Le hashtag #مانيش_راضي (« Manich Radhi » ou « Je ne suis pas d’accord » en français) a provoqué une vague d’arrestations au sein des activistes. Il suscite aussi la panique et la polémique en Algérie.
Un simple hashtag fait vaciller tous les étages d’un système qui a assis son autorité sur la peur, la répression et la manipulation des sentiments nationaux. #مانيش_راضي, utilisé de façon virale sur les réseaux sociaux, est vite devenue un slogan de dissidence, le signe de ralliement de nombreux Algériens qui ont à cœur d’exprimer leur désapprobation à l’encontre des autorités algériennes. Tout passe à travers ce mot-clé : la critique de la gestion politique et économique, la dénonciation des restrictions des libertés individuelles et des aspirations démocratiques et la protestation contre la corruption. C’est donc une fin d’année sous le signe de la répression qui se dessine encore une fois.
Ce mot d’ordre, #مانيش_راضي ne tardera pas à susciter la réaction hostile d’autres Algériens, chatouillés dans leur orgueil patriotique. Ils ont lancé un autre hashtag intitulé « Je suis avec mon pays », en réponse à ce qu’ils considèrent comme une campagne visant à semer la discorde en Algérie.
Cela a incité des personnalités politiques, des journalistes et des pages Facebook individuelles ou de groupe y compris la page officielle de la radio nationale et d’autres médias à lancer une offensive contre ce qui est qualifié d’opération de déstabilisation. Tout le monde aura compris que cette réponse vient des laboratoires du régime, inquiet de voir cette campagne en ligne se propager.
Même Abdelmadjid Tebboune y est allé de son refrain. « Nous protégerons ce pays dont le peuple a le sang des martyrs qui coule dans les veines, donc personne ne devrait penser que l’Algérie peut être la proie d’un hashtag. Nous sommes le seul pays où l’État est au service du peuple et non le contraire », lance-t-il, dans son discours prononcé lors de la rencontre du gouvernement- walis au club des pins d’Alger. Qui va croire une ineptie pareille ?
Derrière cette réaction concertée, se profile la volonté du pouvoir politique de susciter une adhésion populaire à son profit en jouant sur la fibre patriotique des citoyens. D’autant plus qu’on soupçonne l’existence d’une action de trolls marocains (l’éternel ennemi, à croire que les Algériens ne sont pas capables de prendre leur destin à eux seuls). Une intrusion hostile visant à semer la discorde en Algérie, dans le prolongement du conflit en cours entre les deux pays.
Tour de vis répressif et sécuritaire
La reprise massive du hashtag # Manich Radhi ou « Je ne suis pas d’accord » a provoqué un raidissement sécuritaire. En manque de vraies solutions politiques et incapable de trouver d’autres réponses, le régime lance une campagne d’arrestations.
Les organisations de défense des droits de l’homme ont documenté une série d’interpellations et poursuites judiciaires contre les activistes qui expriment un point de vue critique sur la situation, notamment ceux qui ont adopté le hashtag #Manich Radi sur les réseaux sociaux.
Parmi les personnes dont l’arrestation a suscité la controverse figure le militant politique et journaliste Abdel Ouakil Blam, qui a été libéré dimanche soir après avoir été interrogé pendant des heures.
Tout cela a coïncidé avec la convocation de l’opposant politique Karim Tabbou devant le juge d’instruction.
Le collectif de défense de l’homme politique a indiqué, dans un communiqué, que cette convocation est venue pour rappeler à Karim Tabbou les obligations de contrôle judiciaire qui lui sont imposées, l’empêchant notamment de publier sur les réseaux sociaux.
Les avocats de Karim Tabbou ont déclaré que cette obligation a été imposée de manière arbitraire et illégale, car elle n’est pas stipulée dans le Code de procédure pénale, notamment dans son article 125 bis. La défense de l’homme politique a indiqué que ce dernier qui publiait chaque lundi des articles politiques hebdomadaires sur sa page officielle, avait été privé de son droit d’exprimer ses opinions politiques.
La Collectif de défense a souligné que ces mesures constituent une violation flagrante des droits et libertés de Karim Tabbou garantis par la Constitution, estimant que l’absence de mécanismes juridiques de protection contre de telles décisions arbitraires accroît la gravité de la violation.
Commentant les récents développements, Mohcine Belabbas, ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie, a déclaré que l’Algérie est aujourd’hui témoin d’une douloureuse réalité qui consiste à emprisonner des hommes et des femmes non pas pour avoir commis des actes punis par la loi, mais pour avoir exprimé leurs idées.
Il a expliqué que leur seul « crime » était leur refus de garder le silence face à l’injustice, soulignant que des journalistes, des militants et même des citoyens ordinaires étaient punis parce qu’ils posaient des questions, dénonçaient la corruption ou exigeaient du changement. Il a ajouté que faire taire ces voix révèle un système qui pratique des abus qui vont au-delà des individus pour affecter l’ensemble de la société.
Belabbas a confirmé, sur son réseau social Facebook que le pays a connu un retour inquiétant des arrestations après une période de calme relatif, car elles ciblent désormais toutes les voix considérées comme critiques ou dissidentes. Il a souligné que cette campagne répressive frappe non seulement les gens, mais frappe également en son sein l’idée du pluralisme et de la liberté d’expression, ce qui représente un dangereux retour en arrière qui menace l’ambition de justice et de dignité de la société.
L’opposant a ajouté : « Accepter ces arrestations , c’est accepter que la liberté d’expression devienne un privilège et non un droit, ce qui est contraire à l’histoire de l’Algérie, construite sur la lutte pour la justice et la dignité ». Il a affirmé que l’Algérie ne peut pas trahir cet héritage en emprisonnant des idées censées enrichir le dialogue national, et non en remplissant les prisons.
Mohcine Belabbas a conclu sa déclaration en soulignant que les prisonniers d’opinion ne sont pas de simples symboles, mais plutôt un miroir qui reflète le silence de la société tout entière. Il a expliqué que leur lutte est la lutte de toute une nation, avertissant que l’indifférence à l’égard de leur cause signifie laisser s’éteindre progressivement l’espoir de construire une société libre et juste.
Ce débat public intervient au moment où des voix politiques tant du côté du pouvoir que de l’opposition, appellent à un dialogue national inclusif. Une donné que le régime de la diarchie Tebboune-Chanegriha n’a nullement intégré dans son logiciel politique.
Yacine K.