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« Madame la ministre, je suis désolé de devoir vous contredire »

Un chargé à la formation des enseignants de tamazight écrit à Nouria Benghebrit

« Madame la ministre, je suis désolé de devoir vous contredire »

Nous reproduisons in extenso cette lettre d’un chargé à la formation des enseignants de tamazight adressé à Nouria Benghebrit, ministre de l’Education.

« Madame la ministre, je suis désolé de devoir vous contredire. La démagogie n’a jamais été une solution aux problèmes de gouvernance et n’a jamais fait avancer un pays. Le discours politique destiné à l’opinion nationale bute souvent sur la réalité du terrain. Vos propos concernant la généralisation et l’obligation de l’enseignement de tamazight sont politiquement motivés par votre présence au sein de ce gouvernement et sont infondés et incohérents scientifiquement.

La question de l’enseignement de tamazight est éminemment politique. Elle est liée à cette idéologie arabo-islamiste et relève plus des hautes sphères de l’Etat que d’un ministère qui n’est qu’un exécuteur. Tout ce qui a été fait depuis l’introduction de tamazight à l’école algérienne et se proclame comme stratégie de promotion de cette langue n’est que détours pour retarder sa généralisation. Nous devons dire aux marcheurs de Bouira, Bgayet, Tizi-Ouzou, Boumerdès, Batna, Setif et bien d’autres villes que le problème de la généralisation et de l’obligation de l’enseignement de tamazight réside dans la loi n° 08-04 du 15 Moharram 1429 correspondant au 23 janvier 2008 portant loi d’orientation sur l’éducation nationale. Ce texte, Madame la ministre,  ne fait nullement suite aux dispositions de la Constitution remaniée le 10 avril 2002 consacrant, dans son article 3bis, la langue amazighe langue nationale, hormis de parler de son enseignement et plus grave sans en énoncer les finalités.

Dans le préambule de la loi d’orientation sur l’éducation, comme titre en page 9, il est dit que « L’amazighité en tant que langue, culture et patrimoine » Ce titre consacré à tamazight contraste avec celui accordé à la langue arabe en page 8 : « L’arabité en tant que langue, civilisation et culture. » Le qualificatif de « civilisation » accordé à la langue arabe et non à tamazight apporte des éclaircissements sur la place qu’a la langue amazighe. Il est précisé dans la page 9 que « L’Algérien devra pouvoir apprendre cette langue nationale. L’Etat devra mettre en œuvre tous les moyens humains, matériels et organisationnels afin d’être en mesure de répondre progressivement à la demande partout où elle s’exprime sur le territoire national.» Beaucoup de conditionnels et quand il s’agit d’une loi qui œuvre dans ce « devra pouvoir », « d’être en mesure », « la demande », l’Etat sûrement ne pourrait et ne serait jamais en mesure de répondre à la demande.

Les réalités du terrain doivent être dites. Je vais relater ces réalités en tant qu’enseignant qui fait partie du premier contingent des enseignants qui ont participé au lancement des classes  pilotes en 1995, devenu par la suite le chargé à la formation des enseignants de tamazight depuis 2009. C’est en tant que praticien de cet enseignement soumis, tout comme nos élèves et les enseignants, à une « hiérarchie pesante » et payé par l’État qui devrait prendre en charge cette langue, première langue d’Afrique du Nord.

Apparemment, les chiffres prouvent la bonne volonté politique du pouvoir à promouvoir l’enseignement de tamazight. Cette fâcheuse tendance à confondre la promotion avec les chiffres n’est qu’une fuite en avant. Au lieu de s’atteler à trouver comment répondre à cette demande de généralisation et d’obligation, le pouvoir se cache derrière le nombre d’enseignants, d’élèves, de wilayas. Se figer dans cette posture, c’est dénier le droit à l’épanouissement et au bonheur de nos enfants de vivre avec leur amazighité.

Vos déclarations Madame la ministre concernant l’engagement de votre ministère à œuvrer à la promotion et à la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe à travers tout le pays s’est vérifié sur le terrain avec un nombre en postes budgétaires pour l’année scolaire 2017/2018 ne dépassant pas un taux de 0,59 % sur le nombre de postes.

Tamazight a eu 59 postes sur 10 009 ! 31 postes en Kabylie (3 wilayas) et 28 postes à travers 45 wilayas.

Cette dotation n’est au fait qu’une traduction sur le terrain de l’article 34 de la loi citée plus haut : « l’enseignement de la langue tamazight est introduit dans le système éducatif pour répondre à la demande exprimée sur le territoire national. » Des efforts de votre ministère pour la généralisation ont été mis en avant lors de votre dernière déclaration en date du 17 décembre 2017. Comment sont-ils ressentis sur le terrain ?

– Le nombre d’enseignants de tamazight a atteint 2.757 en 2017. Sachant que le nombre total d’enseignants est 495.000, cela fait un taux de 0,56% ;

– Le nombre d’élèves qui étudient la langue amazighe a atteint 343.725 en 2017 au niveau de 38 wilayas du pays. Sachant que le nombre total d’élèves est 8.691.006, cela représente en taux 3,95% ;

– Le nombre d’élèves qui étudient la langue amazighe dans le secondaire a atteint 68.436 en 2017 au niveau de 38 wilayas du pays. Sachant que le nombre total d’élèves dans le secondaire est 1.261.198, cela représente en taux 5,42%.

En plus de ces taux insignifiants, aujourd’hui et parce qu’il y a des stratégies politiques inavouées, nos enfants entament l’enseignement d’une langue officielle, le tamazight, en 4ème année primaire, après une année d’étude d’une langue « étrangère », le français, en 3ème année. Quelle aberration !

Les aberrations de l’école algérienne ne manquent pas : le coefficient de la langue amazighe est de 2, alors que celui des langues étrangères est de 3 et plus.

Du désir à la volonté, il n’y a qu’un pas dans l’ordre des choses. En dépit de la consécration de tamazight langue nationale et officielle dans la dernière Constitution, son enseignement illustre parfaitement la volonté politique de l’Etat algérien à maintenir la langue amazighe dans un statut second par rapport à l’autre langue officielle qu’est l’arabe. Cette officialisation décrétée par les tenants du pouvoir, adversaires farouches de l’identité amazighe, devenue simple formalité après deux années, ne pourrait réconcilier l’Algérie avec son algériannité. Dans ces conditions, les résultats tant attendus par tout un peuple en lutte pour l’enseignement de sa langue maternelle ne peuvent être que mitigés par le fait que la généralisation de l’enseignement de tamazight tarde à se concrétiser par ce caractère facultatif de son enseignement. Comme première réponse aux milliers de marcheurs, il est nécessaire, particulièrement en cette période dominée par des joutes violentes dans les périmètres de l’État, que le ministère de l’Education propose dans les plus brefs délais aux législateurs la mise à jour de la loi d’orientation sur l’Education nationale sus citée. La mise à jour doit prendre en considération la généralisation pédagogique et géographique ; l’enseignement de tamazight partout et pour tous ; l’enseignement de tamazight à partir du préscolaire ; l’intégration de tamazight comme épreuves de l’examen de 5ème année primaire.

Les manipulations pour des desseins non avouées incitent à la haine et à l’émeute, alors que la généralisation et l’obligation de l’enseignement de tamazight retenue par les manifestants s’inscrivent dans le renforcement de l’unité nationale et la sauvegarde des constantes de la nation. Aux politiques alors de dépasser l’illusoire qui semble plus important que les réalités du terrain. La mise en œuvre de l’officialisation exige la promulgation d’une loi organique pour la promotion de la langue amazighe afin de réapproprier notre identité et réconcilier nos élèves avec leur histoire et leur langue légitime. Madame la ministre, nous devons finalement saluer cette jeunesse soucieuse du devenir de leur Algérie et accompagner cette protestation par des faits réels sur le terrain afin de celer définitivement l’extrémisme naissant. L’évolution de la société exige de nous d’anticiper avec nos actes cette haine de l’«Autre» créée par ce déni identitaire ressenti à l’école algérienne par des Algériens et qui tend au fil des années à évoluer en un problème ethnique alors qu’il est foncièrement politico-idéologique.

Djamel Ikhloufi

Chargé à la formation des enseignants de tamazight

Auteur
Djamel Ikhloufi

 




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