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Marseille se souvient : 80 ans après Sétif, Guelma et Kherrata

Marseille commémore les massacres de mai 1945

Marseille commémore les massacres de mai 1945

Par une fin d’après-midi douce et partiellement couverte, le 8 mai 2025, la Porte d’Aix à Marseille s’est muée en une place de mémoire et de dignité. Là, où la pierre murmure encore les échos des exils et des luttes, une foule s’est rassemblée pour commémorer les 80 ans des massacres coloniaux de Sétif, Guelma et Kherrata.

Alors que l’Europe célébrait en 1945 la chute du nazisme, l’Algérie saignait. Le 8 mai de cette même année, la foudre coloniale s’abattait sur les manifestants algériens réclamant leur liberté. La répression fut d’une brutalité inouïe. Kateb Yacine, alors jeune lycéen, dira plus tard : « C’est en 1945 que mon humanitarisme fut confronté pour la première fois au plus atroce des spectacles. J’avais vingt ans. Le choc que je ressentis devant l’impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de musulmans, je ne l’ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme ».

Dans cette lumière de mémoire, Soraya Guendouz, autrice d’« Algérie(s) intime » et membre d’ACT (Approche Culture et Territoriale), ouvre la cérémonie par ces mots de résistance et d’espoir : « Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens ». Sa voix posée a porté, dans l’enceinte marseillaise, la douleur mais aussi la leçon d’histoire que la France peine encore à regarder en face.

Autour d’elle, plusieurs figures de la lutte, de la mémoire et de la politique étaient présentes : Faïza Guène, écrivaine et cinéaste, Aïcha Guedjali, conseillère municipale, Sébastien Delogu, député de la France Insoumise, Nora Mekmouche, éditorialiste et militante engagée, ainsi que les jeunes communistes de l’ANC 13. Ensemble, ils ont exigé : la reconnaissance des massacres de 1945 comme crimes contre l’humanité, l’ouverture de toutes les archives, la création de lieux de mémoire, l’encouragement d’une recherche historique indépendante et l’inscription de ces tragédies dans l’espace public marseillais.

Les drapeaux algériens et palestiniens flottaient fièrement. Des banderoles vertes clamaient des messages forts, comme « Sétif, Guelma, Kherrata — la bourgeoisie a du sang sur les mains », et « Pas une arme, pas un euro, pas un soldat, non aux guerres impérialistes ». En réponse à cette première banderole, une autre banderole verte portée par des jeunes militants affirmait : « La bourgeoisie a le sang dans les mains ». Parmi les visages, Zohra et Faïza Guène portaient les couleurs nationales, tandis que les jeunes communistes affichaient avec fierté leurs convictions contre l’impérialisme.

Une autre banderole, marquante, portait en lettres vertes et frappantes le message : « L’autre 8 mai, un autre tournant dans l’histoire coloniale française », un rappel poignant que cette date, qui commémore aussi la victoire contre le nazisme, marque un tournant décisif dans la mémoire coloniale, souvent minimisée, de la France.

Cette commémoration, empreinte de gravité et de poésie, a rappelé aux consciences que le silence ne guérit pas les blessures de l’histoire. Marseille, carrefour des mémoires méditerranéennes, porte la responsabilité d’ouvrir ce dialogue. Car, comme l’ont clamé les participants, il ne s’agit pas de raviver les haines, mais de rendre justice à la vérité.

Au crépuscule, la foule s’est dispersée lentement, les visages empreints d’émotion et de recueillement. Une leçon adressée aux héritiers d’un passé colonial non assumé : il n’y aura pas de paix durable sans reconnaissance des crimes commis.

Cette journée ne se limite pas à un simple souvenir. Elle est un appel à l’action, à l’engagement. La mémoire des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata n’est pas un poids à porter, mais une exigence de justice. Le silence de l’État français, sa réticence à affronter cette page sombre de son histoire, n’est plus tenable. Nous, héritiers et alliés de ces luttes, ne cesserons de dénoncer l’impunité, d’exiger des réparations, et d’affirmer haut et fort que le combat pour la vérité et la justice ne prend jamais de vacances. Nous ne voulons pas seulement la reconnaissance de ces crimes, nous voulons leur inscription dans le cadre d’une décolonisation véritable de la mémoire, une décolonisation qui libère tous les peuples de l’oubli et de l’injustice.

Djamal Guettala

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