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Migration clandestine de mineurs : quand El Djeich réduit un fait social à un complot médiatique

Dans son dernier numéro, El Djeich, la revue officielle de l’Armée nationale populaire, a réagi à l’affaire qui a secoué l’opinion publique au début du mois de septembre : la traversée clandestine de sept enfants mineurs depuis Alger vers les côtes espagnoles.

L’hebdomadaire militaire s’est employé à relativiser l’événement, dénonçant une « exploitation malveillante » de la part de médias étrangers et accusant ceux-ci de vouloir « ternir l’image de l’Algérie » et « fragiliser ses institutions ».

La revue s’inscrit dans une logique défensive classique : le départ de ces adolescents est présenté comme un acte isolé, sans rapport avec des problématiques sociales ou économiques profondes. Pour El Djeich, toute tentative de relier cette tragédie à une crise plus large relèverait d’un « agenda hostile » visant à noircir le tableau d’un pays qui, affirme-t-elle, connaît au contraire des avancées tangibles sur les plans économique, social et politique.

Cet argumentaire, déjà éprouvé par le passé, repose sur deux ressorts récurrents. D’une part, l’invocation d’un « complot médiatique extérieur » destiné à attaquer l’Algérie, en feignant d’ignorer que le phénomène de la harga est largement relayé par les algériens sur les réseaux sociaux, et même par quelques journaux. D’autre part, la mise en avant d’un discours volontariste sur la jeunesse : subventions, dispositifs d’accompagnement, création de conseils consultatifs ou promotion d’une nouvelle élite politique. Autant d’annonces réitérées qui, dans les faits, peinent à convaincre une partie importante des jeunes Algériens, dont certains continuent de risquer leur vie en mer.

La rhétorique développée dans cet éditorial illustre les limites d’un traitement officiel qui privilégie la posture et le déni au détriment de l’analyse des causes structurelles : chômage élevé, blocages dans la mobilité sociale, déficit de perspectives, désenchantement politique. Autant de réalités qui alimentent la harga bien plus sûrement que de supposées « manipulations étrangères ».

En qualifiant cette affaire de « tempête dans un verre d’eau » et en y voyant l’expression d’un « acharnement hostile », la revue militaire reconduit un schéma rhétorique usé : glorification des réalisations économiques, exaltation de la jeunesse comme « force vive », et rappel constant de la continuité avec l’héritage des « jeunes du 1er Novembre ». Cette grille de lecture, quasi incantatoire, peine à masquer l’écart entre le discours officiel et l’expérience quotidienne d’une partie de la population, notamment les plus jeunes, dont le geste désespéré traduit, au contraire, un profond malaise.

En définitive, l’éditorial d’El Djeich ne livre pas une analyse mais un réflexe : transformer un fait social préoccupant en prétexte pour dénoncer des « ennemis extérieurs ». Une manière d’éluder les vraies questions et de renforcer, encore une fois, le sentiment de décalage entre les mots du pouvoir et la réalité vécue par les citoyens.

Samia Naït Iqbal

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