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Mariage en France : l’amour sans papiers, hors-la-loi ?

Le maire de Béziers (sud de la France), Robert Ménard, refuse de marier un Algérien en situation irrégulière avec une Française.

Le 18 février 2025, Robert Ménard, maire de Béziers et figure emblématique de la droite dure française, a comparu devant le tribunal judiciaire de Montpellier. Il est accusé d’avoir refusé, en juillet 2023, de célébrer le mariage entre Eva, une Française de 30 ans, et Mustapha, un Algérien de 23 ans en situation irrégulière et sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Ce refus soulève des questions fondamentales sur le pouvoir des maires, le respect des droits humains et la lutte contre l’immigration irrégulière en France.

Lors de sa convocation, le procureur de Montpellier a proposé à M. Ménard une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), souvent appelée « plaider-coupable », impliquant une peine allégée en échange de la reconnaissance des faits. M. Ménard a catégoriquement refusé cette proposition.

Cette décision le conduit désormais à un procès en correctionnelle, où il encourt théoriquement jusqu’à cinq ans de prison, une amende de 75 000 euros et une peine d’inéligibilité. Une trentaine d’élus, dont plusieurs maires de la région, se sont rassemblés devant le tribunal pour manifester leur soutien à M. Ménard. 

De son côté, l’avocate du couple, Me Vanessa Edberg, conteste vigoureusement la position de maire de Béziers. Elles rappellent que le droit au mariage est protégé par la Convention européenne des droits de l’homme et que le statut migratoire d’une personne ne devrait pas entraver ce droit fondamental.

Dans une lettre adressée à BFMTV le 16 février 2025, Mustapha a partagé sa détresse face à la situation. Il a décrit comment ce qui devait être le plus beau jour de sa vie s’est transformé en un véritable cauchemar. Après le dépôt d’une plainte contre M. Ménard, Mustapha a raconté avoir été convoqué par la police aux frontières, placé en rétention pendant trois jours, puis expulsé vers l’Algérie sans même avoir eu droit de dire au revoir à sa fiancée.

Vers une réforme législative ?

Le gouvernement français envisage une nouvelle proposition de loi visant à interdire le mariage entre citoyens français et étrangers en situation irrégulière. Présentée comme une mesure de lutte contre les mariages de complaisance, cette initiative suscite une levée de boucliers parmi les défenseurs des droits fondamentaux, qui y voient une atteinte grave à la liberté matrimoniale et une dérive discriminatoire. Les ministres de l’Intérieur et de la Justice ont récemment exprimé leur soutien à cette proposition de loi que le Sénat examinera le 20 février 2025.

Le droit au mariage est un principe fondamental consacré par plusieurs textes internationaux, notamment l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui stipule que « l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille sans aucune restriction quant à leur nationalité ou leur statut. ».

Or, en subordonnant le mariage à la situation administrative de l’un des conjoints, la proposition de loi introduit une restriction qui va à l’encontre de ce principe. Cette interdiction ne s’attaque pas aux mariages frauduleux de manière ciblée mais empêche systématiquement des couples sincères d’accéder à une institution protégée par la Constitution française.

Les mariages de complaisance sont déjà sanctionnés par la loi, notamment par l’article L623-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui prévoit de lourdes sanctions pour les unions contractées à des fins frauduleuses. Plutôt que d’interdire le mariage de façon générale aux étrangers sans papiers, le gouvernement devrait renforcer les moyens d’enquête pour détecter les fraudes tout en respectant les droits des couples sincères.

Une telle interdiction créerait une discrimination fondée sur le statut administratif, ce qui est contraire à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. En ciblant une population particulière, elle risque d’exacerber les préjugés et de renforcer la stigmatisation des étrangers en situation irrégulière.

L’application de cette loi aurait des conséquences humaines dramatiques. Elle empêcherait de nombreux couples de régulariser la situation de leur conjoint, les plaçant ainsi dans une précarité juridique et sociale accrue. Aujourd’hui, le mariage constitue un moyen pour un étranger sans papiers de stabiliser sa situation et d’obtenir un titre de séjour. Empêcher ces unions reviendrait à s’ingérer dans la vie privée des citoyens et restreindre leurs choix sentimentaux.

Face à ces dérives, plusieurs associations et instances juridiques alertent sur les dangers de cette proposition. Elles appellent à un respect strict des engagements internationaux de la France en matière de droits humains et exhortent les parlementaires à rejeter une mesure liberticide et inefficace. Ils considèrent cette proposition de loi comme une nouvelle illustration d’une politique migratoire toujours plus restrictive.

D’ailleurs, en 1993 et 2003, deux lois similaires ont été censurées par le Conseil constitutionnel, car jugées contraires à la déclaration des droits de l’homme de 1789. De plus, avec cette loi, la France risque une lourde sanction financière devant la justice européenne si celle-ci est jugée contraire à la convention des droits de l’homme.

Rabah Aït Abache

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