Lundi 25 décembre 2017
Méditons l’action de Ferhat Abbas, premier Président du GPRA
Ferhat Abbas (1899-1985) de son vrai nom Ferhat Mekki Abbas est né à Taher dans la wilaya de Jijel le 24 août 1899 et est décédé le 24 décembre 1985. Il devient président du premier Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra) à sa création le 19 septembre 1958, puis du second Gpra, élu par le Cnra en janvier 1960. Son parcours est à méditer pour un dialogue productif entre le pouvoir et l’opposition, dans le cadre du respect mutuel, personne n’ayant le monopole du nationalisme. Comment ne pas me rappeler que lors de la fondation de l’Association algérienne de l’économie de marché ADEM en 1992, au moment où le gouvernement de l’époque et des experts préconisaient l’économie de guerre, nous avons décidé en préambule de notre programme de lui rendre hommage pour ses idées novatrices.
1.- Les objectifs stratégiques que le défunt s’était tracé sont la refondation de l’Etat algérien conciliant la modernité et son authenticité, l’efficacité économique et une profonde justice sociale, de redonner la confiance entre l’Etat et les citoyens grâce au dialogue fécond et productif. Il n’existe pas d’Etat standard, mais que des équipements anthropologiques qui le façonnent largement influencés par la mondialisation avec de nouvelles fonctions. Dès lors, des stratégies d’adaptation politique, militaire, sociale et économique tenant compte de l’innovation destructrice, en ce monde turbulent et instable pour reprendre l’expression du grand économiste Joseph Schumpeter dans son ouvrage universel «Réformes et démocratie» sont primordiales pour la survie de la Nation.. D’où aussi l’urgence de restructurer tant le système partisan, que la société civile loin de toute action autoritaire. Lorsqu’un pouvoir émet des lois qui ne correspondent pas à l’Etat de la société, celle-ci émet ses propres lois qui lui permettent de fonctionner accentuant le divorce Etat-citoyen par la dominance de l’informel, à tous les niveaux politique, économique, social et culturel. Tout pouvoir a besoin d’une opposition forte organisée avec des propositions productives pour se corriger, devant l’associer dans les grandes décisions qui engagent l’avenir du pays. L’Algérie a besoin pour éviter la léthargie et la stérilité que tous ses enfants, dans leur diversité, par la tolérance des idées d’autrui, se regroupent au sein d’un même objectif, à savoir le développement économique et social tenant compte de la dure réalité mondiale où toute Nation qui n’avance pas, recule forcément. L’Algérie a besoin d’un consensus minimum qui ne saurait signifier unanimisme signe de la décadence de toute société. Il faut revenir aux fondamentaux de la démocratie. Nous devons apprendre à nous respecter, personne n’ayant le monopole du nationalisme, devant tolérer les idées d’autrui. Si le pouvoir et l’opposition se cantonnent dans LE MONOLOGUE en ignorant les aspirations profondes de la société et des nouvelles exigences mondiales, en s’en tenant à un statu quo, bloquant les réformes structurelles, l’Algérie va droit dans le mur, avec le risque de déstabilisation de toute la région. L’Algérie traverse une crise multidimensionnelle politique, économique, sociale et culturelle, qui rend urgent une transition démocratique elle-même tributaire d’une transition à la fois énergétique et d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales, que ne saurait voiler l’euphorie de la rente des hydrocarbures traditionnels qui vont à l’épuisement à l’horizon 2030, le monde devant connaitre entre 2020/2030/2040 de grandes mutations au niveau mondial reconfigurant le pouvoir énergétique mondial..
2.- Dans ce cadre, j’estime que les analyses et propositions de feu Ferhat Abbas sont d’une brûlante actualité. En ce mois du 24 décembre 2017 où l’Algérie se cherche pour une sortie de crise, la relecture de son action militante et de ses Mémoires peut être très instructive à la fois pour le pouvoir et l’opposition. D’ailleurs, lors d’une large tournée dans les universités algériennes, aux Etats- Unis d’Amérique et en Europe entre 1993/1996, lors de différentes conférences internationales, j’ai tenu à lui rendre un vibrant hommage et ce pour trois raisons essentielles. Premièrement, Ferhat Abbas (1899-1985) de son vrai nom Ferhat Mekki Abbas est né à Taher dans la wilaya de Jijel, le 24 août 1899 est un militant de la première heure de la cause nationale. Diplômé docteur en pharmacie en 1933, il s’établit à Sétif où il devient rapidement une importante figure politique de par son statut de conseiller général en 1934, conseiller municipal en 1935 puis délégué financier. Il adhère à la «Fédération des élus des musulmans du département de Constantine» en tant que journaliste au sein de son organe de presse, l’hebdomadaire. Il devient le promoteur de l’Amicale des étudiants musulmans d’Afrique du Nord, dont il est vice-président en 1926-1927, puis président de 1927 à 1931, date à laquelle il transforme l’Amicale en association. Il est également élu vice-président de l’Unef lors du congrès d’Alger de 1930. Le 14 mars 1944 il crée l’association des Amis du manifeste de la liberté (AML) soutenu par le cheikh El Ibrahimi de l’Association des oulémas et Messali Hadj. En septembre 1944, il crée l’hebdomadaire Egalité (avec pour sous-titre Egalité des hommes – Egalité des races – Egalité des peuples). Au lendemain des émeutes de Sétif de mai 1945, tenu pour responsable, il est arrêté et l’AML est dissoute. Libéré en 1946, Ferhat Abbas fonde l’Union démocratique du manifeste algérien (Udma). En juin, le parti obtient 11 des 13 sièges du deuxième collège à la seconde Assemblée constituante et Ferhat Abbas est élu député de Sétif. Après le refus à deux reprises de son projet sur le statut de l’Algérie, il démissionne de l’assemblée en 1947. Il lance le 1er Novembre 1954 les premières actions armées qui marquent le début de la «Révolution algérienne». Dès le 20-Août 1956, à l’issue du congrès de la Soummam, il devient membre titulaire du Cnra (Conseil national de la révolution algérienne), puis entre au CCE (Comité de coordination et d’exécution) en 1957. Ferhat Abbas devient ensuite président du premier Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra) à sa création le 19 septembre 1958, puis du second Gpra, élu par le Cnra en janvier 1960 et démissionne le 15 septembre 1963 pour essentiellement des raisons d’option à la fois politique et économique. Deuxièmement, c’était un intellectuel de haut niveau, dont les écrits et prises de position, lui vaudront un emprisonnement à Adrar entre 1963 et mai 1965; assigné à résidence entre mars 1976 et le 13 juin 1978. Il publie en 1980 ses Mémoires dans «Autopsie d’une guerre» puis en 1984, dans «l’Indépendance confisquée» , il dénonce la bureaucratisation de la société et la corruption. Or nous sommes en fin 2017 et ce sont toujours ces problèmes qui font l’actualité en Algérie.
3.- Ce grand homme croyait fermement au primat de la connaissance sur la distribution de la rente, auteur de nombreux ouvrages et publications nationales et internationales dont Le Jeune Algérien dans lequel il dénonce notamment 100 ans de colonisation française où il insiste sur «l’algérianité». Je le cite: «nous sommes chez nous. Nous ne pouvons aller ailleurs. C’est cette terre qui a nourri nos ancêtres, c’est cette terre qui nourrira nos enfants. Libres ou esclaves, elle nous appartient, nous lui appartenons et elle ne voudra pas nous laisser périr. L’Algérie ne peut vivre sans nous. Nous ne pouvons vivre sans elle. Celui qui rêve à notre avenir comme à celui des Peaux-Rouges d’Amérique se trompe. Ce sont les Arabo-Berbères qui ont fixé, il y a quatorze siècles, le destin de l’Algérie. Ce destin ne pourra pas demain s’accomplir sans eux (La nuit coloniale Julliard, Paris, 1962).» Mais en homme politique, tout en préservant les intérêts supérieurs du pays, il préconisait pour l’Algérie la nécessité de s’adapter aux nouvelles mutations mondiales. La troisième raison, c’est le premier défenseur algérien de l’économie de marché à vocation sociale, en fait un social-démocrate, contre l’étatisme bureaucratique et un capitalisme sauvage. Il préconisait de réaliser la symbiose entre l’efficacité économique et une profonde justice sociale et ce grâce à un Etat puissant régulateur mais fort que par sa moralité, l’Etat de droit et la démocratie tenant compte de notre anthropologie culturelle.
Pour cela, le dialogue permanent entre les différentes forces politiques, sociales et économiques sans exclusive condamnant toute forme d’extrémisme, la participation citoyenne à la gestion de la Cité intégrant l’élite et la femme signes de la vitalité de toute société et le contrat qui devait remplacer les actions autoritaires bureaucratiques étaient les conditions pour la prospérité de l’Algérie. Il a mis en exergue la nécessité de lutter contre la corruption, les responsables devant donner l’exemple, qui selon lui constituerait le plus grave danger qui menacerait le devenir du pays et préconisé de développer les libertés et toutes les libertés (politique, économique, sociale et culturelle) existantes, des liens dialectiques entre les libertés politiques, économiques et sociales. Ce que l’on appelle aujourd’hui bonne gouvernance.