Dimanche 27 juin 2021
Ministres de demain : avoir moins de 35 ans et plus de 40 ans d’expérience ?
« Il faut se méfier des ministres qui ne peuvent rien faire sans argent et de ceux qui veulent tout faire avec de l’argent », Indira Gandhi
En Algérie, l’Etat prend corps à partir de l’Armée et de l’administration et non d’une bourgeoisie ou de la classe ouvrière, il s’impose à la société. Le noyau dur du pouvoir est constitué par une alliance des dirigeants de l’Armée et de l’Administration. Ceux-ci sont liés par une communauté de pensées et de pratiques.
Par des impératifs stratégiques, les premiers ayant besoin de la compétence des seconds pour la réussite du projet social ; les seconds ayant besoin de la légitimité historique des premiers pour la stabilité du système. Les évènements de l’été 1962 nous montrent que les cadres issus de l’armée des frontières et de l’administration coloniale sont les représentants d’une petite bourgeoisie partisane d’un Etat fort, fort par sa capacité à contraindre que par sa volonté à convaincre, se fondant sur la loyauté des hommes que sur la qualité des programmes, se servant de la ruse et non de l’intelligence comme mode de gouvernance.
Que ce soit dans l’armée ou dans l’administration, des secteurs éminemment improductifs, nous sommes en présence de dirigeants qui sont des hommes d’appareils ayant fait toute leur carrière dans l’armée et/ou dans l’administration, ils connaissent tous les mécanismes, tous les rouages, toutes les ficelles et dans lesquels les liens de vassalité l’emportent sur les qualités professionnelles. Des hommes qui obéissent aux ordres et non aux lois. Ils sont constitués de fonctionnaires et non d’entrepreneurs, des gens qui « fonctionnent » et non qui « produisent », des hommes de pouvoir et non des hommes d’Etat. Ils raisonnent à court terme et non à long terme. Ils réfléchissent à la prochaine élection et non au devenir des générations futures.
La légitimité historique s’amenuise sans disparaître pour autant. Une hérédité sociale semble se mettre en place et par laquelle se transmettent des positions de domination et se perpétuent des situations de privilèges. Mais le mythe du projet étatique du développement est bel et bien fini parce qu’il s’est avéré « matériellement » impossible, « socialement » inacceptable, « politiquement » dangereux, et « financièrement » ruineux. La principale caractéristique de cette couche au pouvoir est d’être l’alliée privilégiée de la bourgeoisie étrangère qui n’entend pas tolérer le développement d’une bourgeoisie locale, propriétaire, promoteur d’un Etat capitaliste économiquement indépendant et politiquement nationaliste.
La plupart des dirigeants qui se sont succédés de l’indépendance à nos jours semblent considérer l’Etat comme le « veau d’or », qui par sa nature et sa puissance doit résoudre tous les problèmes auxquels il se trouve confronté ; ce qui explique en partie le fétichisme de l’Etat et le culte du pouvoir fort.
Les revenus pétroliers et gaziers constituent la principale ressource du pays. Grâce à ces revenus, l’Etat s’est démarqué de la société. Du fait du contrôle par l’Etat des recettes pétrolières, l’appropriation de cette richesse étant le fait de l’Etat, l’accès à une part de celle-ci dépend de la participation au pouvoir c’est-à-dire de la classe qui domine l’Etat ou du moins se confond avec l’Etat. L’Etat postcolonial choisit d’appuyer le développement sur les recettes pétrolières c’est à dire sur l’extérieur plutôt que sur le travail c’est à dire les forces internes productives.
Cette richesse pourtant loin d’être porteuse d’une possibilité d’indépendance est au contraire indice d’une dépendance totale à l’égard du marché mondial et des sociétés multinationales qui le dominent puisqu’elle s’accompagne de l’impossibilité absolue d’en contrôler la source.
De plus, cette richesse provenant de l’extérieur fait l’objet d’une demande de redistribution que l’Etat ne peut maîtriser pour importer les biens de consommation de base d’où le recours à l’endettement pour combler une réduction des recettes pétrolières. Il apparaît donc clairement que la rente pétrolière, instrument de domination et de dépendance, tant qu’elle est la source essentielle pour ne pas dire exclusive d’enrichissement de la classe dominante entrave la formation des classes telles que la bourgeoisie et le prolétariat, acteurs indispensables d’une économie de marché.
D’un côté, la classe dominante, pour asseoir son pouvoir, avait intérêt à favoriser la population en développant une politique de redistribution élargie à toutes les catégories sociales, ce qui lui a permis de repousser la lutte des classes à plus tard. De l’autre, la majorité des citoyens ne peut que tenter d’obtenir une part plus grosse du « gâteau », à moins de rejeter le système. En réalité, ils n’ont ni les moyens, ni véritablement intérêt à remettre en cause ce système qui leur permet d’espérer un niveau de vie relativement acceptable sans fournir d’efforts en conséquence.
En effet, ce sont les ressources offertes par le pétrole, le gaz ou l’endettement qui permettent l’augmentation générale des salaires sans croissance correspondante de la productivité. Cette situation est appelée à être dépassée au fur et à mesure que les agents économiques et sociaux prennent conscience de leur autonomie et au fur et à mesure que l’économie devient productive, féconde et créative. Le développement étatiste de l’économie, inspiré de l’expérience soviétique, acclamé par les populations, récupéré par les multinationales et subies par les entreprises publiques, a provoqué de profondes transformations sociales notamment l’émergence et la consolidation d’une élite de gestionnaires et de dirigeants particulièrement favorisée, fonctionnant de plus en plus comme une aristocratie dont l’accès est interdit par une processus de sélection.
En outre, le rôle très limité du syndicat, lequel s’identifiait au pouvoir politique fait qu’il n’y a pas d’émergence d’une conscience de classe dans le milieu des travailleurs. La logique dominante n’est pas celle de la production de la plus-value mais une logique de redistribution de la rente. La classe au pouvoir confondue avec l’Etat, réorganise la société autour d’elle, elle engendre tout d’abord une forte classe appui grâce à la salarisation dans les administrations et les entreprises publiques, salarisation qui signifie en Algérie, émargement au rôle de la rente en contrepartie de son allégeance implicite à la classe au pouvoir.
L’intellectuel n’a pas pour fonction de produire des idées mais de reproduire celles diffusées par l’Etat, il doit se confondre avec le projet de l’Etat. La rente devient le fondement d’un discours étatique sur la société, l’Etat ne cherche pas à mobiliser le travail, la créativité, l’innovation, il en appelle au contraire à l’obéissance, à la docilité, à la dépendance ; il n’y a aucune possibilité de remise en cause du système inspiré, suscité, soutenu et entretenu par l’extérieur et verrouillé à l’intérieur par l’armée et la rente pétrolière : le bâton et la carotte.
Le tout enveloppé dans une idéologie « nationaliste et socialiste » baignant dans une atmosphère de pseudo-modernité. L’Algérie consomme une richesse qu’elle ne produit pas, investit une épargne qu’elle ne récolte pas et fait face à une dette qu’elle ne maîtrise pas. La persistance de la pauvreté et l’aggravation des inégalités mettent le pays dans une situation économique, sociale et politique de plus en plus explosive car les jeunes qui forment la majorité de la population ne continueront plus d’accepter l’idée qu’ils doivent se résigner indéfiniment à leurs souffrance et à leurs misères ; mais dans la mesure, où la production et la reproduction des bases matérielles de ces sociétés reposent de plus en plus sur l’économie mondiale, la maîtrise de l’instance économique échappe aux acteurs sociaux du Tiers Monde note.
Il est indispensable et urgent de soumettre les institutions politiques et économiques à un examen critique afin de s’assurer de leur solidité et de leur crédibilité. Une approche paternaliste de la planification a eu un effet démobilisateur de la base, comme c’est l’Etat et non pas la société dans son ensemble qui était considéré comme acteur principal de développement, il en a résulté une apathie généralisée.
Cette passivité des populations a renforcé la tendance à centraliser à l’excès l’administration et la planification. Cette centralisation a eu pour effet de conférer un pouvoir démesuré à un petit nombre de fonctionnaires (membres des comités de marchés) qui n’étaient pas toujours capables de résister aux tentations que ce pouvoir suscite immanquablement.
Le pouvoir ne s’est pas organisé en fonction des activités et des besoins de la masse de la population, il n’a pas épousé le pays réel, il enrichit et est devenu jouissance. L’incapacité des dirigeants d’améliorer de façon tangible les conditions de vie et de travail des populations suscita un mécontentement croissant entraînant des revendications de plus en plus pressantes. Les dirigeants commencèrent à voir dans le désir de participation populaire à la vie politique et économique une menace pour leur situation personnelle, et une remise en cause de leur conception du développement.
Dans la conjoncture actuelle, l’équilibre de l’économie algérienne dont la base matérielle est faible dépendra de plus en plus de la possibilité de relever la productivité du travail dans la sphère de la production et dans le recul de l’emprise de la rente sur l’économie et sur la société.
En résumé, la dépendance externe et la violence interne sont le résultat logique et prévisible des politiques menées à l’abri des baïonnettes depuis trente ans, marginalisant la majorité de la population au profit d’une minorité de privilégiés et au grand bénéfice des multinationales sous la houlette des organismes internationaux. L’erreur de la stratégie algérienne de développement réside à notre sens dans l’automatisme qui consiste à vouloir se débarrasser de ce que l’on a au lieu de l’employer productivement chez soi ; la finalité de l’économie fût ainsi dévoyée, car il ne s’agissait pas d’améliorer ses conditions de vie par son travail mais par celui des autres grâce au relèvement des termes de l’échange avec l’extérieur.
Or, il nous semble qu’une amélioration des termes de l’échange avec les pays développés ne peut être acquise que par une valorisation du travail local. L’insertion dans le marché mondial fragilise l’Etat algérien soumis aux aléas de la conjoncture mondiale. L’histoire est un éternel recommencement et la géographie une source intarissable de ressources en devises.
L’histoire nous apprend que l’on ne renonce jamais spontanément à la domination, ce sont ceux qui la subissent qui doivent y mettre fin et pour ce faire, ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Il en résulte que le pouvoir demeure faible à l’intérieur et subordonné à l’extérieur. Qui va abandonner la douceur de vie de la vallée pour emprunter les chemins rocailleurs de la montagne. Pourtant la sagesse se trouve au sommet de la Montagne et non dans les profondeurs des ténèbres.
Mais qui sait ? Peut-être assisterons-nous de notre vivant o un sursaut d’orgueil de nos élites qui ne se contenteront pas de se pavaner dans des voitures de luxe et d’un peuple qui se contente de marcher sur sa tête et de réfléchir avec ses pieds tout en sachant que le pain de l’indignité qu’il mange quotidiennement est fait à partir du blé tendre français. Le pain de la dignité se fait à partir du blé dur que nos ancêtres semaient sur une terre bénie arrosée du sang de nos valeureux martyrs tout au long de notre longue histoire. Ils ont payé le prix du sang aux générations actuelles et futures de payer le prix de la sueur. « La liberté est le pain que les peuples doivent gagner à la sueur de leurs front »..