Un quart de siècle que Matoub Lounès est assassiné. Les auteurs de ce crime jusqu’à aujourd’hui impunis courent toujours. Leur mobile est aussi ignoré. Pourquoi les autorités ne font rien pour élucider ce crime ? Combien de commémorations faudra réaliser pour qu’enfin la vérité éclate au grand jour ?
Même si Taourirt Moussa, sa colline natale, et Tala Bounane, le tristement célèbre lieu-dit où s’est déroulé l’attentat qui lui a coûté la vie n’ont pas connu la même affluence, en ce 25 juin 2023, comme ce fût le cas durant les années ayant suivi sa mort, Matoub Lounes et tout ce que l’évocation de son nom charrie comme idéal de combat et de résistance, restent toujours vivaces et constituent un symbole pour beaucoup de jeunes et de moins jeune qui reconnaissent en lui un repère pour un combat qui reste à mener pour les libertés en Algérie sur les plans politique, linguistique, culturelle et de la liberté de conscience.
Tout un projet de société qu’il a tant défendu dans ses textes chantés et ses prises de position publiques et qui a, sans doute, été la cause de son assassinat.
Bien loin donc des grandes messes commémoratives des années qui ont suivi la mort du poète rebelle, Taourirt Moussa a, quand même, été, dimanche 25 juin 2023, au rendez-vous de la mémoire et du souvenir de celui dont la voix résonne toujours plus fort que les balles de kalashnikov qui lui ont ôté la vie, à l’âge de 42 ans.
Une mort violente qui fût l’aboutissement d’un destin tragique ayant libéré une aura déjà bien établi de son vivant.
L’acharnement répressif que le pouvoir a imposé au pays, et sans doute aussi, d’autres facteurs peuvent expliquer le léger reflux du nombre de visiteurs qui se sont rendus à Tala Bounane et à Taourirt Moussa pour se recueillir sur la tombe du poète rebelle et assister aux activités initiées par la Fondation qui porte son nom.
De nombreuses personnalités officielles dont des représentants du cabinet du wali, le P/APW de Tizi Ouzou,le chef de daïra des Ait Douala, ainsi que le président de la JSK et des membres de sa direction ont pris part au recueillement à la mémoire du poète rebelle. Il est vrai que la présence d’officiels à cette commémoration détonne surtout quand on sait l’aversion du barde flingué à tout ce qui représente les autorités ! Matoub Lounes vivait avec le peuple et ne vibrait que pour lui, alors les officiels…
« Akkal wi tidihharen, achehna anwa s yawin », c’est la devise choisie pour le déroulement du programme commémoratif qui a débuté le 24 juin 2023 et s’achèvera le 26 avec avec un recueillement et des dépôts de gerbes de fleurs sur les tombes des jeunes Ait Idir Rachid, Salhi Redouane et Hamza Ouali, tués lors de la répression des émeutes qui ont suivi l’assassinat de Matoub Lounes dont la vie et le parcours ont été restitués à travers des conférences thématiques et des expositions d’ouvrages biographiques et d’objets appartenant au défunt artiste.
« Matoub Lounes, 25 ans après », est le thème de la conférence que devait développer Malika Matoub.
Un thème qui se veut un aperçu sur la permanence des idées défendues par l’auteur de « Aghuru » mais aussi une mise point à tous ceux qui sont tentés par la récupération du combat de l’artiste pour leurs desseins politiques et partisans.
Un discours développé devant les médias de façon explicite, en adoptant la tonalité tranchante et polémique habituelle.
La sœur du chanteur qui se dit convaincue que la vérité sur l’assassinat de son frère « finira par éclater un jour », a voulu mettre sur les points sur beaucoup de « i ». A commencer par la demande de la vérité sur l’assassinat du chanteur et de l’implication posthume de ce dernier dans des projets politiques.
« Le dossier judiciaire de l’affaire de l’assassinat de Lounes Matoub n’est pas encore ouvert par la justice. Nous avons, en tant que partie civile, présenté une liste de témoins qui, à ce jour, ne sont pas auditionnés par la justice. »
Et d’ajouter sur un ton allusif : « 25 ans après, et en observant ce qui se passe sur la scène politique, on constate qu’une décantation est faite : maintenant, on sait qui est qui. Ceux qui étaient impliqués dans la mort de Matoub Lounes sont ceux-là mêmes qui essaient de détourner son combat et son idéal », lâchera Malika Matoub.
« La Fondation Matoub Lounes est une organisation fédératrice et n’est la chapelle politique de personne. Celui qui veut utiliser Lounes comme marchepied me trouvera sur son chemin. Au sein de la Fondation, on est conscient des enjeux, la situation est dangereuse, il ne faut pas qu’elle nous explose sur la tête », dira encore la sœur du poète rebelle.
« Lounes Matoub n’a jamais été favorable à l’indépendance de la Kabylie », dira-t-elle encore en des termes plus explicites, faisant référence à Tavrats i lhekkam (Lettre ouverte aux…). » Une façon comme une autre de couper l’herbe sous les pieds du mouvement indépendantiste le MAK que dirige Ferhat Mehenni.
Mais est-ce le propos quand on sait le parcours de Matoub Lounes ? Le vrai problème est la découverte des auteurs de l’assassinat de Lounes, leur mobile. Et au-delà, que faire du patrimoine artiste de cet immense chanteur dont les oeuvres ne sont plus rééditées ni valorisées ? N’est-ce pas là tout le travail d’une fondation ?
Samia Naït Iqbal