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Mélodie pour une révolution populaire

POINT

Mélodie pour une révolution populaire

Mutations et changements, c’est la conjoncture de l’Algérie d’aujourd’hui. Si notre nation a une éternité devant elle, le peuple, lui, s’évertue à casser la distance qui le sépare de l’incertain.

On découvrit, depuis quelques mois, à notre grande surprise, que les rues algériennes pouvaient se remplir de foules impressionnantes, que le sol pouvait bouger, les montagnes s’exalter, la vie hanter les itinéraires mis jusqu’ici en quarantaine… La peur a disparu, le silence s’est tu enfin et les interdictions de manifester ont été foudroyées par d’énormes masses mouvantes. Un autre temps est né que nous ne savons pas nommer. Et la dénomination Hirak a vibré sur nos langues.

Peut-être la question n’est-elle plus d’être un simple habitant de ce pays mais d’en devenir citoyen enfin, de se mêler de la direction prise par les vents, de fabriquer des montagnes à partir de ces richesses que les voyous qui ont pris les commandes du navire Algérie se sont mises dans les poches et de décider de la poursuite ou de l’arrêt de la croisière.

Il ne s’agit même plus de colmater les brèches mais de s’occuper de ces fuites de milliards de dollars vers les paradis fiscaux et de les rapatrier, de trouver précisément ces biens immobiliers mal acquis par les triades du FLN et de les confisquer aux mafias qui les ont achetés avec l’argent des hydrocarbures, propriétés de tous. Il s’agit de s’occuper de ces tempêtes d’insultes et de crachats que le pays a subies depuis des décennies, de ces multitudes de terres agricoles en colère livrées aux bétonneuses bas de gamme des entreprises chinoises, de ces sols saccagés pour que des HLM de dernière catégorie soient offertes au lumpenprolétariat salafiste si prompt à défendre la fameuse « Concorde civile » qui a absout des milliers d’égorgeurs afin de faire perdurer la dictature d’un parti moribond.

Le Hirak : une chanson sublime entre cantique et complainte. Et avant tout, amplifier la sollicitude. Car ces foules multiples, réputées muettes à jamais, désormais s’insurgent et se révoltent, revendiquent, questionnent, réclament et s’opposent. Elles chantent et dansent sur les places publiques. Elles « vendredisent » chaque semaine. Les pauvres, les jeunes, les écrasés par le système, les femmes libres et dignes, les mozabites et les chaouias et les kabyles, les chibanis, les laissés-pour-compte et les sortis-de-la-route, tout ce beau monde se fait entendre, tambourine à la porte, scande des mots inédits, invente des slogans jamais entendus, exige des sièges au parlement du sourire.

Le peuple apostrophe et assigne tandis que le système chouine et ronchonne. Le soulèvement populaire a surtout à voir avec la démocratie, la rupture définitive avec l’islamisme ambiant, la dilatation de la parole à d’autres voix, une affinité avec l’élévation de la citoyenneté.

On demande à reconnaître aux femmes et aux hommes de cette terre un statut d’êtres libres à part entière, on se demande si les paysans ne devraient pas avoir un avis sur autre chose que sur la cueillette des olives…

L’évidence est que le peuple algérien a une opportunité de progresser. Parce que ces foules qui interpellent d’être regardées autrement, ce sont les hymnes de la libération véritable qui les traversent de part en part. Le poing levé ici est doléance et protestation, revendication même.  Le Hirak nous rappelle la multiplicité exorbitante des populations algériennes. Il nous rappelle que des langues succèdent à d’autres langues, que le pays passe de figure en figure qui s’associent, s’enchevêtrent, se superposent et s’unissent pour une Algérie totale. Du nord au sud et de l’est à l’ouest, ces mélanges et ces entremêlements du chèche du vieux targui jusqu’à la robe bariolée de rouge et de jaune de la femme kabyle sont dans et avec le Hirak.

Et la marche, la « massira », est également faite pour cela : ces fouillis et ces mélanges. Ici, les slogans ne seront jamais de toute accalmie, ils ne seront jamais une assurance. Les slogans fusent de toutes les gorges et c’est cela qui aide à parier sur la transfiguration de la société – à accueillir ces moments de marches hebdomadaires, dans lesquelles tout s’emmêle : femmes, hommes, jeunes, moins jeunes, modernes, plus traditionnels. Oui, gager sur les changements, renchérir sur l’extravagance, combiner nos cris de ralliement à la clameur de tout un peuple enfin éveillé.   

Car un peuple sait s’appliquer à suivre le mouvement du soleil pour que soient illuminés les vallons qui ne se réchauffent pas sous les rayons de notre étoile magique, gommer l’ombrée et l’ubac, savoir donner voix à ceux qui n’en ont pas, ne pas déguiser leur expression, ne pas dispenser le compliment comme on donnerait une obole.

Les jeunes chantent des scènes joyeuses à venir, ils s’adressent à un parti obsolète qui n’a plus rien à dire, plus rien à guider, qu’il faut absolument enterrer sous des tonnes de gravats pour qu’aucun soubresaut ne résonne à l’extérieur. Les moins jeunes sont là qui écoutent ces phrases tellement tues et fassent savoir qu’il n’est plus possible de les taire. Avant, on pouvait s’adresser à qui de droit mais il n’entendait rien. Maintenant, on dit, fortement, on parle, on crie et on fera tout pour que ce soit entendu. Le peuple assume de porter la parole, d’être le seul à mettre la parole en exergue. Et il est celui qui ne soustrait le discours à personne, ne fait passer sous silence aucune réalité fut-elle celles des années noires qui ont ensanglanté l’espoir.

C’est même sous cette seule convention, celle de parler dans ses langues multiples, d’amorcer depuis ses propres parlers du terroir, qu’un peuple sait écouter ce qui ne se dit pas et qu’il défilera semaine après semaine avec un drapeau double qui sort directement de ce peuple grandiose exalté encore plus par ce formidable Hirak.
 

Auteur
Kamel Bencheikh

 




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