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Malek Boukerchi court les 100 km par moins 45 degrés 

Un phénomène sportif algérien (I)

Malek Boukerchi court les 100 km par moins 45 degrés 

Utra-marathonien de classe mondiale, Malek est surtout un coureur des extrêmes.

Malek Boukerchi est un philo-conteur et ludologue, anthropologue -expert des logiques-valeurs coopératives et adaptatives dans les organisations. Il prépare une traversée Afrique du sud-Algérie.

Il intervient tant sur le plan de la médiation, du conseil-accompagnement que de la conférence narrative ou de la form’action en stratégies relationnelles. Ultra-marathonien de l’extrême (Antarctique par moins 45 degrés, 333 km en 3 jours dans le désert du Thar, désert d’Atacama à plus de 5500 mètres d’altitude, etc.), il projette de traverser l’Afrique en courant au service de la fraternité. 

Le Matin d’Algérie : Pouvez-vous nous dire qui est Malek Boukerchi ?

Malek Boukerchi : Je me définis aujourd’hui comme un « guetteur-tisseur de rêves », lorsqu’on me demande ce que je suis et ce que je fais. Tout comme les lanceurs d’alertes, nous avons besoin de tisseurs de rêves, d’enchanteurs pour magnifier nos réalités sociales dépressives et refonder le tissu déchiré de nos relations sociales. 
J’interviens dans trois domaines d’expertises, fruits de mon parcours éclectique riche de curiosités, la plus noble des vertus à cultiver pour appréhender le monde incertain et mouvant dans lequel nous évoluons :
– expert-conférencier en intelligences relationnelles et intégrations situationnelles, pratique d’une anthropologie du lien/lieu/liant des dynamiques solitaires. – philo-conteur : adepte des contes de sagesse de toutes les cultures et aires géographiques entre hier, aujourd’hui et demain, car les contes sont des paroles de relance. Dans l’arborescence du temps, nous pouvons tout expliquer par des contes et histoires car tout a été dit, posture d’humilité, depuis la nuit des temps. 

Et ultra-marathonien de l’extrême : j’appartiens à une petite tribu de 700 personnes identifiées dans le monde à courir, à faire des chevauchées fantastiques en autonomie totale ou semi-autonomie, sac au dos et boussoles de jadis à la main, dans les zones létales que sont les déserts chauds ou polaires, sur des distances minimum de 500 à plus de 2000 km…

Et ces identités multiples sont le fruit d’un parcours d’un « enfant de la balle » comme disent « les djeuns ». Natif de Mulhouse en Alsace, dans un quartier dit « chaud », à problèmes… Mais pas de fatalité lorsque vous avez des parents aimants et présents. Cela m’a permis de pouvoir faire des études très éclectiques sur divers domaines très variés. Et le jeu des rencontres m’a amené à démarrer ma carrière professionnelle en Allemagne, à Hambourg pendant 5 ans, après mes études, pour agir sur les logiques de médiation sociale et relationnelle. Puis de revenir en France dans un cabinet de conseils, pour approfondir cet art et de former/accompagner les structures dans ce domaine d’expertise, avant de créer mon propre cabinet de recherche-actions en « IRIS » (Intelligence Relationnelle/Intégration Situationnelle).

Vous avez commencé à courir à l’âge de 28 et on vous a dit que c’était trop tard, quelle était votre réaction ?

En fait, au départ, je suis un simple adepte, joueur de ballon rond, fruit de la passion de mon père qui m’a inscrit en club à mes 5 ans. Un simple joueur besogneux mais altruiste dans l’art de la passe. Donc la course, je la pratique depuis mes 5 ans, mais de manière ludique car le foot est un sport fabuleux collectif de joies et de partages, un sport qui permet de développer une VO2 max naturelle, une pratique de la course en basse intensité mais en mode fractionné en fait.

J’ai joué longtemps, champion universitaire dans le système des Grandes Ecoles françaises et j’ai joué alors jusqu’à mes 28 ans, où l’un de mes coach de l’époque me dit alors : « Malek, tu sais, tu te fais vieux sur un terrain ! Place aux jeunes ! »
Choc émotionnel, abîme des mots ressentis… « Vieux à 28 ans ? Qu’est-ce que cela veut dire, pas possible ? Qu’on laisse la place aux jeunes, ce n’est pas problème si le souci de l’intergénérationnel de transmission est respecté ; mais que je sois usé, vieux ? Alors que je ressens et me sens en pleine possession physique, technique et tactique ??

Dans la vie, il s’agit toujours de transformer le négatif de l’instant en positif situationnel. Alors la seule solution que j’ai trouvée pour d’une part, conserver une activité physique indispensable comme je ne concevais pas de vivre uniquement sur le plan cérébral, et surtout d’autre part, il s’agissait aussi de concilier mes divers temps sociaux entre engagements professionnels et associatifs, ce fut la décision toute simple d’acheter une paire de basket. Des baskets simples, et les rues de n’importe quelle ville t’appartiennent. 

Mais que c’est dur… basculer du ludique jeu collectif à la pratique de l’asphalte, je n’ai éprouvé au départ aucun plaisir… je dois même avouer que courir est ingrat !! Je trouve toujours des excuses pour ne pas aller courir : fatigue, mauvais temps, trop de travail… et insidieusement, je ne pratiquais plus de sport…

Alors pour m’astreindre à une certaine discipline pratique de la course, je décide de m’inscrire sur un 10 km, car je savais qu’avec mon passé de footeux, c’est un objectif réaliste et atteignable. Ensuite, tout s’est enchaîné, suite à de belles rencontres en courses : du 10 au marathon, puis du marathon à l’ultra-marathon des extrêmes avec ma première grande course à étapes, 100km/jour en Inde dans le désert du Thar, 333 km en 3 jours en 2003…

L’ultra-marathon, c’est un entraînement dur. Qu’est-ce qu’il vous incite à fournir de tels efforts ?

Pratiquer l’ultra, c’est retrouver le chemin de l’effort versus le confort, celui de la volonté versus facilité, celui de la vaillance versus la nonchalance…  Et l’art de courir, de se dépasser dans l’effort sur de longues distances en conditions extrêmes est à l’image de la vie, à l’image de nos cœurs qui sont semblables à un champ de bataille, et deux camps se confrontent en permanence : la peur et le courage, l’abandon et la ténacité, l’effondrement et l’encouragement… Bref, courir, première activité anthropologique de l’Homme comme manger, dormir, se reproduire, c’est la vie dans toute sa simplicité et dans toutes ses failles joyeuses… Donc fournir de tels efforts me permet de mieux comprendre le corps, cette mécanique la plus belle et encore inégalée, le rapport à soi, aux autres et aux mondes qui nous entourent… 

Nous refaisons vibrer notre corps de la manière la plus juste qui soit, être à l’unisson avec une géologie du ciel et une théologie de la terre, il me semble… Mais ceci est encore une autre histoire !
Comment avez-vous réussi le pari-défi polaire?

La clé réside dans l’excellence de la préparation, qui est la tutrice de la réussite. Et la préparation se joue à quatre niveaux : la préparation physique : s’entraîner pour que le corps résiste et tienne les longues distances hors norme pour le commun des mortels
– la préparation mentale : conserver un état de fraîcheur et éviter l’effondrement du moi face au découragement légitime devant l’ampleur de la tâche…
– la préparation financière : trouver les ressources pécuniaires car ces courses se déroulent dans des endroits inaccessibles et demandent alors des moyens certains en amont et pendant.
– la préparation archéologique : savoir s’entourer d’experts, de personnes qui vont vous aider à appréhender les enjeux des zones létales car seul on peut peu mais ensemble, on peut beaucoup. 

Nous sommes toujours dans une préparation et solitaire et solidaire surtout. Toute préparation est une osmose, une alchimie subtile entre exigence de tous les instants et confiance inébranlable en soi ! Une fois bien préparé, on peut improviser sur place face à l’insondable des imprévus permanents… Par exemple, pour préparer le corps au défi du grand froid polaire, l’enjeu est de disposer d’un équipement alliant résistance au froid, se protéger et être au chaud mais aussi, outre la résistance, beaucoup de souplesse dans les matériaux pour la mobilité et pour la respiration. 

La difficulté n’est pas d’être au chaud mais d’évacuer la transpiration car même en températures extrêmes négatives, le corps sur du fait de l’effort longue durée (plus de 5 heures d’effort sur marathon et 22 heures sur le 100 avec mes pauses-rencontres) et si la sueur colle au corps, si les vêtements sont mouillés, danger… risque de gelures fortes…

Donc avec mon partenaire technique de l’époque et leurs équipes de R&D, nous avons effectué pendant plus d’un an, dans leurs chambres froides à Lille à moins quarante degrés, toute une série de tests physiques, physiologiques et techniques. Et j’étais le premier humain à courir dans leur chambre froide dans ces conditions hyper extrêmes, car d’habitude, ils mettent des mannequins thermiques.

En fait, nous avons travaillé cette double contrainte pour tester l’équipement et partir en mode confiance. Et super, du très, très bon boulot ! Avec en cadeau, le plus beau, des amitiés fortes construites forcément ! Mais l’élément clé indispensable est et reste aussi le mental. Car pour moi, l’ultra-distance, la course à pied en général est une sorte de « yoga dynamique» entre concentration-dispersion : concentration-attention permanente au corps, au souffle respiratoire, au cœur, aux gestes et à la foulée… C’est pourquoi, être dans l’ouverture à son corps sous-tend de courir sans écouteurs pour être justement à l’écoute du monde interne et externe.

Et en même temps, savoir se disperser et apprécier les paysages traversés, la mélodie du vent et des sons pour aérer l’esprit et oublier ce corps qui souffre par moments évidemment… Il y tellement de joie à sentir le corps vivre, vibrer. 
Il y a un dialogue permanent dans ma tête durant ces sorties éprouvantes en chambre froide et souvent j’use de la parole encourageante entre le corps et le mental pour sublimer les douleurs dans les longs efforts, en ayant en tête l’adage du peuple coureur par excellence depuis la nuit des temps, les Tarahumaras du Mexique : « ne pas être victime de la douleur mais en devenir le disciple » ! Le mental me permet à mon humble avis  d’accueillir, non d’accepter, toute douleur, tout en étant vigilant bien sûr à ne pas casser le corps.

Donc courir c’est méditer sur la maîtrise de soi, sur les douleurs, c’est poser de manière silencieuse et vocale par moments durant l’effort la nature de la volonté du moi agissant. (A suivre)

Auteur
Entretien réalisé par Mohammed Amrous

 




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