ou en Algérie.