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« Monzami » : Dehbia est au bout du rouleau (22)

Valise

Image par Ilo de Pixabay

Un jour de juillet, après une nuit de délires, c’est la fin pour Wardia. Elle rend son dernier souffle dans les bras de Dehbia.

Pour l’enterrement d’une femme, le rituel est simplifié. Pas de repas pour la veillée mortuaire. C’est ainsi. La moitié de l’humanité ne mérite pas les hommages qui la ferait entrer au paradis. La rumba et les houris sont exclusivement réservées aux mâles. Ainsi ont en décidé Allah et Mahomet. Pas question de remettre en cause la parole sacrée.

Pour la troisième fois depuis le départ de Hocine, la mort s’est invitée dans le foyer. Étrangement, Dehbia se sent libérée d’un poids d’une inertie monumentale. Rien ne l’empêche désormais de retourner chez ses parents, même si, elle le sait déjà, cela déplairait à son mari et que ça ferait jaser tout le village. Mais allait-elle laisser ses enfants crever de faim ? Elle attendait un mandat depuis deux ans, et rien, toujours rien, sinon une lettre dans laquelle il dit être en bonne santé et travailler dur. Les sacs de semoule sont désespérément vides, le bidon d’huile aussi. Quant aux figues, la récolte est des plus désastreuses cette année. Il n’y a plus aucune figue sèche dans les deux silos habituellement pleins en cette période de l’année. Ce n’est plus le dénuement mais la malédiction. Son salut et celui de ses enfants est auprès de ses parents.

Une semaine après le décès de Wardia, Dehbia est au bout du rouleau. Elle emballe ses affaires et ceux d’Ali et Amar et s’en va rejoindre la maison qui l’a vue naître. S’y rendre est simple. Son ancien toit ne se trouve qu’à quelques pâtés en aval de celui de ses beaux-parents.

Elle est accueillie par sa mère avec joie. Elle voit en elle une aide précieuse pour les nombreuses tâches ménagères qui lui prennent tout son temps, et surtout, pour la cuisine, car elle le sait, sa fille est un sacré cordon bleu. À ce niveau, elle avait appris et perfectionné ce que lui avait appris Wardia. Elle tombe à pic. Après le mariage de la petite dernière, la mère est débordée, d’autant que c’est bientôt le ramadan. Il est temps de rouler le couscous pour faire des réserves suffisantes pour le mois sacré.  

Tonton Ahmed est content aussi. Ainsi, il pourra améliorer l’éducation de ses neveux tout en essayant de perfectionner son français avec Ali, le premier de la classe, chaque année. Il le dit souvent, c’est la fierté de la lignée. Il deviendra ingénieur ou ministre. Il sera l’un des piliers de la Nation. Il mettra fin à la misère de sa mère, se promet souvent Ali quand il la voit triste et désemparée.

L’été s’envole, c’est la rentrée. Ahmed s’occupe des affaires scolaires et des tenues des deux adolescents. Il en fait son honneur. En l’absence de leur père, rien ne doit leur manquer. Tonton est si prévenant qu’il envoie une lettre à Hocine pour le rassurer :

Cher neveu Hocine,

Je t’écris ces quelques mots pour te faire savoir de mes nouvelles et que la santé est bonne pour ta femme et tes enfants.

Après le décès de ta mère, Dehbia est revenue habiter chez nous. Elle nous aide beaucoup. Les enfants sont très sages et travaillent bien à l’école. Ne t’inquiète pas pour eux. Sois rassuré, ils ne manquent de rien.

Rien à rajouter que le grand bonjour de la part de toute la famille.

Ton oncle Ahmed…. (à suivre)

Kacem Madani

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