Il n’est pas de ces artistes que l’on voit partout, sous les feux vains des projecteurs télévisés. Non, Massinissa — de son vrai nom Ali Chibane, né le 26 juin 1967 à Oued El Ma (Ighzer n Waman en tamazight, Lomsotti dans l’Antiquité, Bernelle durant la colonisation) — appartient à cette lignée rare qui fait de la musique un combat et de la langue un rempart.
Fils des montagnes chaouies, il porte en lui le chant de sa grand-mère dès l’enfance. À cinq ans, déjà, il reprend les mélodies du terroir, et à quinze, il est la voix qui embrase les mariages et les fêtes populaires. Sa musique est une flamme qui éclaire les sentiers escarpés de l’identité et de la mémoire.
En 1987, au cœur d’une Algérie en pleine effervescence identitaire, il rejoint le groupe Amenay aux côtés d’Aïssa Brahimi. Leur engagement coûte cher : arrêtés à Batna pour avoir arboré la lettre Z en tifinagh — symbole amazigh — ils subissent trois jours de prison. Ce bref emprisonnement grave en lui la certitude que chanter, c’est résister.
Deux ans plus tard, il devient l’âme du groupe Massinissa, baptisé du nom du roi numide, symbole de souveraineté et de dignité. Quand le groupe se dissout, Ali Chibane ne renonce pas. Il s’empare du nom, en fait un étendard, et poursuit seul sa quête, alliant les sons électriques du rock à la force des rythmes chaouis, sous l’influence mêlée de Pink Floyd, Joe et Idir.
Son œuvre, dense, compte dix-neuf albums où s’entrelacent amour, exil, terre et combat. Des disques comme Anza (1992), Zzin n Tmazighine (1994), Rouba (1996), Youba (2001) ou Twiza (2008) dressent un paysage sonore où l’héritage ancestral dialogue avec la modernité. En 2017, il scelle un pacte musical avec Ali Amran en enregistrant le poignant duo Tharwa n Djerdjer d Tarwa n Wawres, véritable passerelle entre les montagnes du Djurdjura et de l’Aurès.
Durant une époque, il ne passe plus à la télévision. Écarté sans explication, pendant que d’autres, plus dociles, se succèdent à l’antenne. Mais sa voix, elle, trouve d’autres chemins. Elle traverse les villages, les fêtes populaires, les cabarets de l’exil. Elle vit dans les ruelles de Batna, les cafés d’Alger, les salons de Marseille.
Massinissa n’a jamais couru après la lumière. Il est le porte-voix des invisibles, le gardien d’une langue menacée, l’écho vibrant d’une terre fière et résistante. Sa musique, miroir d’une histoire douloureuse et d’une culture vivante, résonne au-delà des frontières, porteuse d’un message universel : la dignité ne se négocie pas.
Et si demain encore, les projecteurs se taisaient, il resterait. Dans les pierres. Dans les mémoires. Dans ce souffle indomptable d’un peuple debout.
Djamal Guettala
Vedio