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Moh Saïd Oubelaïd, destin dramatique d’un patriote authentique

Impérieuse culture du terroir 

Moh Saïd Oubelaïd, destin dramatique d’un patriote authentique

Qui n’a pas, un jour ou l’autre, fredonné « Ay itbir siweḍ-asen slam i warrac akw n tmurt-iw », ce refrain du tube intemporel «Idurar Leqbayel» de Moh Saïd Oubelaïd ?

Dans les années 1960, il était diffusé sur les ondes de la chaîne 2 plusieurs fois par jour, matin après midi et soir, tant la structure émotionnelle qui la compose ne peut laisser insensible ou indifférent.

Quelques éléments biographiques

Moh Saïd Oubelaïd est né en 1923, dans la commune de Bounouh (Tizi-Ouzou). Exclu de l’école après une querelle avec un fils de Caïd il se consacre aux travaux des champs et devient berger, à l’instar des jeunes de son âge non scolarisés.

À l’âge de 15 ans, il rompt avec ce train de vie pour atterrir à Alger où il travaille comme garçon de café à El-Harrach où il fait la connaissance de Dahmane El Harrachi.

Au mois de juin 1946, il quitte sa famille et embarque pour la France par bateau, pour une traversée de trois jours. C’est à Issy-Les Moulineaux (Dans le 92) où son frère aîné gérait un café qu’il entra de plain-pied dans le monde de la chanson.

Là-bas (ici) en terre d’exil, il travaille dur et s’occupe des activités politiques en tant que militant du PPA (Parti du Peuple Algérien).

Alors qu’il vit à Issy-les-Moulineaux, il tombe amoureux d’une Française avec qui il fonde une famille. De cette union naissent cinq enfants.

En 1953, il enregistre cinq disques à la maison Philips dont « Barka-k tissit n crab (Mets fin à la consommation d’alcool) ». Selon lui, l’alcool empêchait la prise de conscience révolutionnaire.

Il fut le premier chanteur algérien à être édité par la prestigieuse maison Philips. Il enregistre ensuite chez Pathé-Marconi.

Militantisme de première heure

Après le déclenchement de la guerre de libération nationale, il revient au pays pour rejoindre le maquis. Krim Belkacem le réoriente vers la communauté émigrée : « Toi, tu ne dois pas être au maquis, tu es chanteur et tu peux te déplacer à ta guise en France ; la Révolution a besoin de toi là-bas pour sensibiliser par le verbe et aider avec l’argent » lui dit-il.

En bon militant de la cause nationale, il repart une nouvelle fois à Paris où il devient patron d’un café qu’il transforme en lieu de rencontre de tous les artistes, et servait également de gîte pour les militants du FLN. Il eut des démêlés aussi bien avec les militants du Mouvement National algérien qu’avec la police française, qui l’arrêta en 1958, alors qu’il était accompagné de son fils Amar (4 ans), faisant des achats au monoprix de Boulogne-Billancourt. Il passe deux ans dans les prisons de Boulogne-Billancourt, d’Annaba et de Constantine.

Tous ses biens furent saisis par la police française, et sa femme et ses enfants furent pris en charge par la Croix Rouge française.

Il n’est autorisé à revenir en France qu’à la fin des années 1960.

À l’indépendance, il se consacre pleinement à l’art en produisant une multitude de chansons, dans lesquelles il chante la misère, les souffrances de ses compatriotes, la nostalgie et l’amour. Parmi ses nombreux succès, son inclassable : « Idurar Leqvayel», un titre, un refrain qui ne prend pas une ride plus de 50 ans après, et que nous vous proposons ci-après.

Un hommage, sous forme de périple, à la Kabylie dans lequel il met en relief les affres qu’elle a subies durant la guerre de libération. On se demande d’ailleurs comment telle chanson explicite de la lutte pour la liberté sur le terrain n’avait pas été censurée par les affidés de Boumediene et le clan d’Oujda, eux qui voulaient faire croire, à qui voulait les entendre, que le pays acquit son indépendance grâce à leurs combats aux frontières.

Fin tragique

Certainement déçu des allures d’une indépendance confisquée, lui qui s’était consacré corps et âme à la lutte de libération, il quitte la Kabylie et séjourne en France jusqu’en 1980. 

Les dernières années de sa vie dans son pays, il les passe dans des conditions difficiles. Un drame familial l’ayant obligé à quitter les siens, il se retrouve livré à lui-même, vivant dans des hôtels, menant une vie de troubadour, sans la moindre considération ou prise en charge par les autorités (un moudjahid de plus qui n’a jamais bénéficié du butin de guerre confisqué par le clan d’Oujda) jusqu’à sa mort dans des conditions troubles.

Son corps a été découvert le 3 mars 2000 au lieu-dit sidi Koriche, à proximité d’Azeffoun.

Selon les témoignages de nombreux citoyens, rapportés par des quotidiens algériens, notamment dans l’édition de Liberté du lundi 6 mars 2000, Moh Saïd Oubelaïd aurait été assassiné. Son corps n’a été retrouvé, de façon fortuite que quatre jours plus tard, à moitié enseveli, au bord de la mer.

Il sera inhumé, après une enquête et formalités d’usage, le dimanche 5 mars, dans son village natal.

« Idurar Leqbayel », Monts de Kabylie

Colombe, porte-leur mon salut 

À tous les enfants de mon pays 

Ceux des monts de Kabylie 

Là où mes frères sont tombés

 

Lethnine Issers Chabet 

Face à la brise de la mer 

Là tu trouveras la vérité 

Du sacrifice pour la patrie 

Salue-les tous de ma part

Enfants jeunes et vieillards

 

Les fils de Tizi-Ghenif  

N’oublie pas de les inciter 

Diplomatie dignité et humilité 

Souk-El-Had et Beni-Amrane

Que d’adversité ils ont subit

Villages transformés en ravins

 

Ô mon pays que j’aime tant

Ô toi qui m’est très cher 

Ton nom c’est Dra-El-Mizan

Que d’hommes dignes tu as enfanté

Contrée qui a bien lutté 

C’est beau de chanter pour toi

 

Par-delà la montagne

De Tazmalt entame ta promenade

Aux monts de la Soummam

Là où la lutte a commencé

D’Akbou à Béjaïa

Ses hommes sont incroyables

Essuie-leur les larmes 

Lave-les de leurs blessures 

 

Continue vers le mont Haizer

Bouira et Palestro

À Boghni, passe par la plaine

Vers Maâtkas et Mirabeau

Combien pour la liberté sont tombés

Quand nous pensons à eux nous pleurons 

 

Sans oublier Ath Smail

C’est ma bourgade j’y suis né 

Je te prie de te presser

Rends visite à ceux que j’aime tant

Ben-Abderahmane, le saint

Nous sommes malades guéris-nous 

 

Continue vers Ait-Kouffi

Ath-Ali et M’3ala

Ath-Mendes Ath-Bouɣardan

Vers El-Thnine tout droit

Mechtras et les Ouadhias

Surplombant Ighil-Imoula 

 

Continue encore vers Bouaddou 

Oumeri se trouvait là

Tu arriveras à Ath Ouacif

Les combats y furent extrêmes

Visite-les, tu arriveras

Au patelin de Beni-Douala 

 

D’Ath Irathen à Michelet

Là il y a eu des balles par giclées

De Tassaft à Ath Yanni

C’est le pays d’Amirouche

Dieu, faites qu’il soit préservé

Des asticots qui peuvent le ronger

 

Tu iras à Azazga

D’Azzefoun à Ath Idjer

Ils ont mis l’ennemi en déroute

Ils lui ont fait boire le fiel

Sois avec eux, ô Seigneur

Grande est l’aide du Ciel 

 

Arrivé à Tizi-Ouzou

Aux gradins du stade assieds-toi

Au match de la JSK tu assisteras

Ses joueurs volent comme des oiseaux

Combien son nom est cher

De sa gloire nous sommes fiers.

Auteur
Kacem Madani

 




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