Vendredi 18 décembre 2020
Maroc, Israël, Palestine et nous
Cela fait cinq jours que l’établissement de relations diplomatiques entre le Maroc et Israël a été annoncé.
Si l’on évacue les déclarations des partis du pouvoir qui décongèlent les slogans des années soixante-dix, nous n’avons pas lu ou entendu beaucoup d’intellectuels ou de politiques algériens commenter publiquement, de façon libre et actualisée un événement dont les incidences régionales sont immédiates et évidentes et qui a fait la Une des médias dans le monde. Nous disons publiquement car en privé et derrière les faux profils, il y a pléthore de discours.
Tout se passe comme si on n’osait pas dire ce que l’on pense car sur certains sujets, il est admis une fois pour toute que la conscience politique a ses héritiers et tuteurs. Tout se passe aussi comme si les acteurs politiques et intellectuels attendent de voir ce que peut rapporter égoïstement une situation avant de s’exprimer. Le contraire même de l’idée du combat.
Il me revient ces années soixante-dix, quatre-vingts quand des élites algériennes célébraient en privé les vertus du pluralisme, tout en les dénonçant en public en tant que tares de la bourgeoisie ou venin impérialiste.
Comme dans la quasi-totalité des pays dits arabes (dixit Daoud), en Algérie aussi la question palestinienne sert d’alibi pour camoufler les échecs ou tensions internes. C’est donc sans surprise qu’en ces temps de règne spasmodique, Alger s’affiche plus royaliste que le Roi. Jeu de mot facile, j’en conviens. Avec une particularité cependant : une analyse anachronique qui rive le système FLN sur des postures fossilisées qui aspirent l’ensemble de la classe politique.
De quoi s’agit-il ? Le peuple palestinien est, lui aussi, face à deux systèmes de valeur irréconciliables. Et objectivement il y a bien deux Palestine. Avec deux territoires, deux doctrines et deux pouvoirs. Qu’y a-t-il de commun entre Hamas qui impose son despotisme à Ghaza et l’Autorité palestinienne, AP qui tente, vaille que vaille, de faire vivre une alternative politique réaliste ; pour l’instant rejetée par la droite israélienne ? Rien.
L’OLP avait pourtant réussi en pleine insurrection ce qu’aucun des régimes – qui l’assuraient du soutien de la corde au pendu – n’avait pu établir chez lui : le pluralisme. Il y avait, dans la révolution palestinienne, quatre sensibilités politiques reconnues qui avaient su cohabiter dans des conditions particulièrement complexes. Cette tolérance fut surveillée comme le lait sur le feu par des régimes tyranniques qui y voyaient un dangereux précédent.
Aujourd’hui, ces tendances, promesses de tant de richesses culturelles et politiques, ont quasiment toutes disparu. Il reste Hamas qui milite pour l’instauration d’une théocratie globale en Palestine alors que l’AP revendique ouvertement sa laïcité. C’est donc sur la base de ces réalités qu’il faut définir ses stratégies vis-à-vis de la question palestinienne.
Le problème n’est pas de parler avec les Israéliens mais de savoir ce qu’on leur dit. A eux comme aux Palestiniens, d’ailleurs. Etre lucide sur ce dossier en Algérie témoignerait de la capacité du pays à (se) parler en adulte. A ce moment, on aurait quelque chance de devenir audible par les autres.
La droite israélienne orthodoxe doit savoir qu’elle n’empêchera pas une alternative démocratique palestinienne d’advenir. Et que la question des colonies, de l’eau et des réfugiés de même qu’un juste statut pour Jérusalem s’imposera tôt ou tard à sa force. La même remarque vaut pour les Palestiniens. Nous ne parlons pas ici du Hamas qui est en fait le principal ennemi de la Palestine démocratique et le premier alibi par lequel les faucons israéliens justifient leurs abus. Outre la réorganisation en profondeur de ses institutions gangrénées par la corruption, l’AP, gagnerait à revenir à ses fondamentaux : démocratie, pluralisme et laïcité. Cela donnerait plus de cohérence et de crédibilité à sa politique.
La question palestinienne doit intéresser l’esprit et non les tripes ou les estomacs.
Deux rappels. En 1996, je fus invité à Jéricho. Le vol passe par Amman. Connaissant les séquelles que Septembre noir a laissé entre le Royaume hachémite et les Palestiniens, j’informe l’ambassadeur de Jordanie à Alger pour obtenir un visa de transit. Il s’offusque de ce qu’un dirigeant politique algérien, demande un visa pour transiter par un « pays frère ». Arrivé à Amman, je fus bloqué par la police des frontières. Quelques mètres plus loin, l’ambassadeur de Palestine en Jordanie m’attendait de l’autre côte du guichet. Il essaya d’intervenir ; sans succès. Je dus reprendre le même avion le lendemain. J’appartenais aux sensibilités politiques que l’AP devait éviter de rencontrer. Seuls les courants conservateurs se voyaient encouragés à envelopper le régime de Arafat. Déjà. On n’était pas encore dans le projet Hamas mais on en prenait bien le chemin. Ceux qui connaissent de près des dirigeants palestiniens savent combien les « pays frères » ont joué contre leur projet démocratique.
Autre évènement : en 1965, Bourguiba en tournée au Moyen-Orient supplie à Jéricho les Palestiniens d’accepter la proposition de deux Etats, quitte à formuler d’autres exigences quand la situation politique le permettrait. C’était deux ans avant la guerre des Six jours et les annexions qui s’en sont suivies. La presse arabe, notamment égyptienne, avait alors accusé le président tunisien de haute trahison. Aujourd’hui, le Caire a normalisé ses relations avec Israël et les revendications des Palestiniens portent sur des portions de terre dérisoires par rapport à celles qui étaient mises à leur disposition il y a cinquante-sept ans de cela.
Avec un populisme archaïque, le régime algérien campe sur des positions que même les premiers concernés rejettent. Le régime ? Pas que. Malheureusement, ceux qui prétendent vouloir le dépasser aussi. On peut comprendre que des médias, des opposants ou des intellectuels aient peur. Qu’ils s’enfoncent dans la surenchère démagogique en dit long sur la crise morale et politique qui mine l’Algérie.
On comprend alors pourquoi l’opportunité historique du printemps 2019 a été gâchée par le carriérisme populiste. Aujourd’hui, c’est la rue qui est à l’avant-garde des luttes. La régression est nette : il y a bataille pour le pouvoir mais pas contre le système dont beaucoup désormais s’accommodent.
Un espace de débat libre permettant à l’opinion progressiste d’Afrique du Nord d’échanger devient impératif.