On nous bassine depuis plus d’un siècle avec Jack l’Éventreur de Londres ou Landru de Paris et de nombreux autres serials killers. C’est oublier l’extraordinaire psychose qui avait sévi à Oran. À côté, les thrillers américains ressemblaient à une berceuse pour enfants.
De mystérieux crimes non élucidés, toujours des femmes. La ville a peur, se barricade le soir. Les femmes tremblent et les histoires dans les hammams et les bistrots suspendent le temps.
Toujours le même mode opératoire, une tête fracassée par un pilon.
Et finalement, « Bou-Mahrez » (celui qui possède un pilon) de son surnom ultérieur, était un brave père de deux enfants, il habitait Cité-Petit. C’est-à-dire le quartier qui jouxte le mien.
Daho Saïd, de son vrai nom, qui s’en souvient aujourd’hui dans la jeunesse oranaise ?
Ma Grand-tante avait failli y passer. Alors, vous vous rendez bien compte combien j’ai dû entendre parler de cette histoire !
Ce n’était pas bien de nous rouler par terre de rire en l’écoutant mais c’est la liberté des enfants de rire parfois de l’horrible lorsque cela arrivait aux Grands-tantes. Je vous rassure, elle s’en est sortie, mais ma mémoire fait défaut pour la salutaire raison qui l’a épargnée.
L’homme au pilon se faisait passer pour un employé de l’EGA (Sonelgaz, la compagnie nationale de gaz) afin de procéder à des supposées vérifications. Il revenait ensuite après avoir pris note des lieux et de leur environnement.
Depuis cette époque, à chaque fois qu’un Algérien me dit s’appeler Mahrez, je fais un pas en arrière. Mourir d’un coup de pilon, même pour un oranais, j’aurais l’air idiot !
Bien plus tard, à un âge un peu plus mûr, j’ai pris connaissance d’un article du journal oranais de l’époque, La République, avec en son début la photo du célébrissime fracasseur des crânes de femmes. C’était au moment de son procès.
Le journal avait fait un sondage auprès de quelques personnes à la suite de l’émoi de la population de la ville. Le résultat m’avait stupéfait.
Cette petite minorité se réclamait être contre la peine de mort requise à l’encontre de l’assassin. Chose encore plus étonnante, y compris ceux qui étaient proches des victimes.
C’est un document exceptionnel car il nous fait rappeler que l’Algérie de cette époque, une société aux points de vue très conservateurs, avait en son sein des citoyens qui n’avaient pas eu ce reflexe spontané de réclamer le châtiment de la peine de mort. Qu’aurions-nous découvert si l’information avait été plus libre et que les sondages portaient sur un échantillon beaucoup plus représentatif ?
Mémoire d’un Oranais (3) La gamelle et la Bastos sans filtre
Cette minoritaire Algérie qui n’était pourtant pas encore dotée d’une forte couche sociale de diplômés, c’est le moins que l’on puisse en dire, avait une certaine fibre humaniste naturelle. Elle avait su rechercher au plus profond de cet assassin une part d’humanité et elle avait compris que la barbarie de l’exécution pénale qui répond à la barbarie de l’assassinat n’est ni un message d’humanisme ni un message de la foi.
C’est étonnant ce que les archives peuvent alimenter les études sociologiques les plus inattendues. Celle-ci n’a aucun caractère scientifique mais elle démontre qu’il faut toujours se référer à la réalité des faits et observations et non se laisser égarer par l’émotion.
D’une manière intuitive, les personnes déclarant refuser la peine de mort n’étaient pas tous foncièrement contre son application. Ils avaient tout simplement compris ce que le jury et la magistrature avait refusé de voir. Cette personne n’était absolument pas dans un état mental qui puisse plaider pour un geste en conscience. L’homme manquait manifestement d’un discernement et même d’une réflexion cohérente.
Ils ne l’avaient pas vu ou ne voulaient pas le voir car il fallait satisfaire la majorité de la population qui demandait qu’on répare une barbarie par une autre barbarie.
Ce fameux pilon en métal, un instrument des plus célèbres pour la génération précédente des oranais. Mais je vous rassure, ils s’en servaient pour moudre des aliments avant l’arrivée des mixers et non à régler des conflits familiaux ou de voisinage.
Certaines têtes étaient déjà fêlées, fallait-il en rajouter ?
Sid Lakhdar Boumediene