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Me Nacéra Haddouche : du barreau à tadjmaat

PORTRAIT

Me Nacéra Haddouche : du barreau à tadjmaat

Elle a poussé la porte de tadjmaat (assemblée de village en Kabylie) comme elle faisait irruption dans un tribunal lors d’une plaidoirie défiant l’ordre établi pour rappeler la lecture de droit à la lumière des avancées de l’humanité et des conventions internationales.

Loin des tribunaux et des parloirs allant à la rencontre des détenus d’opinion, Me Nacéra Haddouche a laissé tomber sa robe noire pour investir un lieu réservé traditionnellement aux hommes, Tadjmaat, le conseil de son village, Azrou Kollal, dans la commune d’Ain Al Hammam (Michelet), wilaya de Tizi Ouzou. 

Presque inédit dans l’histoire des villages de la Kabylie, rares sont les femmes qui ont osé faire entorse à la tradition et faire le pas pour intégrer tadjmaat et se faire accepter.

 C’est sa rentrée fracassante qui fera la différence par rapport à d’autres expériences. Elle répondait à l’appel de devoir, celui de porter secours et assistance à une Kabylie en proie des feux et l’objet des attaques multiples. 

Sa timidité naturelle n’était jamais un handicap pour Me Haddouche pour aller au charbon et croiser le fer, que ce soit aux ténors des barreaux et aux juges aux ordres ou aux tenants du régime, en se constituant volontairement pour défendre dans les tribunaux les damnés, les assoiffés de liberté et les causes justes. 

Elle se révèle toujours dans les moments de crise et cruciaux engageant l’avenir de sa région ou celui de l’Algérie.  

Déjà en 2001, lors du Printemps noir ou elle venait à peine d’empocher son diplôme d’avocate, elle était parmi les rares femmes ou presque l’unique d’être membre de la Coordination des Aarouchs mandatée par son village. Elle fera partie également du collectif des femmes du Printemps Noir. 

Aux premières arrestations lors de la Révolution de sourire, elle sera parmi les initiatrices et les initiateurs du Comité nationale pour la libération des détenus (CNLD) tout en assumant son rôle d’avocate pour se constituer volontairement avec des dizaines d’avocats dans la défense de ces détenus d’opinion. Elle se distingue dans la démolition des accusations fallacieuses ayant trait au port du drapeau amazigh. 

Durant plus de deux ans, elle se dévoue à ce combat en sillonnant les tribunaux et les prisons pour rendre visite aux détenus.  Et quand elle se pose, c’est pour rédiger un mémoire contradictoire à l’adresse des juges. 

Mais ce 9 août, c’est différent, elle devait livrer combat inégal aux feux qui menaçaient sa Kabylie, son village et sa maison familiale. 

Aux environs de 5 heures du matin et pendant qu’elle guettait l’avancée des feux, l’alerte d’évacuer a été donnée au village. L’effroi se lisait sur ses yeux, mais sans panique, elle quitte aussitôt la maison en compagnie de son amie, sa compagnonne de toujours, sa maman.

Un seul moment d’hésitation ou elle jetait un regard sur son défunt papa se reposant dans un coin de la petite cour et qui tient les « fondements » de la maison. « Aassas al dar, le gardien de la maison comme le gardien de temple ou plutôt il veille sur la demeure comme un sain sur sa mausolée. 

Il l’a construit pierre par pierre au prix de la sueur et du sang, le fruit des années d’émigration passées en France ou il avait participé pendant la guerre de libération à la lutte libératrice au sein de la Fédération historique. Et son frère est tombé au champ d’honneur en Kabylie. 

En convoquant ces épisodes d’histoire, mêmes douloureuses, c’est une lueur d’espoir qui s’empare de Me Haddouche, une projection dans l’avenir, un pas vers la reconstruction et la replantation des champs comme ils ont fait les aïeux après deux bombardements successives du village, Azrou Kollal, par l’aviation coloniale. C’est de cette sève qu’elle est issue, c’est la raison pour laquelle elle n’a pas hésité en compagnie de son amie, Kahina, enseignante de tamazight, à déroger à la règle et à aller se joindre aux hommes qui dirigeaient exclusivement tadjmaat.

Animées de volontés et armées de savoir et de convictions, elles veulent participer à l’effort de reconstruction et de contribuer à panser les blessures. Elles s’attèlent à recenser les sinistrés, à enregistrer leurs besoins, à réceptionner les dons, à les distribuer et à accompagner les familles endeuillées. À noter, le village compte quatre décès.

Le village ne désemplit pas, contrairement à ses habitudes paisibles, en recevant des délégations, des équipes médicales et des caravanes d’aide et de solidarité venant des autres régions du pays.  Sans se séparer de son sourire légendaire, Me Haddouche se revendique de son nouveau statut de sinistrée, mais avec un grain de plaisanterie pour résumer son quotidien chamboulé, son dévouement total et engagement en plein temps à la cause de son village. 

Son implication à elle et de son amie, Kahina, dans tadjmaat, avec la bénédiction des hommes, a apporté, faudra-t-il le reconnaitre, un nouveau souffle et impulsé une dynamique dans l’œuvre de reconstruction et dans le renforcement des liens sociaux, de fraternité et de solidarité. 

Azrou Kollal ne croit pas aux larmes et il renaît de ses cendres en promettant de fleurir ses allées le printemps prochain et tous les printemps à venir.  

Auteur
Youcef Rezzoug

 




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