« À la maison, c’est un despote irascible ; à l’école il est doux comme un agneau, à son pupitre à l’avant-dernier rang, le rang le plus obscur pour surtout ne pas se faire remarquer, et il se raidit de peur quand commence la séance du fouet. En vivant cette double vie, il s’est créé un fardeau d’imposture » J. M. Coetzee
La Méditerranée ne connaît pas de frontières, elle est le prolongement des côtes européennes et maghrébines. Elle est un pont entre les Etats et un mur entre les peuples. Elle cache les intérêts des Etats et expose les réalités des peuples. En surface des corps inanimés flottent, en profondeur des pipes line sont immergés. Au nord, des infrastructures touristiques, au sud des rivages vierges à défricher et une jeunesse en jachère à mobiliser.
Tandis que les uns se noient, les autres se prélassent. La méditerranée a une couleur mais personne ne sait laquelle. Elle change en fonction du soleil. Elle n’a pas de ligne, elle se confond avec le ciel. Un ciel à trois étages (la trinité) pour les uns et un seul étage pour les autres (l’unicité).
Entre ciel et terre, il n’y a pas d’intermédiaire. Entre la mort et la vie, il n’y a pas de pont. Entre le vieux continent et la jeune Afrique, un cimetière à ciel ouvert. Des corps inertes flottent en surface, le pétrole et le gaz coulent à flux continu sans interruption en profondeur. Des conduites qui ne souffrent d’aucune corrosion. Elles sont là pour l’éternité. Dans la profondeur des eaux, une histoire tumultueuse.
Sur les rives, des Etats « en berne » et des peuples « en érection ». Les deux faisant appel « aux morts pour résoudre les problèmes de vivants ». Des vivants cherchant une place parmi les fantômes. La mort n’a jamais enfanté la vie. Les vieux veulent vivre, les jeunes veulent mourir.
Ironie de l’histoire, les pays envahisseurs d’hier sont devenus des pays envahis aujourd’hui. Le phénomène migratoire est le fait marquant de ce 21ème siècle. Au nord, des pays évolués au niveau de vie élevé. Au sud, une démographie galopante et une gestion chaotique des ressources maintenant les populations dans la pauvreté et le sous-développement.
Deux Méditerranées qui se regardent, l’une plus bleue que l’autre, deux civilisations qui s’affrontent, un paradis plus « vert » que l’autre. Au milieu, une barque de fortune où s’entassent de milliers de jeunes qui chavire, au nord un vieux continent qui se dépeuple ; au sud et une économie jeune qui se noie. La fin du règne du pétrole va creuser la faim dans le monde. Chaque jour, plus d’un milliard de personne souffrent de la faim, l’urbanisation sauvage et l’exode rural, vont précipiter la famine et les premiers pays à être touchés ce sont les économies rentières suivies des pays industrialisés.
La Méditerranée constitue le point de départ de plusieurs grandes civilisations dont s’est nourrie la civilisation occidentale. Dès que l’homme a su construire des barques, des navires, la Méditerranée s’est transformé en un lien entre continents. Après avoir été un « lac romain », divisée par des invasions et des rivalités religieuses devint un enjeu central dans l’affrontement géostratégique des pouvoirs qui la bordèrent jusqu’à que son intérêt soit supplanté par les océans révélés par les grandes découvertes. Dans le bassin méditerranéen, la guerre connait une permanence tout au long de l’histoire.
C’est une zone de grandes tensions. Elle a connu de nombreux conflits fratricides, cruels et barbares. L’histoire est un éternel recommencement et la géographie une source intarissable de conflits. Si la recherche de l’indépendance fût un principe légitime, les pouvoirs mis en place n’ont pas toujours respecté les aspirations populaires qu’elles impliquaient.
La décolonisation a donné naissance à des entités étatiques artificielles dominées par des régimes politiques autocratiques et despotiques sans légitimité historique ou démocratique qu’ils soient monarchiques, militaires, ou policier veillant jalousement sur leurs frontières c’est-à-dire leur espace de domination politique, économique et culturelle. L’Algérie et la France vivent le passé au présent, elles en sont malades, d’une maladie qui semble incurable.
Dans la tourmente qui enfante de nouvelles sociétés ou qui les étouffe dans l’œuf les situations semblables créent des jugements semblables. De la main à fusil à la main à clavier, la main à plume se fourvoie. « Le poignard le plus aigu, le poison le plus actif et le plus durable, c’est la plume dans les mains sales. Avec cela on gâte un peuple, on gâte un siècle. Il s’écrit aujourd’hui des choses qui lèveront la semence de crimes » Louis Veillot.
Dr A. Boumezrag