Site icon Le Matin d'Algérie

Monte Cassino, une école de guerre pour les Algériens

Impressions

Monte Cassino, une école de guerre pour les Algériens

Humiliante et révoltante France coloniale sont les premiers mots qui vous reviennent à l’esprit lorsque l’on se prosterne devant les tombes des 4800 soldats musulmans du Sénégal, de Tunisie, du Maroc et d’Algérie, enterrés au cimetière «français » de Venafro, à 157 km au sud de Rome. Le cimetière compte 4922 sépultures de soldats du Corps expéditionnaire français (CEF) que commandait le général Juin, dit L’Africain.

Les tombes musulmanes portent toutes les noms, prénoms et le régiment militaire d’affiliation du défunt, avec l’injurieuse inscription « Mort pour la France ». Nous citerons parmi ces victimes de la seconde guerre intereuropéenne Benyoub Baadouche, 3é Régiment de tirailleurs algérien, Dahmani Abdelkader, tirailleur tué le 15/7/1944 ou encore Boudjaballah Aissa, du 9e Régiment de tirailleurs algériens, tué le 16/5/1944. Au plus haut de leurs sépultures orientées vers La Mecque, un minaret d’architecture maghrébine, contenant le corps d’un soldat musulman inconnu. Ceux qui sont enterrés à Venafro sont considérés comme « volontaires », indique une des plaques commémoratives pour ce combat contre le fascisme et le nazisme européen.

Rituel pour rituel, le minaret en question est l’œuvre de la famille marocaine Ben Rahlate dont l’un des membres est président-fondateur de l’Union Nationale des Anciens combattants musulmans, « morts pour la France » sur le sol d’Italie. Le cimetière «français » de Venafro est une portion du territoire de France sous bannière tricolore et à 25 km au nord, s’élève l’abbaye de Monte Cassino, vulgairement traduite par les Français en Mont-Cassin. A 520 m. d’altitude, l’abbaye a été totalement reconstruite après avoir subi l’enfer du bombardement de quelque 250 avions américains, tout juste pour déloger 14 soldats nazis, nous affirme-t-on.

Une page bien douloureuse pour les populations italiennes et les quelques témoignages écrits ne pourront décrire le courage et la bravoure des soldats tunisiens du 4e Régiment de tirailleurs tunisiens qui ont été décimés à 60 % de leur effectif lors de l’assaut du mont Belvédère (en italien), un col de 718 m. d’altitude, une attaque hivernale qui eut lieu les 25 et 26 janvier 1944.

C’est à s’interroger si les Italiens, aujourd’hui, se rendent-ils compte de ces affres langagiers que la France coloniale leur a infligés à jamais sur leur propre terre ? Mourir pour la France et non pour la libération de l’Italie et le reste de l’Europe du joug fasciste et nazi.

Monte Cassino : le « Stalingrad » pour les Algériens

L’abbaye surplombant le mont Cassino est une autre page de l’histoire contemporaine italienne, qui n’ose pas dire son nom, sauf sous couvert de chuchotement : la collaboration du Vatican avec les Nazis. Ne jamais le rappeler aux Italiens puisqu’ils sont « sujets » de la republica vaticana. Le monastère bénédictin dépend directement de l’autorité du Vatican. A l’installation de la ligne de fortification militaire, nommée « Gustav » et dont 20000 ouvriers italiens y participèrent à sa construction, le premier responsable du monastère de l’époque du débarquement Alliés avait reçu l’ordre du Saint-Siège de transférer les biens et les archives du monastère vers Rome et sous protection des S.S. Le Vatican et son service secret, Opus Dei, étaient très collaboratif avec tous les mouvements politiques antibolchéviques et dans un contexte de guerre mondiale. Les « volontaires indigènes » d’Afrique et d’Afrique du nord n’étaient que de la chair à canons, puisque nous enregistrons 16000 Algériens tués pendant cette folle guerre sous la responsabilité des généraux de France et de Navarre. La même abbaye reçut en 1995, la visite de l’ex-tirailleur marocain du 5e Régiment de tirailleurs marocains, Ahmed Ben Bella, venant de Rome où il assistait à la rencontre réactionnaire de Sant‘Egidio sur l’Algérie d’après 1992. Ben Bella ne se rendra pas au cimetière de Venafro pour ne pas être gêner sous la bannière tricolore.

Au-delà du monastère, c’étalent les reliefs qui ont vu débarquer les Algériens de la 3e Division d’Infanterie algérienne (D.I.A.) et son célèbre 7e RTA, regroupé par la suite au sein du 4e RTA, qui avait fait ses preuves de jeunes combattants de la survie, durant la campagne de Tunisie. Une fois cette dernière libérée, les tirailleurs algériens de la 3e foulèrent le sol italien à partir de la Sicile pour se retrouver sur les plages de la Ciociara (au nord de Naples).

La 3e DIA est une véritable école militaire pour les futurs nationalistes-révolutionnaires algériens. Les opérations militaires vécues au sein des 3e et 7e régiments, les embuscades, les assauts nocturnes contre les fortifications nazis et les batailles de tranchées seront retenues par des milliers d’enfants de paysans Algériens.

Du 25 mai 1944, entre les monts Belvedere et les monts Abate (915 m. d’altitude) les Aurès et la Petite Kabylie ne sont pas si loin. Comment ne pas reconsidérer à sa juste mesure cette grande école des prises de conscience d’une future lutte armée d’indépendance politique ? De l’Italie à l’Allemagne, en passant par la France, ces Algériens des bataillons se retrouvèrent aussi à Madagascar (on n’en parle jamais) et au sein d’un autre corps expéditionnaire d’Indochine cette fois. Les cours s’achèvent par une expérimentation finale au sein d’une ALN de paysans et remises à l’heure des pendules de la France et de l’OTAN.

Au sein de cette armée du général Juin, on compte 230 000 hommes dont seulement 17800 d’origine européenne des colonies. Leurs officiers étaient des Français, entre anciens des promotions vichystes et gaullistes libéraux tous étaient animés par une seule mission : libérer l’empire coloniale du nazisme et le prévenir de la « coqueluche bolchévique ». Durant ce « Stalingrad » italien, d’autres armées de paysans étaient enroulées pour défendre des couronnes coloniales. Indiens, enfants de fermiers néo-zélandais, Canadiens et Américains de toutes les couleurs humaines, se retrouvèrent unis dans de nombreux cimetières d’Italie. A chacun son cimetière et à chacun son arrêt du temps.

Mais la Ciociaria est aussi ce souvenir bien douloureux encore présent et que l’on remémore à chaque fois que l’on évoque Monte Cassino. Les Italiens le nomment la ciociaria ou marochinaria (maroquinades). De la Toscane aux confins de la Sicile, on n’évoque que cela en assimilant les Algériens à travers le terme de maroccini, tout en sachant que la communauté marocaine en Italie est de 150 000 habitants et dont la troisième génération est entièrement assimilée au pays de Garibaldi. Nos concitoyens ne forment que les quelques 3000 et ils sont à la première génération et sans aucun signe d’adaptation avec la culture de Dante.

Depuis l’accession au pouvoir du populisme fascisant, la question de la Ciociaria revient à l’ordre du jour. On s’attaque certes à la France et Dieu seul sait combien ce coq hardi est aimé en Italie ! Les Bourbons et les Lombards du parti de la Liga Nord (néo-fasciste) sont totalement assimilés au sud au point où Prince Salvini exhaussé le volcan Vesuvio (Vésuve) de laver les gens du Sud. Au mois de juin dernier, les douloureux évènements des villages de la Ciociara sont désignés comme des actes commis sur des femmes, enfants et adultes, par les tirailleurs algériens, après avoir indexé les Goumiers marocains. Les Italiens que nous avons rencontrés dans cette région voulaient comprendre le pourquoi de toute cette bestialité, violence et homicide qui s’étaient abattue sur des êtres innocents et désarmés. Les innocentes victimes qui ont subi l’innommable avaient leurs pères, maris et frères sous l’emprise des travaux militaires forcés des légions nazis.

Les Goumiers marocains avaient-ils fait, à eux seuls et en une soudaine prise de conscience, le lien entre les nazis qu’ils combattaient et la considération que ces villages italiens sont ceux des collaborateurs fascistes ? Est-ce que les campagnes italiennes étaient aussi acquises aux nazis, au point qu’elles constituaient une réelle entrave à l’avancée des tabors marocains du général français, Augustin Guillaume ? Les crimes de la Ciociaria est une affaire franco-italienne et le point de vue algérien est difficilement admissible dans une question de bestialité tout humaine à la fin.

Ceux qui ont été clairement accusés ce sont les Goumiers avec leurs convois de mules, transportant armes et vivres dans la bataille des monts Aurunces, réputés infranchissables et qui se trouvent derrière la Ligne « Gustav » des nazis. Evoquer les Goums et les Muliers, c’est revenir sur l’organisation militaire de l’époque et de son effectif sur le terrain. Les Goums marocains faisaient partie des Régiments de tabors marocains et dont l’état-major du commandement des goums marocains est appelé aussi 2e Goum et dépendait directement du général Augustin Guillaume, sans intervention du 1er responsable du CEF, le général Juin. Cette armée de « baroudeurs », répondait uniquement aux adjoints du général Guillaume, à savoir le colonel Piatte, qui sera remplacé par le colonel Jacques Hogard (1918-1999), tristement célèbre durant “sa” guerre d’Algérie. Les soldats Goums sont subdivisés en régiments tabors, regroupés au sein de trois unités présents sur les champs de batailles, sauf pour le 2e Groupe de Tabor marocain commandé par le colonel de La Tour qui ne participera qu’à la bataille de l’île d’Elba et ne dépendait pas directement du général Juin.

Ces tabors formaient la force de frappe du CEF du général Juin dans cette campagne. Ils étaient composés pour la plupart de Rifains et de jeunes condamnés délaissés par le makhzen de l’époque, à leurs instincts de survie dans de rudes conditions climatiques et sociales. Les razzias et les « expéditions » punitives sont des techniques de la colonisation française «expérimentées » précédemment, de 1832 à 1920 en Algérie. Comment ne pas appliquer ces mêmes pratiques en Sicile et en Ciociaria face à une autre barbarie des Germains, aurait bien dit un colonel comme J. Hogard à son supérieur. Le résultat est édifiant, 2000 femmes et 600 hommes violés, selon un rapport de Sénat italien daté de 1996, 12000 victimes au total selon une association italienne des femmes résistantes. Aujourd’hui la communauté marocaine en Italie est indexée « d’enfants de violeurs » et leurs jours sont comptés par la nouvelle orientation politique migratoire en Italie.

Si l’imaginaire collectif italien déborde sur ce crime de guerre, il passe sous silence ceux des Américains perpétrés sur leur patrimoine culturel. Pourquoi ne rappelle-t-on pas à cet imaginaire insoucieux, que nous devons bien aux généraux du Duche Mussolini ce qu’est la Libye d’aujourd’hui : un désert où s’entretuent les 12 tribus.

La face cachée de Formia-Gaeta

Les Rifains des Tabors de la France coloniale sont ceux de l’insurrection armée de Abdelkrim Khatabi et ceux qui luttaient aux côtés des Républicains d’Espagne, mais l’Italie des années 40 occulte bien des choses sur son histoire. Aujourd’hui il y a parmi les classes moyennes italiennes, un net retour au populisme avec une fixation sur la période fasciste du Duche et sur la côte sud de la région de la Lazio, qui est celle aussi de la façade maritime de la Ciociaria, que « l’œuvre » de ce seigneur de la guerre apparaît. De nouvelles villes et des terres agricoles, jadis des marées asséchées, voient le jour, dont Latina, le chef-lieu de la région et se concentre aussi une communauté algérienne venant récemment de Annaba aux côtés de Libyens et Tunisiens.

A Scauri (appartenant à la commune montagneuse de Minturno), une cité balnéaire sur la côte dite d’Ulysse, les quelques anciens évoquent un « quartier de indigènes » ou ceux qui retournèrent des campagnes coloniales de la d’Abyssinie (Ethiopie) et d’Erythrée. Affamés et habillés en haillons, les déshonorés de cette guerre ont été vite assimilés à des autochtones de la Corne d’Afrique. Distante de 8 km, apparaît la ville au long front de mer : Formia. Une ville sans identité historique et que les habitants conservateurs et nettement religieux, ont inventé un site disant qu’il représente la Tombe de Cicéron ou encore la villa de l’orateur romain, une dérision à l’italienne avec une histoire qui s’écrit avec le « on dit que ». Si la ville est d’un charme époustouflant, et le Grand Hôtel Miramar est bien là pour raconter une page de la royauté italienne. Il fut la propriété de la reine Hélène de Savoie dite Hélène du Monténégro) et épouse du roi Victor-Emanuelle III, qui laissa son trône en 1946, à son fils Hubert II d’Italie. La somptueuse résidence fut aussi une résidence d’été pour le dernier roi d’Egypte, Farouk.

Traversant la Via Appia allant jusqu’à Naples, une route bien romaine à l’origine et distante de 500 km allant jusqu’à l’extrême sud de la « botte italienne », nous regagnons Gaeta qui ouvre ses registres sur l’après-guerre de 1939-1945. Entre 1945 et 1948, 40000 à 50000 anciens déportés juifs des camps de concentrations nazis en Pologne ont transités par Formia-Gaeta pour l’occupation de la Palestine. Sur place l’organisation sioniste, Alyah Bet, s’occupait de la logistique vers les ports palestiniens de Jaffa et Haïfa. Les promontoires de Gianola de Formia et celui de Gaeta ont vu embarquer les colons sionistes avec l’appui des gouvernements italiens et américains, avec une certaine réticence des Anglais. Rome n’avait aucun intérêt à contrarier le puissant monde sioniste. Après avoir hébergé durant les années 20, l’organisation de la jeunesse sioniste le Bétar, c’est autour du Mossad qui évolua en Italie en toute impunité entre Formia et Gaeta. Une base secrète lui a été ouverte au lieudit The Hill, aujourd’hui occupée par les Américains de la National Security Agency (NSA) et le commandement de la 6e Flotte US. C’est à Gaeta que le premier noyau de la marine « israélienne » a vu le jour, ainsi les commandos sous-mariniers du Mossad, qui envoya par le fond le navire-école de la marine égyptienne, de même que beaucoup de cargos qui transitaient aux ports italiens de Bari et de Tarente, pour le compte de résistance arabe et palestinienne jusqu’en 1967.

De Monte Cassino à Formia-Gaeta, l’histoire italienne se refait et se défait au bon vouloir des maîtres de l’Italie qui ont même, aux dernières nouvelles, hébergés 12 familles d’un clan mafieux de la Camorra sur les hauteurs de Formia et de luxueuses villas. Allez voir ce que nous réserve l’avenir d’un pays en ébullition social et politique.

 

Auteur
M. K. Assouane

 




Quitter la version mobile