Les médias en Algérie, comme la cuisine locale, sont souvent un mélange complexe d’ingrédients qui se mélangent, bouillonnent et finissent parfois par donner un goût… indéfinissable.
Quand on parle d’information, on peut se demander si on parle vraiment de faits, ou si l’on se retrouve à déguster un plat mijoté d’idées préconçues et de narrations contrôlées. Et dans ce contexte, il n’est pas rare de voir surgir les « meddah », ces narrateurs traditionnels de l’oralité populaire qui, à la manière des journalistes ou des animateurs télé, distillent des histoires soigneusement écrites pour divertir ou manipuler l’ public.
Il faut dire que les deux univers, celui des mets et celui des médias, ont en commun une certaine prétention à nourrir l’esprit. Mais est-ce vraiment l’esprit qui est nourri ? Ou bien les consciences sont-elles plutôt laissées sur leur faim, avec une overdose de sauce émotionnelle et de mensonges bien épicés ?
Le festin de la manipulation médiatique
Dans une société où l’actualité est souvent réduite à une succession de titres accrocheurs, de faux débats et de partis politiques, il est difficile de distinguer le vrai du faux. Les informations sont triées sur le volet, assaisonnées à l’extrême, et servies dans des portions idéologiques pré-digestées. Les journalistes, à la place des chefs cuisiniers, sont parfois contraints de suivre des recettes imposées, où les ingrédients doivent être choisis avec soin pour respecter la ligne éditoriale dictée par les puissances en place.
Par exemple, vous avez peut-être remarqué que dans certaines émissions, une « analyse » ou une « expertise » semble souvent arriver après une « mise en scène » soigneusement orchestrée. C’est comme si, dans l’assiette, on vous présentait une salade de faits tronqués, avec des morceaux d’opinions mal assaisonnés, le tout noyé sous un flot de généralités bien crémeuses. L’objectif n’est pas de nourrir l’esprit critique, mais de satisfaire une demande d’adhésion sans réflexion.
Les meddah et la sauce de la vérité
Les meddah, ou narrateurs populaires, ont longtemps occupé une place centrale dans la culture algérienne. Ces artistes se sont toujours montrés habiles à manipuler les émotions de leur public, en jouant sur la parole, l’exagération et l’humour. De nos jours, on pourrait presque les comparer à des présentateurs télé ou à des influenceurs, qui, comme eux, savent que la vérité n’est pas forcément ce qui captive le plus.
Dans cette époque où les discours sont souvent polarisés, les meddah modernes manient le récit de manière stratégique : il ne s’agit plus de raconter une histoire pour son propre plaisir, mais bien de transmettre un message précis, avec une touche de manipulation subtile. Les médias traditionnels, eux, ont pris la relève dans cette danse de l’illusion. Leurs narrations, souvent répétitives et caricaturales, tentent d’ancienne une vérité à sens unique, qui semble d’autant plus crédible qu’elle est racontée avec des airs de confiance ou de familiarité.
Un plat de résistance : le mensonge comme épice
On en vient à cette question inévitable : pourquoi diable les médias et les meddah ont-ils tant d’emprise sur nous ? Parce qu’ils savent une chose essentielle : l’information, comme la nourriture, se consomme avec l’émotion. Un plat fade, ou une analyse froide, n’intéresse personne. Mais un récit épicé, assaisonné d’un soupçon de rage, d’indignation ou d’espoir, se savoure bien mieux. C’est ainsi que les médias ont appris à épicer les nouvelles avec des ingrédients savamment choisis : la polarisation, l’exagération et la dramatisation.
Dans cette « cuisine médiatique », les mensonges sont parfois les épices les plus utilisées. Pas de vérités complexes qui demandent réflexion, mais des vérités simples, bonnes à consommer sans réfléchir. On dit souvent que « la vérité sort de la bouche des enfants », mais ici, elle sort plutôt des bouches des experts en manipulation. C’est une vérité que tout le monde croit, mais qui, une fois digérée, laisse un goût amer.
Un buffet d’illusions
Quand on prend du recul, on réalise que nous vivons dans une époque où l’information et la cuisine sont toutes deux des terrains où l’illusion prospère. On nous sert des plats sur mesure, adaptés à nos goûts et à nos désirs immédiats. Peu importe si les ingrédients sont frais ou périmés, pourvu que le plat soit appétissant et qu’il plaise à la clientèle.
Les médias, comme un chef cuisinier en quête de popularité, savent qu’il faut parfois sacrifier la vérité sur l’autel du spectacle. Les meddah, eux, connaissent la recette : envoûter l’auditoire, jouer sur les émotions et, pourquoi pas, laisser tomber quelques morceaux de vérité au passage, pour que tout le monde se partage avec l’illusion de s’être nourri convenablement.
Et finalement, la question se pose : avons-nous encore la capacité de discerner un vrai plat de résistance, une information saine, ou sommes-nous condamnés à nous contenter de ce festin de mensonges et de manipulation, assaisonné de belles promesses et de discours mielleux ?
La réponse, hélas, ne se trouve ni dans la cuisine, ni dans les médias, mais dans la capacité de chacun à ne pas se laisser abuser par ce festin d’illusions.
Dr A. Boumezrag