Il aurait eu 67 ans ce mardi 24 janvier 2023. Comment rendre hommage à une légende de la stature de Lounes Matoub sans courir le risque de tomber dans le piège d’une retranscription manifeste de tout ce qui a été dit et écrit sur cet homme né pour marquer l’Histoire des siens d’une empreinte indélébile que nul temps, nul diktat, nulle censure ne saurait effacer ?
Il faut dire que dès ses débuts, Matoub a su frapper fort avec un hommage rendu aux chanteurs du terroir qui l’ont précédé : Slimane Azem, Cheikh el-Hasnaoui, Aït Menguellet et Idir, à travers un titre explicite adɣaniɣ f ifenanen. D’ailleurs, c’est la télé algérienne à l’époque – par un bel après-midi d’été au début des années 1980 – qui nous l’avait fait découvrir avec ce titre qui avait tout de suite fait tilt dans nos fibres u terroir, avec cette voix encore plus rauque que celles de Bony Tyler et Rod Stewart. Les voisins de la cité Rabia Tahar de Bab-Ezzouar, ceux des 4em et 6èm étage, se souviennent sans doute de ce titre devenu un must à chacune de nos soirées d’enfer slaavitt a Ayebhri que nous écoutions à n’en plus finir chaque fois que la piste de danse se retrouvait vide pour la remplir à nouveau. Car nul mâle, nulle femelle de notre petit groupe de voisins n’y résistait pour danser, toujours prêts à festoyer avec Dionysos entre hommes quasiment chaque week-end, sous l’œil vigilant de nos fatmas adorées, avant que la gesticulation collective ne laisse place au recueillement initié par ay adrar n’at iraten et qui tombe à pic pour nous calmer et recharger nos batteries, tout en laissant le plaisir de gorgées de bière et d’eau de feu couler dans nos gosiers assoiffés !
Matoub Lounes c’est un homme, un combat, un mythe impossible à résumer ! quatorze balles dans la peau reçues quasiment à bout-portant. Des balles tirées par ag̱adarmi n elɛar pour le tuer lors de la rupture consommée Kabylo-pouvoir de 1980. Et pourtant, il a survécu !
Matoub Lounes kidnappé par un groupe armé difficile à identifier avec certitude pour déplacer le centre de gravité de la lutte farouche entre FLiN-toxo-militaires et la oumma-cavalière vers la Kabylie. Il s’en est sorti, grâce peut-être à la mobilisation de la Kabylie, peut-être aussi grâce au fait, comme il le dit lui-même « j’ai joué le jeux, j’ai appris à réciter quelques versets pour leur faire croire que je m’étais converti à la cause d’Allah ». Mais on beau nous prendre pour des naïfs, on ne nous fera jamais croire que la sécurité militaire n’est pas derrière le stratagème qui consiste à agiter la Kabylie en le kidnappant pour mieux l’apaiser par la suite avec sa libération !
Qui a tué Matoub en ce jour funeste du 25 juin 1998 ? La réponse se trouve dans son dernier album et l’hymne algérien reformulé en paroles justes et qui dénonce le pouvoir injuste construit autour d’un kassaman fédérateur, mais ô combien sanguinaire, au nom duquel on a imposé toutes sortes d’injustices ! Il est dit que c’est Ouyahia, l’étalon du Kabyle de service, qui serait derrière son exécution ! En ce qui me concerne, avec l’engouement qu’il avait mis à servir Bouteflika, cela ne m’étonnerait pas ! Mais bon inviter telle énergumène sur un sujet qui concerne un Homme avec un grand H, un Kabyle avec un grand K, un Algérien avec un grand A, cela ne se fait pas !
Juin 1999, le hasard d’un agenda serré me fait atterrir en Kabylie ! La télé branchée sur « la zéro » (c’est ainsi que le génie du terroir désigne la télé algérienne), avec la mire annonciatrice des programmes à venir, laisse couler quelque musique pour rendre agréable l’attente d’un programme où les images défilent sans que personne n’en décode les paroles qui l’accompagnent avec cet arabe nucléaire toujours de mise et que personne ne comprend ! Quand soudain, la voix de Matoub surgit du petit écran ! Les Oh ! Les Yaw ! Les Achou se disputent notre étonnement ! « Eh oui bandes de c…nous l’avons tué et nous fêtons sa mort en direct sur la « zéro » ! » Interdit d’antenne pendant plus de 20 ans et voilà que la « zéro » nous en fait apprécier les succès pour commémorer sa mort ! C’est du machiavélisme supérieur que nous nous devions d’accepter sans la moindre possibilité de rechigner ! Ils nous prennent pour des c…mais c.. nous ne le sommes pas !
Il suffit de prendre le bus d’Alger à Tizi-Ouzou pour s’en rendre compte ! Car même si Matoub est interdit d’antenne à la télé ainsi qu’à la radio chaine 2, comme le fut Slimane Azem en son temps, ses messages font vibrer toutes sortes de sonorités, du radiocassette du Taxi aux bus qui mènent à la Kabylie, Matoub continue de sa voix d’écorché d’éveiller les consciences que le pouvoir s’acharne à endormir ! C’est un recueillement sans pareil que de prendre le bus Alger-Tizi et que le chauffeur inonde de ses baffles la voix de Matoub avec des décibels amplifiés par le titre Allah Wakbar ! Le titre qui fait douter jusqu’aux Hadjs et Marabouts l’authenticité du message d’Arabie !
Un titre qui fait culminer l’œuvre de Matoub aux firmaments de l’éveil des consciences !
Un titre encore plus harmonieux en paroles et en musique que les voix de tous les muezzins du monde musulman, de Bilal aux cheikhs les plus doués d’Arabie ou d’Algérie, ne sauraient égaler !
Un titre qui si les toutes mosquées du monde s’accordaient à diffuser en traduisant le texte feraient tressaillir les croyants pour les sortir des puits ténébreux de la mort pour les projeter dans le monde des vivants !
En musique ou en paroles, nul hommage à Matoub Lounès ne saurait surpasser ou égaler le Allah-Wakbar détonnant de vérité.
Au-delà des mots, la meilleure façon de rendre hommage à ses 25ans, en toute émotion c’est de l’écouter dans ce message percutant, sans doute le plus significatif et le plus énergique de toute sa carrière en termes de résistance à la bêtise de l’occupant idéologique de tous ces gugus qui défilent et occupent les rênes de nos destinées : Allah Wakbar !
Kacem Madani