Rencontre dans la rue et commence le cérémonial, un rite social, la marque humaine de la cordialité et de la bonne éducation du salut.
« Bonjour, comment ça va ? », l’autre répond « Ça va, et toi ça va ? ». Puis lorsque deux ou trois tours de ça va réciproques sont passés, c’est à la famille d’entrer dans la boucle.
Et la petite famille, ça va ? Je te remercie, ça va et la tienne ? J’ai aperçu ton papa hier, comment il va ? Ça va bien et le tien ?….
C’est tout de même intriguant, comme si les deux interlocuteurs étaient sourds ou en état mental déficient et qu’il faut répéter inlassablement, l’un et l’autre. Mais ils ne le sont absolument pas, cela complique l’analyse car alors pourquoi ?
La première réponse évidente est lorsqu’on ne sait quoi dire pour commencer la discussion. On se refile la patate chaude, de l’un à l’autre, afin de ne pas être le premier à démarrer la conversation.
La rencontre fortuite avec les gens ne vous a pas préparé au thème de la discussion, il faut un temps de chauffe pour le trouver. Et puis, rendez-vous compte si les deux personnes n’ont rien à se dire ou ne s’apprécient pas, la litanie « ça va et toi ? » permet de combler le vide de paroles ou le manque d’envie à se les dire.
C’est dur de sortir du « ça va » et de se lancer dans une seconde phrase. Et là, les rites humains ont tout prévu, il y a la rescousse du « Tu nous as manqué, que deviens-tu ? » qui démarre une autre boucle. Ne vous inquiétez pas, il y a d’autres ficelles prévues pour la suite comme le fameux « Que veux-tu, la vie est ainsi faite ». Et ainsi de suite.
Et, miracle, au bout de quatre ou cinq expressions en boucle, le réchauffement du mécanisme fait démarrer enfin une conversation qui a du sens et des échanges qui étayent le fameux ça va du départ.
La morale de cette histoire ? Eh bien même lorsqu’on n’a rien à se dire il faut le dire pensent certains. Un pays de soleil avec des rencontres froides et des silences, ce ne serait plus un pays de soleil disent-ils. Se forcer à communiquer avec les autres serait la garantie du maintien de la fraternité sociale.
La parole convenue peut aussi éviter de dires des vérités qui ne peuvent être dites et d’accumuler des rancœurs malsaines qui resteraient enfouies.
Mais tout de même il y a une limite. Lorsque toute la journée les « ça va, et toi ? » se perpétuent du matin au soir, c’est que les individus n’ont vraiment rien à se dire.
Là serait le drame car le silence serait préférable. Et l’être humain qui rencontre le silence est qu’il est au bout du chemin.
Moi, ça va, car en écrivant pour Le Matin d’Algérie, même face à la froideur et le silence de mon écran d’ordinateur, j’ai des choses à vous dire. Comme « Et toi, mon cher lecteur, ça va ? ».
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité